Par un arrêt en manquement du 9 mars 1994, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la compatibilité de la législation d’un État membre relative aux déclarations en douane avec le droit communautaire. La Commission des Communautés européennes avait saisi la Cour d’un recours visant à faire constater plusieurs manquements de l’État défendeur. D’une part, la législation nationale était accusée de contrevenir à des règlements communautaires harmonisant les conditions d’établissement des déclarations en douane et le régime de transit. D’autre part, il était reproché à cet État d’avoir approuvé des tarifs professionnels obligatoires pour les expéditeurs en douane, lesquels constitueraient des taxes d’effet équivalant à des droits de douane prohibées par le traité CEE. L’État membre contestait ces griefs en défendant la conformité de son droit interne. La question juridique posée à la Cour était donc double : il s’agissait de déterminer si des dispositions nationales qui réservent la déclaration en douane au « propriétaire » de la marchandise et qui encadrent strictement la profession d’expéditeur en douane sont conformes aux règles d’harmonisation communautaires. Il lui fallait également décider si un tarif professionnel, bien qu’obligatoire dans son application, peut être qualifié de taxe d’effet équivalent lorsqu’il rémunère une prestation de service à laquelle les opérateurs économiques ne sont pas contraints de recourir. En réponse, la Cour a jugé que l’État membre avait manqué à ses obligations en maintenant des dispositions nationales créant une insécurité juridique et en n’assurant pas une transposition correcte de la distinction entre déclarants salariés et indépendants. En revanche, elle a écarté la qualification de taxe d’effet équivalent pour les tarifs professionnels, au motif que le recours aux services des expéditeurs n’était pas obligatoire pour les importateurs. La solution de la Cour, partageant les torts, révèle une application rigoureuse des règles de transposition du droit dérivé (I), tout en faisant preuve d’une appréciation plus pragmatique des règles de fond du traité (II).
I. La sanction d’une transposition défaillante de la réglementation douanière communautaire
La Cour sanctionne avec fermeté les manquements de l’État membre liés à une transposition incorrecte du droit communautaire dérivé. Elle condamne d’abord les dispositions nationales qui, par leur manque de clarté, engendrent une insécurité juridique contraire aux objectifs des règlements (A), avant de censurer l’application d’un régime de qualification professionnelle indifférencié et non conforme au droit de l’Union (B).
A. La condamnation de règles nationales sources d’incertitude juridique
La Cour accueille le premier grief de la Commission portant sur l’exigence, par la législation nationale, que la déclaration en douane soit faite par le « propriétaire » de la marchandise. Elle considère que l’emploi de cette notion, étrangère au règlement communautaire applicable, est problématique. En effet, selon la Cour, « les principes de sécurité juridique et de protection des particuliers exigent que, dans les domaines couverts par le droit communautaire, les règles nationales soient formulées de manière non équivoque ». L’État défendeur ne peut donc maintenir une terminologie susceptible de « laisser subsister des doutes sur la personne habilitée à présenter ou à faire présenter la déclaration ». Cette position réaffirme que la simple compatibilité matérielle ne suffit pas ; la transposition doit également être formellement claire pour garantir le plein effet du droit de l’Union.
Dans le même esprit, la Cour censure la réglementation nationale sur la représentation en douane. Le droit communautaire permet aux États membres de réserver la représentation indirecte, c’est-à-dire en nom propre mais pour le compte d’autrui, à une profession réglementée. Cependant, cette faculté est subordonnée à la condition que la législation nationale ait d’abord clairement autorisé ce mode de représentation. Or, la Cour constate que le droit de l’État membre, qui repose sur une fiction juridique assimilant le présentateur de la marchandise au propriétaire, n’est pas suffisant. Pour pouvoir restreindre l’exercice de la représentation, « la législation italienne aurait dû autoriser d’une manière claire et précise la représentation en nom propre mais pour le compte d’autrui ». La Cour sanctionne ici une inversion de la logique imposée par le règlement, protégeant ainsi l’architecture du système de représentation voulu par le législateur communautaire.
B. La censure du régime indifférencié des qualifications professionnelles
Le contrôle de la Cour s’étend ensuite aux conditions d’exercice de l’activité de déclarant. La Commission reprochait à l’État membre d’imposer les mêmes exigences de qualification aux expéditeurs en douane indépendants et aux employés salariés d’entreprises qui effectuent des déclarations pour leur employeur. La Cour valide ce grief en se fondant sur l’article 6 du règlement concerné. Elle relève que cette disposition instaure volontairement une différenciation : les professionnels indépendants doivent posséder les qualifications requises et présenter les garanties nécessaires, tandis que pour les employés salariés, seule une « qualification professionnelle appropriée » est exigible.
Pour la Cour, il en résulte que « l’acquisition de la qualification professionnelle fait l’objet de deux régimes distincts et que cette distinction doit être établie dans la législation des États membres ». En soumettant ces deux catégories d’acteurs aux mêmes conditions, la législation nationale méconnaît non seulement la lettre mais aussi l’esprit du règlement, qui vise à faciliter les opérations de dédouanement pour les entreprises disposant de services internes. La décision de la Cour sur ce point est une illustration de son contrôle minutieux de la transposition, veillant à ce que les distinctions établies par le législateur de l’Union pour moduler les contraintes pesant sur les opérateurs économiques soient scrupuleusement respectées au niveau national.
II. La validation pragmatique d’un tarif professionnel au regard des libertés fondamentales
Si la Cour se montre stricte sur le terrain de la transposition du droit dérivé, elle adopte une approche plus économique et finaliste pour examiner la compatibilité du tarif des expéditeurs en douane avec le droit primaire. Elle écarte ainsi la qualification de taxe d’effet équivalent en se fondant sur l’absence de caractère obligatoire du service (A), ce qui conduit à limiter la portée de sa condamnation aux seuls aspects formels de la réglementation nationale (B).
A. Le rejet de la qualification de taxe d’effet équivalent faute de prélèvement obligatoire
Le dernier grief de la Commission soutenait que le tarif obligatoire des expéditeurs en douane constituait une taxe d’effet équivalant à un droit de douane. La Cour rappelle sa définition classique de cette notion : « toute charge pécuniaire, fût-elle minime, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, et frappant les marchandises en raison du fait qu’elles franchissent la frontière ». L’élément déterminant de son raisonnement est le caractère « imposé » de la charge. Pour qu’une charge soit ainsi qualifiée, elle doit être une conséquence inévitable du passage de la frontière.
Or, la Cour constate que les opérateurs économiques disposent d’une alternative au recours à un expéditeur professionnel, notamment en employant un salarié spécialisé. La Commission a elle-même admis qu’une part non négligeable des déclarations était effectuée par ce biais. La Cour en déduit qu’« un choix effectif existe pour l’importateur, qui n’a pas l’obligation d’avoir recours à un expéditeur professionnel, et que, dès lors, le tarif n’est pas imposé de façon obligatoire à toute personne qui veut faire une déclaration en douane ». La charge n’est donc pas la contrepartie du passage de la frontière, mais la rémunération d’un service librement choisi. Par cette analyse, la Cour préserve la distinction entre une entrave pécuniaire prohibée et le paiement d’une prestation de service, même si celle-ci est réglementée par l’État.
B. La portée limitée du jugement sur les monopoles professionnels nationaux
Cette décision illustre une forme de retenue de la part de la Cour. Alors qu’elle condamne les modalités d’organisation de la profession d’expéditeur en douane pour leur incompatibilité avec le droit dérivé, elle ne remet pas en cause l’existence même du monopole partiel ni le principe d’un tarif réglementé. La solution retenue valide indirectement un système qui, bien que mal transposé, n’est pas jugé fondamentalement contraire aux principes du marché intérieur. La survie du tarif s’explique entièrement par l’existence d’une alternative, même si celle-ci n’est accessible qu’à certaines entreprises.
La portée de l’arrêt est donc double. D’une part, il confirme que les États membres ne sauraient se contenter d’une simple équivalence des résultats lors de la transposition de réglementations techniques d’harmonisation. La sécurité juridique et le respect des mécanismes prévus par le législateur de l’Union exigent une transposition fidèle et explicite. D’autre part, il affine la notion de taxe d’effet équivalent en la liant de manière indissociable à l’absence de choix pour l’opérateur économique. Le manquement est ainsi circonscrit aux aspects techniques de la législation, sans affecter la structure économique de la profession réglementée, qui échappe à la prohibition des articles 9 et 12 du traité.