Arrêt de la Cour du 9 octobre 2001. – Royaume des Pays-Bas contre Parlement européen et Conseil de l’Union européenne. – Annulation – Directive 98/44/CE – Protection juridique des inventions biotechnologiques – Base juridique – Article 100 A du traité CE (devenu, après modification, article 95 CE), article 235 du traité CE (devenu article 308 CE) ou articles 130 et 130 F du traité CE (devenus articles 157 CE et 163 CE) – Subsidiarité – Sécurité juridique – Obligations de droit international des Etats membres – Droits fondamentaux – Dignité de la personne humaine – Principe de collégialité pour les projets législatifs de la Commission. – Affaire C-377/98.

Par un arrêt du 9 octobre 2001, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une directive visant à harmoniser la protection juridique des inventions biotechnologiques au sein de l’Union. En l’espèce, un État membre avait introduit un recours en annulation contre la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 1998, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques. Soutenu en intervention par deux autres États, le requérant soulevait plusieurs moyens pour contester la validité de cet acte, arguant notamment d’un choix erroné de la base juridique, d’une violation des principes de subsidiarité et de sécurité juridique, ainsi que d’une méconnaissance d’obligations internationales et du droit fondamental au respect de la dignité humaine. Les institutions défenderesses, le Parlement et le Conseil, soutenus par la Commission, concluaient au rejet du recours. Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer si le législateur communautaire, en adoptant des règles communes sur la brevetabilité du vivant, avait agi dans les limites de ses compétences et dans le respect des normes supérieures, notamment les droits fondamentaux. La Cour de justice a rejeté l’intégralité du recours, validant ainsi la directive. Elle a jugé que l’harmonisation des législations nationales en matière de brevets biotechnologiques relevait bien de l’objectif d’établissement du marché intérieur et que le texte n’enfreignait ni les principes généraux du droit communautaire ni les engagements internationaux des États membres, tout en offrant des garanties suffisantes pour la protection de la dignité humaine.

Cette décision permet à la Cour de justice de légitimer l’action du législateur européen dans un domaine sensible, en validant une harmonisation fondée sur les impératifs du marché intérieur (I), tout en s’assurant que cette protection des inventions est conciliée avec le respect des principes supérieurs du droit (II).

I. La validation d’une harmonisation fondée sur les impératifs du marché intérieur

La Cour confirme la démarche du législateur en approuvant le fondement juridique de son action (A) et en écartant les critiques relatives à l’insécurité juridique que la directive aurait engendrée (B).

A. La consécration de l’article 95 CE comme base juridique appropriée

L’État requérant, soutenu par une partie intervenante, contestait le choix de l’article 100 A du traité CE (devenu article 95 CE) comme base juridique, estimant que l’objectif principal de la directive relevait de la politique industrielle ou de la recherche. La Cour rejette cette argumentation en s’attachant à l’objet principal de l’acte. Elle relève que, si la directive vise à favoriser la recherche et le développement, elle y parvient en levant les obstacles juridiques nés des divergences entre les législations nationales. Pour la Cour, « le rapprochement des législations des États membres ne constitue donc pas un objectif incident ou auxiliaire de la directive, mais correspond à son essence même ». Cette approche confirme une jurisprudence constante selon laquelle le recours à la base juridique du marché intérieur est justifié dès lors que les disparités entre législations nationales sont susceptibles d’entraver les libertés fondamentales ou de fausser la concurrence. La Cour reconnaît que l’existence de pratiques et de jurisprudences divergentes en matière de brevetabilité des inventions biotechnologiques créait une incertitude préjudiciable au bon fonctionnement du marché intérieur, justifiant ainsi une action d’harmonisation. En validant ce choix, elle renforce la compétence communautaire pour légiférer dans des domaines où les enjeux économiques se heurtent à des sensibilités éthiques nationales, dès lors qu’une entrave aux échanges est vraisemblable.

B. La clarification du régime de brevetabilité des inventions biotechnologiques

Le requérant soutenait également que la directive aggravait l’insécurité juridique, notamment par l’emploi de notions jugées équivoques comme « l’ordre public et les bonnes mœurs » et par l’ambiguïté des dispositions relatives à la brevetabilité des variétés végétales. Sur le premier point, la Cour estime que l’article 6 de la directive, qui exclut de la brevetabilité les inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire à l’ordre public, laisse aux États une « large marge de manœuvre ». Elle considère cette marge nécessaire pour tenir compte du contexte social et culturel de chaque État membre, tout en soulignant qu’elle n’est pas discrétionnaire, car la directive fournit un cadre interprétatif, notamment par une liste non exhaustive de procédés exclus. Sur le second point, la Cour s’efforce de dissiper toute incohérence. Elle explique qu’il ressort de l’article 4 que si les variétés végétales en tant que telles ne sont pas brevetables, une invention peut l’être « dont la faisabilité technique n’est pas limitée à une variété végétale déterminée ». Une distinction est ainsi établie : une modification génétique portant sur une variété spécifique reste exclue du brevet, tandis qu’une invention d’une portée plus générale, concernant par exemple une espèce entière, demeure brevetable. Cette analyse clarifie l’articulation entre le droit des brevets et le droit des obtentions végétales, et confirme que la protection conférée par un brevet peut s’étendre à une matière biologique qui n’est pas elle-même brevetable en tant que telle.

II. La conciliation de la protection des inventions avec les principes supérieurs du droit

La Cour de justice examine attentivement la conformité de la directive aux droits fondamentaux et aux engagements internationaux (A), définissant ainsi la portée de son contrôle juridictionnel face à des enjeux éthiques complexes (B).

A. Le respect encadré de la dignité humaine et des obligations internationales

Le moyen le plus sensible du recours concernait la violation du droit à la dignité humaine, au motif que la directive permettrait de breveter des éléments isolés du corps humain. La Cour répond en soulignant que « le corps humain demeure effectivement indisponible et inaliénable et qu’ainsi la dignité humaine soit sauvegardée ». Elle s’appuie sur l’article 5 de la directive, qui opère une distinction fondamentale : le corps humain et la simple découverte de l’un de ses éléments ne sont pas brevetables. En revanche, une invention associant un élément naturel à un procédé technique permettant de l’isoler ou de le produire en vue d’une application industrielle peut faire l’objet d’un brevet. Ainsi, ce n’est pas la matière biologique humaine qui est protégée, mais le résultat d’un travail inventif. La protection ne s’étend pas à l’élément dans son environnement naturel et exige la description d’une application industrielle concrète, distinguant ainsi l’invention de la simple découverte. La Cour rejette également l’argument tiré de la violation d’engagements internationaux. Elle rappelle que la légalité d’un acte communautaire ne s’apprécie pas au regard de conventions auxquelles l’Union n’est pas partie, comme la Convention sur le brevet européen. Quant aux accords pertinents, comme la Convention sur la diversité biologique, la Cour estime que la directive n’impose pas aux États membres de violer leurs obligations, mais leur enjoint au contraire de les respecter dans sa mise en œuvre.

B. La portée d’un contrôle juridictionnel limité aux aspects de légalité

En répondant aux arguments du requérant, la Cour délimite la portée de son contrôle. Face au grief relatif à l’absence de clause imposant la vérification du consentement du donneur pour les éléments d’origine humaine, la Cour le juge inopérant. Elle précise que la directive « porte seulement sur la délivrance des brevets et dont le champ d’application ne s’étend par conséquent pas aux opérations antérieures et postérieures à cette délivrance ». Le contrôle éthique de la recherche en amont ou de l’utilisation des produits brevetés en aval ne relève donc pas de cet acte d’harmonisation, mais des législations nationales ou d’autres instruments du droit de l’Union. La directive ne se substitue pas aux normes éthiques existantes, mais s’insère dans un cadre juridique plus large. Cet arrêt illustre la retenue du juge communautaire, qui se refuse à examiner l’opportunité de la politique suivie par le législateur. Son contrôle se cantonne à la légalité de l’acte au regard des compétences, des formes et des normes juridiques supérieures. En validant la directive, la Cour ne tranche pas le débat éthique sur la brevetabilité du vivant, mais confirme que le législateur de l’Union a exercé sa compétence d’harmonisation dans un cadre juridique jugé suffisamment protecteur des principes fondamentaux.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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