Arrêt de la Cour du 9 juillet 1980. – Giacomo Gravina et autres contre Landesversicherungsanstalt Schwaben. – Demande de décision préjudicielle: Sozialgericht Augsburg – Allemagne. – Travailleurs migrants – Rentes d’orphelins. – Affaire 807/79.

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel du `Sozialgericht Augsburg`, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur l’interprétation de la réglementation communautaire en matière de sécurité sociale des travailleurs migrants. En l’espèce, un travailleur ressortissant d’un État membre avait cotisé successivement aux régimes d’assurance de deux États membres. Après son décès, ses enfants orphelins, résidant dans le second État, se sont vu octroyer une rente d’orphelin en application de la seule législation de cet État. Par la suite, la famille a transféré sa résidence dans le premier État membre d’affiliation du défunt. L’institution compétente du second État a alors cessé le versement des prestations, estimant que, conformément à l’article 78 du règlement n° 1408/71, la compétence pour servir de telles rentes appartenait désormais à l’institution de l’État de la nouvelle résidence des orphelins. Saisie du litige, la juridiction nationale a interrogé la Cour sur le point de savoir si le transfert de résidence pouvait entraîner la suppression d’une prestation liquidée en vertu du seul droit national d’un État membre, alors même qu’un droit à des prestations similaires s’ouvrait dans l’État de la nouvelle résidence. Il s’agissait donc de déterminer si les règles de coordination édictées par le droit communautaire pouvaient avoir pour effet de réduire ou d’éteindre des droits acquis par un travailleur ou ses ayants droit au titre de la législation d’un seul État membre. À cette question, la Cour de justice répond par la négative, en affirmant que le droit aux prestations dans l’État de résidence ne fait pas disparaître le droit à des prestations plus élevées acquises dans un autre État membre. Elle précise que lorsque le montant des prestations dans l’État de résidence est inférieur, l’orphelin a droit à un complément de prestations à la charge de l’institution de l’autre État, égal à la différence entre les deux montants. La solution de la Cour, protectrice des droits des travailleurs migrants et de leur famille, repose sur une interprétation finaliste des textes (I), laquelle aboutit à la consécration d’un mécanisme de garantie des avantages sociaux acquis (II).

I. La primauté d’une interprétation finaliste sur l’application littérale des règles de coordination

La Cour de justice opère une lecture des dispositions du règlement n° 1408/71 à la lumière des objectifs du Traité, écartant une application littérale qui aurait conduit à une situation préjudiciable pour les bénéficiaires. Elle rappelle ainsi que le droit communautaire ne vise pas à substituer un régime unique de sécurité sociale aux systèmes nationaux, mais à les coordonner. Cette coordination ne saurait toutefois porter atteinte aux droits déjà ouverts en vertu d’une législation nationale.

A. Le risque d’une régression des droits par la coordination des systèmes

L’argumentation de l’organisme de sécurité sociale défendeur reposait sur une lecture stricte de l’article 78, paragraphe 2, b), i), du règlement n° 1408/71. Ce texte dispose que les rentes d’orphelin sont accordées « conformément à la législation de celui de ces États sur le territoire duquel réside l’orphelin », si un droit y est ouvert. Une telle application littérale aurait pour conséquence de faire de la résidence le critère exclusif de détermination de la législation applicable et de l’institution compétente. Le changement de résidence des orphelins d’un État membre à un autre aurait ainsi pour effet d’éteindre les obligations de l’institution du premier État, même lorsque le droit à prestation était fondé sur la seule législation de celui-ci. Une telle approche, bien que formellement conforme au texte, risquait d’entraîner une perte sèche de droits pour les ayants droit du travailleur migrant. En effet, la prestation servie dans le nouvel État de résidence pouvait être d’un montant inférieur à celle dont ils bénéficiaient auparavant. Cette situation créerait une entrave indirecte mais certaine à la liberté de circulation, en pénalisant les familles qui exerceraient ce droit.

B. L’affirmation de la finalité protectrice du droit communautaire de la sécurité sociale

Face à ce risque, la Cour de justice rappelle avec force le principe directeur de l’article 51 du traité CEE. Celui-ci vise à instaurer la libre circulation des travailleurs en leur garantissant que l’exercice de ce droit ne leur fera pas « perdre des avantages de sécurité sociale que leur assure, en tout état de cause, la seule législation d’un État membre ». La Cour souligne que les règlements d’application, tels que le règlement n° 1408/71, doivent être interprétés à la lumière de cet objectif. Ils n’ont pas pour but d’organiser un régime commun, mais de coordonner des régimes nationaux distincts, qui engendrent des créances distinctes. Ainsi, la réglementation communautaire « ne saurait, sauf exception explicite conforme aux objectifs du traité, être appliquée de façon à priver le travailleur migrant ou ses ayants droit du bénéfice d’une partie de la législation d’un État membre ». En conséquence, les règles de coordination, comme celles de l’article 78, ne peuvent conduire à une diminution des prestations accordées en vertu de la seule législation d’un État. Cette interprétation téléologique permet de dépasser la lettre du texte pour en préserver l’esprit et l’effet utile.

En consacrant la prééminence des objectifs du Traité sur une application littérale des règlements, la Cour ne se contente pas de poser un principe. Elle en déduit une conséquence pratique qui consolide le statut social du travailleur migrant et de sa famille.

II. La consécration d’un mécanisme de garantie du niveau des prestations acquises

La portée de l’arrêt réside principalement dans la solution concrète qu’il met en place pour éviter toute perte de droits. La Cour ne se limite pas à interdire la suppression de la rente initialement versée ; elle instaure un véritable droit à un complément différentiel, assurant ainsi la portabilité des avantages sociaux les plus élevés.

A. Le rejet de la substitution d’un droit par un autre au profit du maintien du plus favorable

La Cour établit clairement que l’ouverture d’un droit à prestations dans le nouvel État de résidence n’entraîne pas l’extinction du droit acquis dans l’État de départ. Les deux droits coexistent, et la règle de compétence fondée sur la résidence ne peut avoir pour effet de supprimer un avantage plus élevé. L’arrêt s’inscrit dans une logique de non-régression, fondamentale en droit social européen. La coordination ne doit pas être un prétexte à un nivellement par le bas des protections sociales. Au contraire, elle doit garantir au travailleur qui se déplace dans la Communauté « l’ensemble des prestations acquises dans les différents États membres dans la limite du plus élevé des montants de ces prestations ». La solution garantit donc que le changement de résidence ne se traduira jamais par une diminution du montant global des prestations perçues par les orphelins. Il s’agit d’une application directe du principe de faveur, qui veut que la norme la plus avantageuse pour le bénéficiaire soit appliquée.

B. L’institution d’un droit à un complément de prestations à la charge de l’État débiteur de l’avantage supérieur

Pour donner une effectivité à ce principe, la Cour définit un mécanisme pratique et précis. Lorsque le montant des prestations effectivement perçu dans l’État de résidence est inférieur à celui des prestations prévues par la seule législation de l’autre État, l’institution de ce dernier reste débitrice d’une obligation. Cette obligation prend la forme d’un « complément de prestations égal à la différence entre les deux montants ». Cette solution pragmatique permet de concilier la règle de compétence de l’article 78 avec le principe de maintien des droits acquis. L’institution de l’État de résidence reste le débiteur principal, conformément au règlement, mais l’institution de l’autre État intervient en tant que garant du niveau de prestation le plus élevé. La création de ce droit à un complément différentiel constitue une avancée significative. Elle transforme un principe général de non-diminution des avantages en une créance concrète et chiffrable, renforçant considérablement la sécurité juridique et financière des familles de travailleurs migrants.

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