Dans l’affaire 823/79, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’articulation entre la libre circulation des marchandises et les prérogatives fiscales des États membres. En l’espèce, un ressortissant italien résidant en Italie faisait l’objet de poursuites pénales pour avoir utilisé sur le territoire national un véhicule automobile immatriculé en Allemagne. Ce véhicule bénéficiait d’un régime d’importation temporaire, le dispensant ainsi du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée normalement due lors de l’importation. La législation italienne en vigueur interdisait cependant aux résidents de se prévaloir d’un tel régime, qualifiant l’infraction de contrebande.
Saisie d’une procédure pénale à l’encontre de ce résident, la juridiction italienne a sursis à statuer afin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait pour le juge national de déterminer si la réglementation communautaire relative à la libre circulation des marchandises s’opposait à une législation nationale qui, d’une part, soumet l’importation de véhicules au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée et, d’autre part, interdit sous peine de sanctions pénales aux résidents de l’État concerné d’utiliser des véhicules ayant bénéficié d’une exemption de cette taxe au titre d’un régime d’importation temporaire. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à savoir si un État membre peut restreindre l’usage des biens en transit douanier pour ses propres résidents au nom d’impératifs fiscaux, sans violer l’une des libertés fondamentales du traité.
À cette question, la Cour de justice répond par la négative. Elle juge que « les regles du traite CEE relatives a la libre circulation des marchandises ne font pas obstacle a ce qu ‘ une reglementation nationale impose aux residents sur le territoire D ‘ un etat membre L ‘ interdiction , sanctionnee penalement , D ‘ utiliser des vehicules automobiles qui ont beneficie D ‘ un regime D ‘ importation temporaire et qui sont donc exempts du paiement de la taxe sur la valeur ajoutee ». La Cour valide ainsi la mesure nationale en la reconnaissant comme un instrument légitime de contrôle fiscal (I), consacrant par là même la primauté des exigences fiscales sur une application absolue de la libre circulation (II).
I. La validation d’une restriction à la libre circulation justifiée par la lutte contre la fraude fiscale
La Cour de justice fonde sa décision sur la reconnaissance d’une compétence étatique encadrée par le droit communautaire en matière d’importation temporaire (A), ce qui la conduit à admettre la proportionnalité de la mesure nationale par rapport à l’objectif poursuivi (B).
A. La reconnaissance de la compétence des États membres en matière d’importation temporaire
La Cour rappelle d’emblée que le régime de l’importation en franchise temporaire est encadré tant par le droit international que par le droit communautaire dérivé. Elle se réfère à la Convention de New York de 1954, qui réserve le bénéfice de ce régime aux personnes ayant leur résidence normale en dehors du territoire d’importation. Cette convention, ratifiée par tous les États membres, constitue un socle juridique commun. Plus encore, la Cour s’appuie sur les directives en matière de taxe sur la valeur ajoutée pour asseoir sa solution. Elle souligne notamment que la sixième directive du 17 mai 1977 prévoit que « les etats membres exonerent , dans des conditions qu ‘ ils fixent en vue D ‘ assurer L ‘ application correcte et simple des exonerations prevues et de prevenir toute fraude , evasion et abus eventuels », les biens placés sous un régime d’admission temporaire.
Par cette analyse, la Cour établit que loin d’avoir été entièrement dessaisis de leur compétence, les États membres conservent « un large pouvoir D ‘ intervention en matiere D ‘ importation temporaire ». Cette compétence n’est pas discrétionnaire mais finalisée : elle doit viser à empêcher les abus et la fraude fiscale. La législation nationale contestée ne fait donc que mettre en œuvre une prérogative explicitement ménagée par le droit communautaire lui-même. En réservant le bénéfice de l’exonération de taxe aux non-résidents, l’État membre ne fait qu’exercer le pouvoir de contrôle qui lui est reconnu.
B. L’admission d’une mesure nationale proportionnée à l’objectif de prévention fiscale
Une fois la compétence de l’État membre établie, la Cour examine si la mesure adoptée est adéquate et nécessaire pour atteindre l’objectif de prévention de la fraude fiscale. Elle considère que l’interdiction faite aux résidents d’utiliser des véhicules sous un régime d’importation temporaire « constitue un moyen efficace pour prevenir les fraudes fiscales et assurer que les taxes sont payees dans le pays de destination des biens ». En effet, autoriser les résidents à utiliser de tels véhicules créerait une brèche dans le système fiscal, incitant à des importations fictivement temporaires pour éluder la taxe sur la valeur ajoutée.
Pour conforter son analyse, la Cour opère une référence notable à une proposition de directive de 1975 qui prévoyait expressément d’interdire le prêt d’un moyen de transport importé temporairement à un résident de l’État d’importation. Bien que non contraignant, ce texte révèle l’orientation du législateur communautaire et la cohérence de la mesure nationale avec l’esprit du droit communautaire. La restriction à la libre circulation est ainsi jugée non excessive car elle est directement liée à la prévention d’un risque fiscal avéré et s’inscrit dans une logique partagée au niveau européen.
La reconnaissance de la légitimité de cette restriction fiscale emporte des conséquences importantes quant à la portée du principe de libre circulation, qui se trouve ainsi subordonné à des impératifs supérieurs.
II. La portée de la primauté des impératifs fiscaux sur la liberté de circulation
La solution retenue par la Cour de justice confirme le caractère non absolu de la libre circulation des marchandises (A) et, par extension, légitime le recours à la sanction pénale comme un corollaire de la souveraineté fiscale des États membres (B).
A. La confirmation du caractère non absolu de la libre circulation des marchandises
Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante qui, tout en affirmant le caractère fondamental des libertés de circulation, admet qu’elles puissent être limitées par des exigences impérieuses d’intérêt général. L’efficacité des contrôles fiscaux et la lutte contre la fraude fiscale constituent l’une de ces exigences. La Cour ne dit pas que la mesure nationale n’est pas une entrave à la libre circulation des marchandises ; elle juge que cette entrave est justifiée. La taxe sur la valeur ajoutée étant une ressource essentielle des budgets nationaux et un impôt harmonisé, la cohérence de son application prime sur la faculté pour un résident de bénéficier d’un régime dérogatoire.
La portée de la décision est de clarifier que le principe de libre circulation ne saurait être invoqué pour contourner une législation fiscale nationale conforme aux objectifs du droit communautaire. L’interdiction est générale et s’applique à tous les résidents sans discrimination, ce qui la rend compatible avec les principes fondamentaux du traité. L’arrêt délimite ainsi une frontière claire entre l’exercice légitime d’une liberté communautaire et son détournement à des fins d’évasion fiscale, réaffirmant que les libertés de circulation ne créent pas un droit à la fraude.
B. La légitimation de la sanction pénale comme corollaire de la souveraineté fiscale
La Cour achève son raisonnement en se prononçant sur la nature de la sanction. Une fois la compatibilité de la règle de fond reconnue, elle en déduit logiquement la validité de son appareil répressif. Elle affirme qu’« il N ‘ existe pas D ‘ arguments permettant de mettre en doute le pouvoir D ‘ un etat membre de sanctionner penalement L ‘ inobservation de la reglementation nationale ». En matière de droit pénal, les États membres conservent une compétence de principe, pourvu que les sanctions prévues soient nécessaires, proportionnées et dissuasives, et ne constituent pas une restriction déguisée.
En l’espèce, la Cour valide implicitement le choix de la sanction pénale comme un instrument adéquat pour assurer le respect de la législation fiscale. La qualification de contrebande, bien que sévère, est considérée comme relevant de l’appréciation de l’État membre pour garantir l’effectivité de ses prérogatives fiscales. Cette solution réaffirme que l’intégration communautaire, si poussée soit-elle, n’a pas pour effet de priver les États membres des attributs de leur souveraineté, notamment le pouvoir de définir et de réprimer les atteintes à leurs intérêts financiers fondamentaux, dès lors que l’exercice de ce pouvoir respecte le cadre tracé par le droit de l’Union.