Arrêt de la Cour du 9 juillet 1985. – Piercarlo Bozzetti contre Invernizzi SpA et ministère du Trésor. – Demande de décision préjudicielle: Pretura unificata di Cremona – Italie. – Prélèvement de coresponsabilité – Prix indicatif du lait. – Affaire 179/84.

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel d’une juridiction italienne, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la nature juridique et la validité d’un prélèvement de coresponsabilité institué dans le secteur du lait. En l’espèce, un producteur de lait contestait la légalité des retenues effectuées sur le prix de ses ventes au titre de ce prélèvement. Il soutenait que le mode de calcul, fondé sur un prix indicatif correspondant à un lait standard à haute teneur en matières grasses, était discriminatoire à l’égard des producteurs dont le lait, comme le sien, présentait une teneur inférieure. Le producteur estimait en conséquence que ce mécanisme créait une distorsion injustifiée, pénalisant ceux qui contribuaient moins aux excédents de beurre.

La procédure avait été initiée devant une juridiction nationale par le producteur qui demandait le remboursement des sommes prélevées. Le juge national, confronté à un double doute, a décidé de surseoir à statuer et de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice. La première question portait sur la nature juridique du prélèvement, notamment son caractère fiscal ou non, afin de déterminer la compétence de la juridiction saisie au regard du droit interne. La seconde question visait à faire contrôler la validité des règlements instituant ce prélèvement au regard du principe de non-discrimination consacré par le Traité. Il était donc demandé à la Cour de justice de déterminer si un prélèvement de coresponsabilité, fondé sur un prix indicatif uniforme, violait le principe de non-discrimination en s’appliquant indifféremment à des producteurs dont les produits présentaient des caractéristiques différentes, et de qualifier juridiquement ce mécanisme au regard du droit communautaire. La Cour a répondu que le prélèvement constituait un instrument de régulation économique du marché et a confirmé sa validité, jugeant qu’il ne portait pas atteinte au principe de non-discrimination.

La Cour clarifie ainsi la nature du prélèvement comme un instrument de régulation économique (I) avant de confirmer sa conformité au principe de non-discrimination (II).

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I. La nature économique du prélèvement, une clarification au service du juge national

La Cour de justice qualifie le prélèvement de coresponsabilité au regard de ses finalités en droit communautaire, tout en respectant l’autonomie procédurale des États membres quant à la détermination de la compétence juridictionnelle interne.

A. Le caractère non fiscal du prélèvement au regard de ses objectifs

La Cour écarte une qualification fiscale du prélèvement en se fondant sur sa fonction au sein de l’organisation commune des marchés. Elle relève que, selon les termes mêmes du règlement qui l’institue, ce mécanisme est considéré « comme faisant partie des interventions destinées à la régularisation des marchés agricoles ». Le prélèvement n’est pas une ressource propre de la Communauté destinée à alimenter son budget général, mais un outil affecté à des dépenses spécifiques visant à élargir les marchés et à gérer les excédents dans le secteur laitier.

Cette qualification repose donc sur un critère téléologique : la finalité de la mesure prime sur sa forme. En liant directement la production aux possibilités d’écoulement, le prélèvement poursuit une fonction de régulation économique et de stabilisation du marché. Il ne s’agit pas de percevoir une recette fiscale, mais d’influencer le comportement des producteurs en les responsabilisant face aux déséquilibres du marché. Cette interprétation fonctionnelle permet de distinguer clairement le prélèvement des impôts et taxes traditionnels.

B. Une application du principe de l’autonomie procédurale des États membres

Tout en fournissant cette qualification au regard du droit communautaire, la Cour se garde d’intervenir dans la résolution du conflit de compétence interne. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il appartient à l’ordre juridique de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes pour assurer la protection des droits que les justiciables tirent de l’ordre juridique communautaire. Ce principe de l’autonomie procédurale implique que la qualification d’une situation juridique pour déterminer la compétence d’un tribunal relève du droit national.

Cependant, la Cour ne se limite pas à un simple renvoi au droit national. Elle précise que la qualification communautaire, bien que non contraignante pour la désignation de la juridiction, constitue un élément d’interprétation essentiel que le juge national doit prendre en considération. En définissant le prélèvement comme un instrument de politique économique agricole, la Cour fournit au juge de renvoi les « éléments du droit communautaire pouvant concourir à la solution du problème de compétence auquel il est confronté ». La coopération entre la Cour de justice et les juridictions nationales trouve ici une illustration de son efficacité, respectant les prérogatives de chacune.

Une fois la nature du mécanisme établie, il restait à la Cour à se prononcer sur sa validité au regard des principes fondamentaux du droit communautaire agricole.

II. La légitimité d’une approche globale face au principe de non-discrimination

La Cour valide le recours à un critère uniforme pour le calcul du prélèvement, considérant que les objectifs généraux de l’organisation commune de marché justifient une telle méthode, malgré ses répercussions variables sur les producteurs.

A. La primauté de l’objectif de stabilisation globale du marché

Face au grief de discrimination, la Cour rappelle que le prélèvement de coresponsabilité vise à remédier à un déséquilibre global du marché des produits laitiers, et non uniquement aux excédents de beurre. L’argument fondé sur la seule teneur en matières grasses est jugé réducteur, car il occulte la diversité des produits dérivés du lait, tels que le lait en poudre, les fromages ou le lait de consommation. La politique agricole commune doit être appréciée dans son ensemble.

Dans cette perspective, le recours au prix indicatif, qui constitue la « valeur centrale de l’organisation commune de marché », apparaît comme un critère objectif et cohérent. Il est conforme à l’article 40, paragraphe 3, du Traité, qui dispose qu’une politique commune des prix « doit être fondée sur des critères communs et sur des méthodes de calcul uniformes ». En choisissant un indicateur représentatif d’une moyenne communautaire, le législateur a privilégié une action linéaire et solidaire, demandant un effort égal à tous les producteurs pour stabiliser l’ensemble du marché.

B. L’admission d’effets différenciés en l’absence de traitement arbitraire

La Cour reconnaît que l’application d’un prélèvement uniforme peut avoir des répercussions différentes pour certains producteurs en fonction des spécificités de leur production ou des conditions locales. Toutefois, elle juge qu’une telle situation ne constitue pas une discrimination interdite par le Traité dès lors que la mesure repose sur des critères objectifs et qu’elle est adaptée aux besoins du fonctionnement global de l’organisation commune.

Ce faisant, la Cour confirme qu’une différence de traitement n’est constitutive d’une discrimination que si elle est arbitraire ou manifestement inappropriée au regard de l’objectif poursuivi. Elle reconnaît au Conseil un large pouvoir d’appréciation dans le choix des instruments de politique économique agricole. L’existence d’autres mécanismes possibles, voire l’adoption ultérieure de mesures plus différenciées comme le prélèvement supplémentaire, ne suffit pas à invalider rétrospectivement le choix opéré par le législateur, qui lui est apparu à l’époque comme le plus adapté pour atteindre l’objectif de responsabilisation des producteurs.

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