Par un arrêt rendu dans l’affaire C-370/99, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur le manquement d’un État membre à ses obligations découlant du droit communautaire. En l’espèce, la directive 96/9/CE du 11 mars 1996, relative à la protection juridique des bases de données, imposait aux États membres une obligation de transposition en droit interne avant le 1er janvier 1998. Constatant l’absence de communication des mesures de transposition par l’un des États membres à l’échéance de ce délai, la Commission a engagé une procédure en manquement. Après une mise en demeure adressée le 31 mars 1998, suivie d’un avis motivé le 2 octobre 1998, l’État membre concerné a reconnu le retard, l’expliquant par « le travail législatif considérable qu’exigerait l’instauration d’un système efficace et moderne applicable au droit d’auteur et aux droits voisins ». Face à l’inertie persistante de l’État, la Commission a introduit un recours devant la Cour de justice le 4 octobre 1999. Devant la Cour, l’État défendeur, tout en admettant le manquement, a sollicité une suspension de la procédure pour une durée de six mois afin de finaliser la transposition.
La question de droit soumise à la Cour était de savoir si des difficultés d’ordre interne, telles que l’ampleur d’une réforme législative nationale, peuvent justifier le non-respect du délai de transposition d’une directive et permettre à un État membre d’obtenir la suspension d’une procédure en manquement.
La Cour de justice répond par la négative et condamne l’État membre. Elle juge que le manquement est constitué par le simple fait de ne pas avoir pris les dispositions nécessaires dans le délai imparti. Par conséquent, les justifications avancées, tirées de l’organisation juridique interne, sont jugées inopérantes pour exonérer l’État de sa responsabilité. La Cour écarte également la demande de suspension de la procédure, s’en tenant à la constatation objective de la défaillance à la date fixée dans l’avis motivé.
Cette décision réaffirme avec clarté le caractère objectif du manquement résultant de la non-transposition d’une directive (I), tout en soulignant la rigueur de la procédure en manquement comme garantie de l’effectivité du droit de l’Union (II).
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I. L’inéluctable constatation du manquement de l’État membre
La solution retenue par la Cour de justice repose sur une conception stricte de l’obligation pesant sur les États membres. Elle écarte fermement les justifications d’ordre interne (A) pour ne retenir que le caractère objectif de l’obligation de transposition (B).
A. L’indifférence des justifications d’ordre interne
L’État membre défendeur ne contestait pas le fond du grief, mais tentait de justifier son retard. Il soutenait que la transposition de la directive s’inscrivait dans le cadre d’une « révision complète de la législation relative à la propriété artistique », ce qui expliquait la longueur du processus. Cet argument, fondé sur des contraintes propres à son ordre juridique interne, est systématiquement rejeté par la jurisprudence de la Cour. En effet, selon un principe constant, un État membre ne saurait invoquer des dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations résultant du droit de l’Union.
La Cour, en suivant les conclusions de son avocat général, confirme implicitement mais nécessairement cette ligne jurisprudentielle. En ne prenant pas même la peine de discuter l’argument de l’État défendeur, elle le prive de toute pertinence juridique. La complexité d’une réforme nationale, bien que réelle sur le plan politique et administratif, est sans incidence sur l’appréciation juridique du manquement. Admettre une telle justification reviendrait à permettre aux États de se soustraire à leurs engagements européens en fonction de leur propre calendrier législatif, ce qui viderait de sa substance le principe de primauté et d’application uniforme du droit de l’Union.
B. Le caractère objectif de l’obligation de transposition
Le manquement est constitué indépendamment de toute intention ou faute de l’État membre. L’article 16 de la directive 96/9 fixait une date butoir claire : le 1er janvier 1998. En vertu de l’article 249 du traité CE (devenu article 288 TFUE), une directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Le résultat à atteindre était ici la mise en vigueur des dispositions de droit interne nécessaires à la transposition avant la date prescrite.
La Cour se borne à constater que ce résultat n’a pas été atteint à l’expiration du délai. Le simple constat matériel de l’absence des mesures nationales suffit à caractériser la violation des obligations qui incombent à l’État membre. La décision de la Cour est donc purement déclaratoire : elle constate une situation de manquement objective. C’est pourquoi elle déclare que « en ne prenant pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 96/9/CE […], l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive ». Cette approche garantit que tous les États membres sont soumis aux mêmes exigences temporelles, condition essentielle à l’établissement et au fonctionnement du marché intérieur.
La constatation de ce manquement est l’aboutissement d’une procédure strictement encadrée, qui illustre le rôle fondamental des institutions dans la surveillance de l’application du droit de l’Union.
II. La rigueur de la procédure, garantie de l’effectivité du droit de l’Union
Au-delà du fond du droit, l’arrêt met en lumière le mécanisme de contrôle du respect des traités. Il rappelle le rôle essentiel de la Commission en tant que gardienne des traités (A) et l’office du juge de l’Union, qui refuse toute gestion procédurale du manquement (B).
A. Le rôle moteur de la Commission en tant que gardienne des traités
La procédure en manquement, régie par l’article 226 du traité CE (devenu article 258 TFUE), confère à la Commission la responsabilité d’assurer l’application du droit de l’Union. L’arrêt retrace fidèlement les étapes de cette phase précontentieuse : la lettre de mise en demeure, qui ouvre le dialogue avec l’État, puis l’avis motivé, qui formalise les griefs et fixe un dernier délai de mise en conformité. En l’espèce, la Commission a fait preuve de patience, le recours n’ayant été introduit qu’un an et demi après l’expiration du délai de transposition.
Toutefois, face à la demande de suspension de la procédure formulée par l’État défendeur, la Commission a manifesté sa fermeté. Elle a rappelé que si elle « n’agissait pas dans les délais normaux fixés par la Cour, elle manquerait aux obligations qui lui incombent en sa qualité de gardienne du traité ». Cette position illustre que la Commission ne dispose pas d’une liberté absolue pour négocier les délais de mise en conformité une fois la procédure contentieuse engagée. Son rôle est de faire respecter le droit, et non de créer des régimes dérogatoires pour les États défaillants.
B. Le refus d’une gestion procédurale du manquement par la Cour
La demande de suspension de l’instance pour une durée de six mois constituait la principale défense de l’État membre devant la Cour. Cette stratégie visait à obtenir un délai judiciaire là où le droit primaire et le droit dérivé n’en accordaient plus. En rejetant cette demande, la Cour de justice confirme sa propre fonction. Son rôle n’est pas de gérer l’exécution des obligations des États membres, mais de juger de la conformité de leur comportement au droit de l’Union à une date précise, en l’occurrence celle de l’expiration du délai fixé par l’avis motivé.
L’éventualité d’une mise en conformité future est sans pertinence pour la constatation du manquement passé. La Cour ne peut ni accorder de délais supplémentaires ni suspendre sa procédure pour des motifs d’opportunité politique ou administrative. Elle est la gardienne de la légalité, et non un organe de négociation. En statuant sans délai, elle assure la force contraignante de ses propres arrêts et prévient les manœuvres dilatoires qui pourraient paralyser l’application effective du droit de l’Union. Cette rigueur procédurale, loin d’être un formalisme excessif, est la condition même de la crédibilité et de l’autorité de l’ordre juridique de l’Union.