Arrêt de la Cour du 8 juillet 1992. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Manquement – Directives CEE – Non-transposition dans les délais prescrits. – Affaire C-270/91.

Par un arrêt en date du 1er juillet 1992, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur une procédure en manquement engagée à l’encontre d’un État membre. L’affaire portait sur l’absence de transposition de deux directives relatives à la réglementation sanitaire dans le secteur de la viande porcine, l’une concernant la recherche de trichines lors des importations et l’autre l’abandon de certains examens sérologiques pour le dépistage de la brucellose.

En l’espèce, deux directives communautaires avaient été adoptées en avril et mai 1989, fixant des délais de transposition au 1er septembre 1989 et au 1er octobre 1989 respectivement. Constatant que l’État membre mis en cause n’avait pas communiqué les mesures nationales nécessaires pour se conformer à ces textes, la Commission des Communautés européennes a engagé la procédure prévue à l’article 169 du traité CEE. Une lettre de mise en demeure en date du 26 juin 1990, suivie d’un avis motivé du 18 mars 1991, sont demeurées sans réponse de la part de l’État concerné. Saisie par la Commission, la Cour a été amenée à examiner le comportement de l’État membre, lequel, lors de la procédure contentieuse, a reconnu ne pas avoir intégralement transposé les directives tout en signalant que des textes étaient en cours d’adoption pour remédier à cette situation.

Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer si l’absence de prise et de communication des dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à la transposition de directives dans les délais prescrits constitue un manquement d’un État membre à ses obligations, nonobstant la mention de procédures internes en cours visant à assurer cette conformité.

La Cour de justice répond par l’affirmative, en constatant le manquement. Elle déclare qu’« en ne prenant pas dans les délais prescrits les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer » aux deux directives en cause, l’État membre « a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE ». La décision, qui rappelle avec fermeté les exigences procédurales du droit communautaire (I), confirme le caractère absolu des obligations de transposition pesant sur les États membres (II).

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I. La consécration d’un manquement formellement établi

L’arrêt met en lumière la nature mécanique du contrôle opéré par la Cour en matière de transposition, lequel s’attache d’une part au respect strict du délai imparti (A) et d’autre part à l’accomplissement de l’obligation de notification (B).

A. Le caractère impératif du délai de transposition

La solution rendue par la Cour repose sur une lecture rigoureuse des obligations découlant des directives. Celles-ci, conformément aux dispositions du traité, lient tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Or, le délai de transposition est un élément essentiel du résultat à atteindre. En l’espèce, la Cour relève que les États membres étaient tenus de mettre en vigueur les dispositions nécessaires « au plus tard, respectivement, le 1er septembre 1989 et le 1er octobre 1989 ».

L’expiration de ce délai suffit à elle seule à caractériser l’infraction. Le manquement est constitué par le simple constat objectif du non-respect de l’échéance fixée par le législateur communautaire. Cette approche formaliste garantit la sécurité juridique et l’application uniforme et simultanée du droit communautaire sur l’ensemble du territoire de la Communauté. En refusant de prendre en considération toute circonstance postérieure à l’expiration du délai, la Cour prive les États membres de la possibilité de différer l’application effective des normes communautaires.

B. L’obligation accessoire de communication des mesures

Au-delà de la seule adoption des normes internes, la Cour sanctionne également le défaut de notification. Les directives imposaient aux États membres non seulement de se conformer aux textes, mais aussi « d’en informer immédiatement la Commission ». Cette obligation de communication n’est pas une simple formalité administrative, mais un instrument essentiel de contrôle. Elle permet à la Commission, en sa qualité de gardienne des traités, de s’assurer de la correcte et complète transposition du droit communautaire dans l’ordre juridique de chaque État membre.

L’absence de réponse de l’État mis en cause, tant à la lettre de mise en demeure qu’à l’avis motivé, a aggravé son cas en démontrant une inertie face à ses devoirs procéduraux. Le silence gardé par l’administration nationale a contraint la Commission à déclencher la phase contentieuse de la procédure en manquement. La Cour, par sa décision, rappelle ainsi que l’obligation de coopération loyale qui incombe aux États membres implique une collaboration active avec les institutions communautaires, dont la communication des mesures de transposition est une manifestation directe.

II. La portée de l’obligation de transposition

L’arrêt, par sa motivation concise mais ferme, réaffirme l’inefficacité des justifications tirées de l’ordre juridique interne (A) et s’inscrit dans une jurisprudence constante qui consacre le principe de primauté (B).

A. L’inefficacité des justifications fondées sur des pratiques internes

Face au recours de la Commission, l’État défendeur a reconnu son manquement tout en indiquant que « des décrets en cours d’adoption pourraient remédier à ce manquement ». Cet argument est implicitement mais certainement balayé par la Cour. La jurisprudence communautaire a de longue date établi qu’un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations nées du droit communautaire. Qu’il s’agisse de difficultés d’ordre administratif, politique ou constitutionnel, aucune ne peut légitimer un retard dans l’exécution d’une directive.

En l’espèce, le fait que des projets de décret soient en préparation est indifférent. Le manquement est déjà consommé par l’expiration du délai, et seule l’adoption effective et la publication de normes contraignantes assurant la pleine application de la directive auraient pu éteindre l’infraction. Admettre une telle justification reviendrait à permettre aux États de paralyser l’effectivité du droit communautaire en invoquant la lenteur de leurs propres procédures législatives ou réglementaires, ce qui est contraire à la nature même de l’ordre juridique intégré.

B. Une solution classique confirmant un principe fondamental

Cette décision n’est pas un revirement de jurisprudence, mais bien un arrêt de confirmation. Elle s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante et abondante relative à la procédure en manquement pour non-transposition. Sa portée est avant tout pédagogique : elle rappelle à l’ensemble des États membres la rigueur avec laquelle la Cour entend faire respecter les obligations découlant du traité. La constatation du manquement est de nature déclaratoire ; elle établit objectivement une violation du droit communautaire sans égard à l’intention de l’État défaillant.

La solution réaffirme la force contraignante du droit dérivé et le rôle central de la Commission dans la surveillance de son application. Elle illustre parfaitement le mécanisme par lequel l’ordre juridique communautaire assure sa suprématie et son effectivité. Le manquement est caractérisé indépendamment de l’importance matérielle des directives en cause ; c’est la violation de l’obligation de se conformer au droit communautaire dans les formes et délais prescrits qui est sanctionnée, garantissant ainsi la cohésion et la crédibilité de l’action de la Communauté.

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