Arrêt de la Cour du 9 juillet 1987. – Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. – Régime fiscal du vin et de la bière. – Affaire 356/85.

Par un arrêt du 12 mars 1987, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les conditions d’application de l’article 95, alinéa 2, du traité CEE relatif aux impositions intérieures frappant les produits des autres États membres. En l’espèce, la législation d’un État membre soumettait les vins de raisins frais, très majoritairement importés, à un taux de taxe sur la valeur ajoutée de 25 %, tandis que la bière, une production nationale d’envergure, bénéficiait d’un taux réduit à 19 %. Une institution communautaire, soutenue par un État membre intervenant, a saisi la Cour d’un recours en manquement, estimant que cette différence de traitement fiscal constituait une mesure protectionniste prohibée. L’État membre défendeur contestait cette analyse, arguant d’une part que la concurrence entre le vin et la bière n’était que partielle, et d’autre part que la différence de taxation n’avait aucune incidence réelle sur les choix des consommateurs en raison de l’écart de prix substantiel entre les deux boissons. La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer si une différenciation fiscale entre deux produits concurrents, l’un importé et l’autre national, suffit à caractériser une protection de la production nationale au sens de l’article 95, alinéa 2, du traité, ou s’il est nécessaire de prouver que cette différenciation a un effet concret sur le marché. La Cour de justice juge que la simple constatation d’un rapport de concurrence et d’une différence de taux ne suffit pas ; il incombe à la partie requérante de démontrer que la charge fiscale est « de nature à influencer le marché en cause en diminuant la consommation potentielle des produits importés au profit des produits nationaux concurrents ». Faute d’une telle preuve, le recours est rejeté.

Il convient ainsi d’analyser la confirmation par la Cour d’une appréciation restrictive du rapport de concurrence (I), avant d’étudier l’exigence centrale de la démonstration d’un effet protecteur tangible (II).

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I. La confirmation d’une appréciation restrictive du rapport de concurrence

La Cour, pour définir le champ de la concurrence entre les deux boissons, s’en tient à une approche pragmatique et ciblée. Elle réaffirme sa jurisprudence constante sur la notion de substituabilité partielle entre le vin et la bière (A), ce qui la conduit à écarter l’existence d’un lien de concurrence généralisé entre ces produits (B).

A. La réitération du critère de la substituabilité partielle

La Cour rappelle sa position antérieure selon laquelle le vin et la bière peuvent répondre, dans une certaine mesure, à des besoins identiques, ce qui établit entre eux un degré de substitution. Cependant, ce rapport concurrentiel n’est pas absolu et doit être apprécié de manière nuancée. La Cour précise que « la relation de concurrence déterminante entre la bière, boisson populaire et largement consommée, et le vin doit être établie avec les vins les plus accessibles au grand public, qui sont, en général, les plus legers et les moins chers ». Cette approche écarte donc de la comparaison les vins de qualité supérieure, dont le prix et les occasions de consommation ne les placent pas en concurrence directe avec la bière.

En se fondant sur les caractéristiques objectives des produits et les habitudes de consommation, la Cour délimite le périmètre pertinent pour l’analyse fiscale. Elle privilégie une analyse économique concrète plutôt qu’une catégorisation juridique abstraite, considérant que seuls les produits véritablement interchangeables aux yeux du consommateur moyen doivent être comparés. Cette méthode permet d’éviter une extension excessive de l’application de l’article 95, alinéa 2, à des produits qui, bien qu’appartenant à la même catégorie générale de « boissons alcoolisées », ne se concurrencent pas sur le même segment de marché.

B. L’exclusion d’un lien de concurrence généralisé

En conséquence de cette approche ciblée, la Cour rejette la thèse de l’institution requérante qui soutenait que tous les vins de raisins frais devaient être considérés comme concurrents de la bière. Une telle vision extensive aurait simplifié l’analyse en postulant une concurrence sur l’ensemble de la catégorie, sans égard pour les différences de prix, de qualité et d’usage. La Cour, au contraire, insiste sur le fait que l’analyse de la concurrence doit se concentrer sur les produits qui constituent une « alternative de choix pour le consommateur ».

Ce refus d’une approche globale confirme que le champ d’application de l’article 95, alinéa 2, est conditionné par une démonstration factuelle précise du rapport de concurrence. Le raisonnement de la Cour établit que le simple fait qu’un produit soit importé et l’autre national ne suffit pas à présumer une concurrence sur toute la ligne. C’est donc bien sur le terrain des « vins de consommation courante » que la comparaison fiscale doit s’opérer, ce qui conditionne directement l’appréciation du caractère protecteur du régime fiscal.

II. L’exigence centrale de la démonstration d’un effet protecteur

Après avoir délimité le rapport de concurrence, la Cour articule sa décision autour de la nécessité de prouver l’effet protecteur de la mesure fiscale. Elle distingue clairement le critère d’appréciation applicable à l’alinéa 2 de l’article 95 de celui de l’alinéa 1 (A), faisant ainsi peser sur la partie requérante la charge d’une preuve économique tangible (B).

A. La distinction fondamentale entre similarité et concurrence

La Cour rappelle une distinction essentielle de sa jurisprudence. Alors que l’alinéa 1 de l’article 95, qui vise les produits similaires, requiert une simple comparaison des charges fiscales, l’alinéa 2, qui concerne les produits en concurrence, « s’attache a un critère plus global, a savoir le caractere protecteur d’un systeme d’impositions interieures ». La difficulté d’établir des comparaisons précises entre des produits non similaires justifie une analyse plus large, axée sur les conséquences économiques de l’imposition.

Cette différenciation méthodologique est déterminante. Pour des produits concurrents, une différence de taxation n’est pas en soi illicite ; elle ne le devient que si elle est de nature à fausser la concurrence en favorisant la production nationale. L’intention protectionniste n’a pas besoin d’être prouvée, mais l’effet protecteur, même potentiel, doit être établi. L’analyse ne peut donc se limiter à un constat formel de l’écart des taux de TVA, mais doit s’étendre à son incidence probable sur le marché.

B. La charge de la preuve d’une influence tangible sur le marché

La question cruciale devient celle de savoir si la différence de 6 % entre les taux de TVA est susceptible d’influencer le consommateur. La Cour examine les arguments chiffrés des parties, notamment l’écart de prix de vente entre un litre de bière et un litre de vin ordinaire. L’État membre défendeur a soutenu que même avec une fiscalité identique, la différence de prix resterait si importante que le comportement du consommateur ne serait pas affecté.

La Cour constate que l’institution requérante « n’a pas mis en évidence que l’écart entre les prix respectifs des qualités comparables de la bière et du vin soit à tel point mineur que la différence de 6 % existant entre les taux de la TVA pour les deux produits est susceptible d’influencer le comportement du consommateur ». De même, les statistiques sur l’évolution de la consommation des deux boissons sont jugées insuffisantes pour établir un lien de causalité certain avec la fiscalité. En plaçant ainsi la barre de la preuve à un niveau élevé, la Cour exige une démonstration économique robuste de l’effet protecteur. Cet arrêt confirme que, dans le cadre de l’article 95, alinéa 2, la simple présomption d’un effet ne saurait suffire.

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