Arrêt de la Cour (première chambre) du 10 avril 2003. – Commission des Communautés européennes contre République française. – Manquement d’État – Directive 98/8/CE – Non-transposition dans le délai prescrit. – Affaire C-114/02.

Par un arrêt du 14 janvier 2003, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’un recours en manquement, s’est prononcée sur les conséquences du défaut de transposition d’une directive par un État membre. En l’espèce, une directive du 16 février 1998 relative à la mise sur le marché des produits biocides devait être transposée par les États membres au plus tard le 14 mai 2000. N’ayant reçu aucune information de la part d’un État membre concernant les mesures de mise en œuvre, l’institution agissant en qualité de gardienne des traités a engagé une procédure en manquement. Après une mise en demeure restée sans réponse, elle a émis un avis motivé le 2 février 2001, invitant l’État à se conformer dans un délai de deux mois. L’État membre a alors informé l’institution de l’existence d’un projet de texte, puis a transmis une ordonnance assurant une transposition jugée très partielle. Estimant que le manquement perdurait, l’institution a introduit un recours devant la Cour de justice. L’État défendeur, tout en reconnaissant ne pas avoir complètement transposé la directive, invoquait pour sa défense la complexité de la procédure interne d’évaluation des dossiers. La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si des difficultés d’ordre interne peuvent justifier le non-respect par un État membre de l’obligation de transposer une directive dans le délai imparti. La Cour de justice a constaté le manquement, rappelant que l’existence de celui-ci s’apprécie à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé et qu’un État membre ne peut se prévaloir de situations de son ordre juridique interne pour justifier une méconnaissance de ses obligations communautaires.

Cette décision illustre avec clarté la rigueur avec laquelle le juge de l’Union contrôle le respect par les États membres de leurs obligations, en appliquant des principes jurisprudentiels établis (I). La solution, bien que classique, réaffirme ainsi avec force les exigences fondamentales de primauté et d’effectivité du droit de l’Union, qui garantissent la cohésion de l’ordre juridique communautaire (II).

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I. La constatation formelle du manquement par l’application de principes établis

L’analyse de la Cour repose sur une méthode d’évaluation stricte, indifférente aux causes du retard, qu’il s’agisse de la temporalité de l’appréciation du manquement (A) ou du rejet systématique des justifications d’origine interne (B).

A. Une appréciation du manquement cristallisée à l’expiration du délai de l’avis motivé

La Cour rappelle d’emblée un principe fondamental de la procédure en manquement. Elle énonce que, « selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé ». Cette règle fixe un point de référence temporel intangible pour l’examen du juge. Peu importe que des mesures correctrices aient été prises ou soient sur le point de l’être après cette date butoir ; la Cour se place uniquement au jour où le délai de deux mois octroyé par l’avis motivé a expiré pour photographier la situation juridique de l’État membre. En l’espèce, il était constant que la transposition complète n’était pas assurée à ce moment précis, ce qui suffisait à caractériser matériellement l’infraction. Le raisonnement de la Cour est donc objectif et factuel, excluant toute considération subjective sur la bonne ou mauvaise volonté de l’État défendeur ou sur les progrès réalisés postérieurement. Cette approche garantit la sécurité juridique et l’égalité de traitement entre les États membres.

B. Le rejet constant des justifications tirées de l’ordre juridique interne

Face à l’argument de l’État membre, qui expliquait son retard par la « nécessité d’organiser de manière optimale la procédure d’évaluation des dossiers », la Cour oppose une autre de ses jurisprudences les plus établies. Elle affirme en effet qu’« un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations et délais prescrits par une directive ». Cette fin de non-recevoir est absolue et vise à préserver l’intégrité et la suprématie du droit de l’Union. Admettre de telles justifications reviendrait à permettre à chaque État de moduler ses obligations communautaires en fonction de ses propres contraintes administratives, législatives ou même politiques. Une telle situation anéantirait l’uniformité d’application du droit et créerait une insécurité juridique inacceptable. La complexité d’une réforme, les difficultés de coordination entre ministères ou les délais parlementaires sont donc des circonstances inopérantes devant le juge de l’Union, qui considère que chaque État doit organiser ses propres structures pour garantir le respect de ses engagements.

II. La portée de la solution : une réaffirmation de l’effectivité du droit de l’Union

Au-delà de la solution d’espèce, cet arrêt a une portée qui dépasse le simple cas de la directive sur les produits biocides. Il constitue un rappel pédagogique de l’impératif d’effectivité du droit de l’Union (A) et confirme le rôle essentiel du recours en manquement dans l’architecture institutionnelle (B).

A. Une jurisprudence garante de la primauté et de l’uniformité du droit

En refusant de prendre en compte les difficultés internes de l’État membre, la Cour ne fait pas preuve d’un formalisme excessif mais défend le fondement même de l’ordre juridique de l’Union. Le principe de primauté exige que les normes de l’Union l’emportent sur les normes nationales contraires, et cette exigence serait vide de sens si les États pouvaient se soustraire à leurs obligations de transposition. De même, l’objectif d’harmonisation poursuivi par les directives, comme celle relative aux produits biocides, suppose une application simultanée et homogène sur tout le territoire de l’Union. Un retard de transposition dans un seul État peut créer des distorsions de concurrence, des risques pour la santé ou l’environnement, et porter atteinte aux droits que les particuliers tirent de ces directives. La rigueur de la Cour est donc la condition nécessaire pour que le droit de l’Union soit une réalité tangible et uniforme pour tous les citoyens et entreprises.

B. Une illustration du rôle de gardien des traités et de la fonction du recours en manquement

Cette décision, par sa simplicité et sa prévisibilité, est une parfaite illustration de la mécanique du recours en manquement. Elle met en lumière la fonction de l’institution requérante en tant que « gardienne des traités », dont la vigilance est le premier moteur du respect du droit de l’Union. Elle confirme également que le recours en manquement n’est pas une procédure de nature pénale visant à sanctionner une faute, mais un mécanisme objectif visant à faire constater et cesser une violation du droit. La condamnation de l’État est déclaratoire ; elle constate une situation de non-droit et oblige l’État à y remédier. Bien qu’il s’agisse d’une décision d’espèce, sans apport doctrinal nouveau, sa valeur réside dans sa force de rappel. Elle signifie à l’ensemble des États membres que les obligations de transposition ne sont pas négociables et que les procédures internes doivent être adaptées pour respecter les échéances fixées par le législateur de l’Union.

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