Arrêt de la Cour du 8 novembre 1983. – NV IAZ International Belgium et autres contre Commission des Communautés européennes. – Droit de la concurrence – Marque de conformité ANSEAU-NAVEWA. – Affaires jointes 96-102, 104, 105, 108 et 110/82.

Par un arrêt rendu sur le fondement de l’article 173 du traité CEE, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la légalité d’une décision de la Commission du 17 décembre 1981, laquelle avait constaté l’existence d’une infraction aux règles de concurrence. En l’espèce, plusieurs fabricants et importateurs exclusifs d’appareils électroménagers en Belgique avaient conclu, avec une association regroupant des entreprises de distribution d’eau, une convention relative à l’utilisation d’une marque de conformité pour les machines à laver et les lave-vaisselle. Ce système visait officiellement à garantir que les appareils raccordés au réseau public respectaient les exigences techniques nationales. La mise en œuvre de cet accord a toutefois conduit à ce que seuls les fabricants et les importateurs exclusifs puissent obtenir les labels de conformité, entravant ainsi de fait les importations parallèles de ces mêmes produits par d’autres opérateurs.

La Commission, saisie de cette pratique, a considéré que la convention constituait une infraction à l’article 85, paragraphe 1, du traité, en ce qu’elle avait pour objet de restreindre le jeu de la concurrence en rendant plus difficiles, voire impossibles, les importations parallèles. Elle a par conséquent enjoint aux parties de cesser l’infraction et leur a infligé des amendes. Plusieurs entreprises et l’association concernée ont alors formé un recours en annulation contre cette décision devant la Cour de justice. Les requérantes soutenaient principalement que la convention poursuivait un objectif légitime de protection de la santé publique, qu’elles n’avaient pas agi de propos délibéré dans une intention anticoncurrentielle, et que l’accord, étant purement national, aurait dû être dispensé de notification et ne pouvait donner lieu à des amendes.

Il revenait donc à la Cour de justice de déterminer si un accord conclu entre des opérateurs économiques au niveau national, et présenté comme visant à assurer le respect de normes techniques, pouvait être qualifié d’entente prohibée au sens du droit communautaire de la concurrence lorsqu’il a pour objet de cloisonner un marché national en faisant obstacle aux importations parallèles. La question se posait également de savoir si un tel accord pouvait bénéficier d’une dispense de notification et, dans la négative, selon quels critères les sanctions devaient être appréciées. La Cour a rejeté l’ensemble des recours, validant ainsi l’analyse de la Commission. Elle a estimé que l’accord, par sa nature et sa mise en œuvre, avait bien un objet restrictif de concurrence, et que les conditions d’imposition d’une amende étaient réunies.

L’analyse de la Cour confirme ainsi une conception stricte de la restriction de concurrence par objet, indépendamment des intentions subjectives des parties (I), ce qui justifie l’application rigoureuse du régime de sanction prévu par les textes (II).

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I. La caractérisation d’une restriction de concurrence par objet

La Cour de justice retient une interprétation extensive de la notion d’accord restrictif en s’attachant à l’objet anticoncurrentiel de la convention, qu’elle décèle au-delà des finalités légitimes avancées (A), et en considérant que l’infraction est imputable à l’ensemble des participants ayant eu conscience des faits, sans qu’une intention frauduleuse spécifique soit requise (B).

A. L’appréciation de l’accord au-delà de ses objectifs affichés

Les parties requérantes soutenaient que le but de la convention était d’assurer la conformité technique des appareils et de réduire les coûts administratifs du contrôle, et non de restreindre la concurrence. La Cour écarte cet argument en procédant à une analyse concrète de l’accord, de son contexte et de sa mise en application. Elle relève que plusieurs éléments démontrent une volonté d’entraver les importations parallèles. Le jugement souligne notamment que le système des labels de conformité a remplacé un système antérieur fondé sur des listes d’appareils agréés, et que « seuls les fabricants et importateurs exclusifs peuvent obtenir ces labels ». Cette exclusivité, combinée aux déclarations de certains participants lors des réunions préparatoires qualifiant la convention d’« arme » contre les importations parallèles, suffit à établir l’objet anticoncurrentiel.

La Cour en conclut que, « eu égard tant a sa teneur qu’a son contexte juridique et economique et au comportement des parties, la convention a pour objet de restreindre sensiblement le jeu de la concurrence a l’interieur du marche commun ». Peu importe donc que l’accord poursuive également des objectifs légitimes, tels que la protection de la santé publique. Dès lors qu’un des objets de l’accord est de restreindre la concurrence, et notamment de cloisonner un marché national, l’article 85, paragraphe 1, du traité est applicable. Cette approche confirme une jurisprudence constante selon laquelle la finalité anticoncurrentielle n’a pas besoin d’être l’unique finalité de l’accord pour que celui-ci tombe sous le coup de l’interdiction.

B. L’imputabilité de l’infraction aux participants

Certaines entreprises faisaient valoir qu’elles n’avaient pas participé activement à l’élaboration de la convention ou qu’elles n’étaient pas conscientes de son caractère anticoncurrentiel. La Cour rejette cette ligne de défense en précisant la notion d’infraction commise « de propos délibéré ». Elle juge que les parties ayant souscrit à la convention ne pouvaient ignorer qu’elle était, par sa nature même, destinée à limiter les importations parallèles. Le fait d’avoir participé à un accord dont l’objet restrictif était manifeste suffit à caractériser l’élément intentionnel. La conscience de participer à une action ayant pour but de restreindre la concurrence est suffisante.

La Cour affirme à cet égard que les entreprises « ont agi de propos delibere, qu’elles aient eu ou non conscience, ce faisant, d’enfreindre l’interdiction de l’article 85, paragraphe 1, du traite ». La connaissance de l’illégalité de l’acte au regard du droit de la concurrence n’est pas requise ; seule la conscience des faits et de leurs conséquences prévisibles sur le marché importe. La simple participation à un accord manifestement restrictif, dont les termes étaient connus ou accessibles à tous les signataires, suffit donc à engager la responsabilité de chaque entreprise, et ce, même si leur rôle a pu paraître passif.

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II. Le régime de sanction applicable à l’entente

Une fois l’infraction caractérisée, la Cour se prononce sur les conséquences qui en découlent, en confirmant d’une part le rejet de l’exemption de notification (A), et en validant d’autre part le bien-fondé et les modalités de calcul des amendes infligées par la Commission (B).

A. Le rejet de la dispense de notification

Les requérantes arguaient que la convention aurait dû être dispensée de l’obligation de notification prévue par le règlement n° 17/62, car elle ne rassemblait que des entreprises d’un seul État membre et ne concernait prétendument « ni l’importation ni l’exportation entre etats membres ». La Cour balaie cet argument en adoptant une interprétation téléologique de la condition relative à l’affectation des échanges. Elle rappelle que la dispense de notification vise à une simplification administrative pour les accords jugés « moins nocifs » pour la concurrence.

Or, en l’espèce, un accord qui a pour objet de limiter les importations parallèles concerne par définition les échanges entre États membres de la manière la plus directe qui soit. La Cour constate que « la convention vise, ainsi qu’il a ete constate ci-dessus, a restreindre sensiblement les importations paralleles en belgique des machines a laver et lave-vaisselle et tend ainsi a isoler le marche belge ». Une telle pratique, qui porte atteinte à l’un des principes fondamentaux du marché commun, ne saurait être considérée comme peu nocive. Par conséquent, la convention ne pouvait bénéficier de la dispense et, en l’absence de notification, l’exemption au titre de l’article 85, paragraphe 3, ne pouvait être accordée.

B. La justification des amendes infligées

Enfin, la Cour examine les critiques formulées à l’encontre des amendes. Elle confirme que la Commission était en droit d’infliger des sanctions, l’infraction ayant été commise de propos délibéré. Concernant le montant, elle approuve la méthode de la Commission qui a consisté à fixer une enveloppe globale en fonction de la gravité de l’infraction, puis à la répartir entre les entreprises en les classant en groupes selon des critères objectifs, comme le nombre de labels commandés. Cette démarche est jugée compatible avec le principe d’individualisation des sanctions.

De plus, la Cour rejette l’argument selon lequel la situation financière déficitaire d’une entreprise aurait dû être prise en compte pour réduire son amende. Elle estime qu’une telle approche n’est pas une obligation pour la Commission. La Cour fait sienne la position de la défenderesse en déclarant que « la reconnaissance de pareille obligation reviendrait en effet, a procurer un avantage concurrentiel injustifie aux entreprises les moins adaptees aux conditions du marche ». Cette affirmation de principe montre la volonté de la Cour de ne pas laisser la politique de concurrence être instrumentalisée pour subventionner indirectement les entreprises en difficulté, préservant ainsi l’efficacité des sanctions et l’égalité des conditions de concurrence.

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Hassan KOHEN
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