Par un arrêt rendu dans l’affaire 91/81, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur le manquement d’un État membre à ses obligations découlant du traité CEE. En l’espèce, la Commission des Communautés européennes a introduit un recours en manquement contre un État membre au motif que celui-ci n’avait pas adopté, dans le délai imparti, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 75/129/CEE du 17 février 1975, relative aux licenciements collectifs. L’État membre ne contestait pas une transposition incomplète, mais soutenait que son ordre juridique interne, notamment par le biais de conventions collectives et d’une réglementation stricte du licenciement individuel, offrait déjà aux travailleurs une protection équivalente, voire supérieure, à celle visée par la directive. Il admettait toutefois que certains secteurs n’étaient pas couverts et que des formalités essentielles, telles que la notification écrite à l’autorité publique, n’étaient pas systématiquement prévues. La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si un État membre peut être considéré comme ayant rempli ses obligations de transposition lorsque son droit national, bien que formellement non conforme, assure matériellement un niveau de protection jugé globalement équivalent aux objectifs de la directive. La Cour de justice répond par la négative et constate le manquement. Elle juge que les dispositions d’une directive doivent faire l’objet d’une transposition complète et formelle afin d’établir un socle de règles communes, et qu’une protection issue de sources diverses et non exhaustives ne saurait suffire. La solution retenue par la Cour souligne la rigueur de l’obligation de transposition (I), affirmant par là même la portée de la directive comme instrument d’harmonisation (II).
I. La conception stricte de l’obligation de transposition
La Cour de justice adopte une interprétation rigoureuse de l’obligation de transposition qui pèse sur les États membres, rappelant la nécessité d’une intégration formelle et complète de la directive en droit interne (A) et écartant par conséquent la validité d’une protection seulement équivalente issue d’autres sources normatives (B).
**A. L’exigence d’une transposition complète et formelle**
La Cour rappelle avec force que l’objectif de la directive est de rapprocher les législations nationales. Ce faisant, elle ne se contente pas d’une simple convergence des résultats, mais impose une harmonisation des moyens. Pour la Cour, les dispositions de la directive « doivent donc servir a L ‘ etablissement D ‘ un tronc commun de reglementation , applicable dans tous les etats membres ». Cette formule souligne que la finalité de l’acte n’est pas seulement de garantir un certain niveau de protection, mais aussi de le faire à travers un cadre juridique identifiable et commun. L’argument de l’État membre, fondé sur l’existence d’une protection globale, est ainsi jugé inopérant face à l’exigence d’une transposition formelle. La Cour constate objectivement que le système national ne prévoit pas, de manière générale, la notification écrite à l’employeur ou l’intervention systématique de l’autorité publique compétente. Ces lacunes, bien que partielles, suffisent à caractériser le manquement, car elles rompent l’uniformité du socle de droits que la directive entend précisément instaurer dans toute la Communauté.
**B. Le rejet de la protection équivalente par les conventions collectives**
En défense, l’État membre faisait valoir l’efficacité de son système de conventions collectives pour atteindre les objectifs de la directive. La Cour écarte cet argument en soulignant l’insuffisance intrinsèque de ce type de normes pour assurer une transposition correcte. Une convention collective, par nature, ne présente pas les mêmes garanties qu’une disposition législative ou réglementaire. Son champ d’application est limité aux secteurs et aux entreprises qui y sont soumis, laissant potentiellement des travailleurs sans la protection requise, comme l’a d’ailleurs reconnu le gouvernement défendeur pour les secteurs de l’agriculture et du commerce. De plus, les conventions collectives n’offrent pas le même degré de sécurité juridique et de permanence qu’une loi. Elles sont susceptibles d’être modifiées ou dénoncées par les partenaires sociaux, ce qui créerait une incertitude incompatible avec la nature impérative des droits conférés par la directive. En refusant de prendre en compte une protection conventionnelle, même jugée plus favorable, la Cour affirme la primauté de la source légale et réglementaire comme seul véhicule adéquat de la transposition.
II. La portée de la directive comme instrument d’harmonisation sociale
En précisant les contours de l’obligation de transposition, la décision renforce la fonction de la directive comme un outil essentiel de la politique sociale communautaire, d’une part en garantissant la sécurité juridique pour les travailleurs (A) et d’autre part en consolidant l’édification d’un standard social commun (B).
**A. La garantie de la sécurité juridique au service des travailleurs**
La rigueur manifestée par la Cour a pour conséquence directe de renforcer la sécurité juridique pour les bénéficiaires de la directive. En exigeant une transposition formelle et complète, la Cour s’assure que les droits reconnus aux travailleurs sont clairs, précis et accessibles. Un travailleur doit pouvoir se prévaloir de droits directement issus d’une norme nationale identifiable qui transpose fidèlement la directive. Un système reposant sur un ensemble disparate de lois, de règlements et de conventions collectives, comme celui de l’État défendeur, engendre une opacité contraire à cet objectif. La Cour rappelle que la directive a été adoptée dans la perspective de « promouvoir L ‘ amelioration des conditions de vie et de travail de la main-d ‘ oeuvre », conformément à l’article 117 du traité. Cette amélioration ne peut être effective que si les droits conférés sont non seulement substantiels, mais aussi certains et aisément mobilisables par les justiciables, ce que seule une transposition correcte peut garantir.
**B. La consolidation d’un standard social commun**
Au-delà de la protection individuelle, l’arrêt réaffirme la place de la directive comme instrument de rapprochement des législations et de création d’un socle social européen. Les considérants de la directive, rappelés par la Cour, exposent que les différences entre les législations nationales « peuvent avoir une incidence directe sur le fonctionnement du marche commun ». En imposant à tous les États membres un ensemble minimal de procédures de consultation et de notification, la directive vise à prévenir les distorsions de concurrence qui pourraient résulter de normes sociales divergentes. La solution de la Cour, en refusant toute dérogation fondée sur une équivalence matérielle, confirme que l’harmonisation est un but en soi. Elle assure que, nonobstant la faculté pour les États d’adopter des mesures plus favorables, un plancher de garanties procédurales s’applique uniformément sur tout le territoire de la Communauté, participant ainsi à l’établissement d’un développement économique et social équilibré.