Arrêt de la Cour du 9 juin 1982. – Commission des Communautés européennes contre Grand-Duché de Luxembourg. – Manquement d’État – Égalité de rémunération. – Affaire 58/81.

Par un arrêt en date du 9 juin 1982, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur le manquement d’un État membre à ses obligations découlant du droit communautaire. En l’espèce, une directive de 1975 visait à assurer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et féminins, et imposait aux États membres de prendre les mesures nécessaires à sa mise en œuvre dans un délai d’un an, soit avant le 12 février 1976. La Commission des Communautés européennes a constaté que la législation d’un État membre relative à l’octroi d’une allocation de chef de famille à ses fonctionnaires demeurait non conforme aux exigences de cette directive. Face à cette situation, la Commission a engagé un recours en manquement sur le fondement de l’article 169 du traité CEE. L’État défendeur n’a pas contesté le manquement, mais a tenté de justifier son retard par la nécessité d’adopter un acte législatif, d’étudier les conséquences budgétaires de la réforme et de mener des discussions avec les représentants des fonctionnaires. La question de droit qui se posait à la Cour était donc de savoir si des difficultés d’ordre interne, qu’elles soient de nature procédurale, budgétaire ou sociale, pouvaient justifier le non-respect par un État membre de ses obligations de transposition d’une directive. À cette question, la Cour de justice répond par une négative catégorique en rappelant qu’« un état membre ne saurait exciper de dispositions , pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations resultant des directives communautaires ». Cette décision, par la clarté de son attendu de principe, illustre la rigueur avec laquelle la Cour contrôle le respect par les États de leurs engagements (I). Ce faisant, elle réaffirme un principe essentiel qui garantit l’effectivité et l’uniformité du droit communautaire, dont la portée reste fondamentale pour l’intégration (II).

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I. L’inflexible constatation du manquement face aux prétextes nationaux

L’arrêt commenté met en lumière la méthode stricte de la Cour de justice dans l’appréciation du manquement d’un État, en écartant toute justification issue de l’ordre interne (A) pour s’en tenir à une constatation purement objective de la violation du traité (B).

A. Le rejet des justifications tirées de l’ordre juridique interne

La Cour de justice oppose une fin de non-recevoir aux arguments avancés par l’État défendeur. Celui-ci invoquait des contraintes liées à son processus législatif interne, des considérations budgétaires et la nécessité d’un dialogue social. Toutefois, la Cour considère ces éléments comme étant totalement inopérants pour excuser le non-respect d’une obligation communautaire. En agissant ainsi, elle réitère que l’obligation de transposer une directive dans les délais prescrits est une obligation de résultat. Les modalités de mise en œuvre relèvent de la compétence des États, mais les difficultés qu’ils peuvent rencontrer dans ce cadre ne sauraient suspendre ou annuler leurs engagements européens. La position de la Cour est sans équivoque : les complexités administratives ou politiques internes ne constituent pas une excuse valable.

B. Le caractère objectif du manquement à l’obligation de transposition

La procédure en manquement, telle que prévue par le traité, conduit à une appréciation objective de la situation. Il ne s’agit pas pour la Cour de porter un jugement sur la volonté ou la négligence de l’État en cause, mais uniquement de constater si, à l’expiration du délai fixé, la législation nationale a été mise en conformité avec les exigences du droit communautaire. En l’espèce, l’État membre a lui-même reconnu ne pas avoir adopté les mesures nécessaires à temps. Le manquement est donc matériellement constitué par le simple fait que le résultat prescrit par la directive n’a pas été atteint dans le délai imparti. La Cour n’a donc pas d’autre choix que de déclarer que « le grand-duche de luxembourg a manque aux obligations qui lui incombent en vertu du traite CEE ».

En refusant toute pertinence aux difficultés nationales, la Cour ne fait pas seulement preuve de rigueur ; elle consolide un principe cardinal de l’ordre juridique communautaire.

II. La consécration d’un principe garant de l’ordre juridique communautaire

Cette décision, bien que s’inscrivant dans une jurisprudence constante, est une réaffirmation puissante de la primauté et de l’effet utile du droit communautaire (A), dont la portée est essentielle pour l’intégrité du projet d’intégration (B).

A. L’affirmation de la primauté et de l’effet utile du droit communautaire

En déclarant qu’un État ne peut se prévaloir de son droit interne pour se soustraire à ses obligations, la Cour rappelle le principe de la primauté du droit communautaire. Si les États pouvaient invoquer leurs propres règles ou pratiques pour justifier un manquement, l’ensemble de l’édifice juridique communautaire perdrait sa force contraignante. L’application des directives deviendrait inégale et aléatoire, variant d’un État à l’autre en fonction de ses contingences politiques ou administratives. Ce faisant, la Cour garantit également l’effet utile des directives. Celles-ci sont adoptées pour atteindre des objectifs précis d’harmonisation, et leur efficacité serait anéantie si leur mise en œuvre pouvait être indéfiniment reportée. La solution n’est donc pas une simple sanction, mais bien la condition de survie d’un ordre juridique commun et autonome.

B. La portée de la solution pour l’intégration et la protection des droits

La portée de cet arrêt dépasse largement le cas d’espèce et demeure d’une actualité constante. Ce principe oblige les États membres à organiser leurs systèmes juridiques et administratifs de manière à pouvoir respecter leurs engagements européens en temps voulu. Il constitue un moteur puissant d’adaptation des ordres juridiques nationaux au droit de l’Union. En outre, cette jurisprudence protège indirectement mais sûrement les droits que les directives confèrent aux particuliers. Dans cette affaire, le respect du délai de transposition était la condition pour que les travailleurs féminins bénéficient effectivement du principe d’égalité de rémunération. En sanctionnant le retard de l’État, la Cour assure que les droits issus du droit communautaire ne restent pas lettre morte et contribue ainsi à faire de l’Union un espace de droit effectif pour ses citoyens.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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