Arrêt de la Cour du 9 juillet 1992. – Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. – Manquement d’État – Interdiction de déposer des déchets provenant d’un autre État membre. – Affaire C-2/90.

Par un arrêt en date du 9 juillet 1992, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé le régime applicable aux mouvements transfrontaliers de déchets au sein de la Communauté. En l’espèce, une région d’un État membre avait adopté une réglementation interdisant sur son territoire l’entreposage, le dépôt ou le déversement de déchets provenant d’un autre État membre ou d’une autre région du même État. Saisie d’un recours en manquement, la Commission des Communautés européennes soutenait que cette interdiction générale et absolue était contraire à plusieurs instruments du droit communautaire. Elle invoquait la violation de la directive 75/442/CEE relative aux déchets, de la directive 84/631/CEE concernant les transferts de déchets dangereux, ainsi que des articles 30 et 36 du traité CEE relatifs à la libre circulation des marchandises. L’État membre défendeur contestait cette analyse, arguant notamment que certains déchets ne constituaient pas des marchandises et que la mesure était justifiée par des exigences impératives de protection de l’environnement face à un afflux massif de déchets. Il revenait donc à la Cour de déterminer si une interdiction nationale d’importer des déchets était compatible avec le droit communautaire, en distinguant le régime applicable aux déchets dangereux de celui des déchets non dangereux. La Cour a jugé que l’interdiction violait la directive sur les déchets dangereux, car celle-ci a mis en place une procédure de contrôle exhaustive, mais a estimé qu’elle était justifiée pour les autres déchets au regard de la protection de l’environnement. La Cour opère ainsi une distinction nette entre les déchets dangereux, dont le régime est jugé harmonisé (I), et les autres déchets, pour lesquels une solution originale est dégagée au regard des libertés de circulation (II).

I. L’affirmation d’un régime harmonisé pour les déchets dangereux

La Cour constate d’abord que le droit communautaire a institué un système complet et détaillé pour encadrer les mouvements de déchets dangereux. Ce faisant, elle affirme la prééminence d’un régime harmonisé fondé sur une procédure de contrôle spécifique (A), ce qui rend par conséquent invalide toute mesure nationale d’interdiction générale et absolue (B).

A. Un système complet fondé sur la notification et le contrôle

La Cour examine la portée de la directive 84/631/CEE, qui organise la surveillance et le contrôle des transferts transfrontaliers de déchets dangereux. Elle relève que ce texte met en place « un système complet » basé sur une obligation de notification préalable par le détenteur des déchets. Cette notification, formalisée par un « document de suivi » uniforme, doit contenir des informations précises sur l’origine, la composition et l’itinéraire des déchets. Le transfert ne peut s’effectuer qu’après que les autorités compétentes des États concernés ont accusé réception de cette notification. Surtout, la directive ménage une faculté pour ces autorités de « s’opposer » à un transfert.

Toutefois, cette opposition ne peut être discrétionnaire. Elle doit être dûment motivée « sur la base des dispositions législatives et réglementaires en matière de protection de l’environnement, d’ordre public et de sécurité publique ou de protection de la santé ». La Cour souligne ainsi que si les États membres conservent une prérogative pour refuser un envoi, cette dernière est strictement encadrée et ne peut s’exercer que de manière ponctuelle. Il s’agit d’interdire « un transfert de déchets dangereux déterminé » et non les transferts en général. Le mécanisme prévu par le législateur communautaire est donc une procédure de contrôle au cas par cas, et non un outil permettant des interdictions de principe.

B. L’incompatibilité d’une interdiction nationale absolue

Ayant posé le caractère exhaustif du système de la directive, la Cour en déduit logiquement l’illégalité de la réglementation régionale litigieuse. En instaurant une interdiction absolue d’importer des déchets dangereux sur son territoire, la région a purement et simplement écarté l’application de la procédure communautaire. Une telle mesure, même assortie d’une possibilité de dérogation pour des circonstances exceptionnelles, est fondamentalement contraire à l’économie du texte. La Cour est particulièrement claire sur ce point lorsqu’elle affirme que « ce système ne laisse entendre aucune possibilité pour les États membres d’interdire globalement ces mouvements ».

La solution est une application classique du principe de primauté du droit communautaire et de l’effet utile des directives. Dès lors que le législateur communautaire a procédé à une harmonisation complète dans un domaine, les États membres ne peuvent plus maintenir ou introduire des règles nationales unilatérales qui contrediraient la logique et les objectifs du système mis en place. L’État membre ne pouvait donc se prévaloir d’aucune justification pour substituer sa propre politique d’interdiction à la procédure de notification et de contrôle prévue. Le manquement est ainsi caractérisé de manière certaine sur ce point.

Si la solution concernant les déchets dangereux apparaît logique au regard du droit dérivé, l’analyse relative aux déchets non dangereux se révèle plus novatrice en se fondant directement sur les principes du traité.

II. Le statut singulier des déchets non dangereux au regard de la libre circulation

Pour les déchets non couverts par la directive sur les déchets dangereux, la Cour se livre à une analyse en deux temps. Elle commence par affirmer sans ambiguïté que tous les déchets, quelle que soit leur nature, constituent des marchandises (A), avant d’admettre, de manière plus surprenante, qu’une entrave à leur circulation peut être justifiée par des motifs environnementaux spécifiques à leur nature (B).

A. La qualification de marchandise étendue à tout type de déchet

La Cour devait d’abord répondre à l’argument de l’État défendeur selon lequel les déchets non recyclables et non réutilisables, dépourvus de valeur commerciale, ne sauraient être considérés comme des marchandises au sens de l’article 30 du traité. La Cour écarte cette thèse avec fermeté. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « des objets qui sont transportés par delà une frontière pour donner lieu à des transactions commerciales sont soumis à l’article 30, quelle que soit la nature de ces transactions ». Peu importe que le flux financier aille du producteur de déchets vers l’éliminateur et non l’inverse. Le fait qu’une opération d’élimination fasse l’objet d’une prestation de services rémunérée suffit à la qualifier de transaction commerciale.

De surcroît, la Cour met en avant un argument pragmatique tenant à la difficulté de distinguer les déchets recyclables de ceux qui ne le sont pas, cette distinction étant « fondée sur des éléments incertains, susceptibles de changer au fil du temps, en fonction du progrès technique ». En conséquence, elle conclut que « les déchets, recyclables ou non, doivent être considérés comme des produits dont la circulation, conformément à l’article 30 du traité, ne devrait pas en principe être empêchée ». Cette position consacre une conception très large de la notion de marchandise, garantissant l’application du principe de libre circulation à l’ensemble des déchets.

B. La justification d’une entrave par les exigences de la protection de l’environnement

Bien que les déchets soient des marchandises, la Cour accepte la justification de l’État membre pour l’entrave créée. Elle reconnaît que la protection de l’environnement constitue une exigence impérative susceptible de justifier des mesures nationales restreignant la libre circulation. Normalement, de telles justifications ne sont admises que pour des mesures indistinctement applicables aux produits nationaux et importés. Or, l’interdiction en cause était manifestement discriminatoire. C’est sur ce point que l’arrêt innove de manière significative. Pour écarter le caractère discriminatoire de la mesure, la Cour se fonde sur « la particularité des déchets ».

Elle invoque le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, consacré à l’article 130 R, paragraphe 2, du traité. Ce principe, combiné à ceux d’autosuffisance et de proximité, « implique qu’il appartient à chaque région, commune ou autre entité locale de prendre les mesures appropriées afin d’assurer la réception, le traitement et l’élimination de ses propres déchets ». En raison de ce lien intrinsèque entre les déchets et leur lieu de production, une mesure qui traite différemment les déchets locaux et les déchets étrangers n’est pas considérée comme discriminatoire. La Cour conclut que « compte tenu des différences entre les déchets produits d’un lieu à un autre et de leur lien avec le lieu de leur production, les mesures contestées ne sauraient être considérées comme discriminatoires ». Cette analyse audacieuse permet de légitimer une mesure protectionniste au nom de l’environnement, en créant une exception notable aux règles classiques de la libre circulation pour la catégorie très spécifique des déchets.

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