Par un arrêt rendu dans l’affaire 137/79, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur les conditions d’application d’une disposition transitoire relative à l’indemnité de dépaysement des fonctionnaires, ainsi que sur la responsabilité de l’administration en cas de renseignement erroné fourni à l’un de ses agents.
En l’espèce, un fonctionnaire de nationalité luxembourgeoise, entré au service de la Haute Autorité de la CECA en 1954, résidait à une distance de son lieu d’affectation, Luxembourg, qui ne lui permettait pas de bénéficier de l’indemnité de séparation prévue par le statut du personnel de 1956. Affecté à Bruxelles en 1968, il envisage dix ans plus tard un retour au Luxembourg. Se renseignant sur sa situation administrative, il reçoit d’un chef de division une note l’informant qu’il conserverait le bénéfice de l’indemnité de dépaysement s’il fixait sa résidence à plus de vingt-cinq kilomètres de son lieu de résidence d’origine. Sur la base de cette information, l’agent accepte sa mutation au Luxembourg en 1978, établit sa résidence dans une localité remplissant la condition de distance et vend son bien immobilier en Belgique. L’indemnité de dépaysement lui est initialement versée, puis supprimée, au motif qu’il n’en remplissait pas les conditions.
L’agent a introduit une réclamation, qui fut rejetée. Il a alors saisi la Cour d’un recours en annulation contre la décision de rejet, arguant d’une violation des dispositions statutaires, et, à titre subsidiaire, d’un recours en responsabilité tendant à la réparation du préjudice subi du fait du renseignement inexact. Le requérant soutenait qu’une disposition transitoire du statut de 1962 lui conservait le droit à l’indemnité. La Commission, en défense, contestait cette interprétation et niait toute faute de service de nature à engager sa responsabilité.
Deux questions de droit étaient ainsi posées à la Cour. D’une part, un fonctionnaire n’ayant jamais rempli les conditions pour l’octroi de l’indemnité de séparation sous l’empire d’un ancien statut peut-il se prévaloir d’une disposition transitoire du nouveau statut visant à maintenir le bénéfice de cet avantage ? D’autre part, la communication d’une information administrative inexacte sur la situation d’un fonctionnaire constitue-t-elle une faute de service engageant la responsabilité de l’institution ?
La Cour répond négativement à ces deux questions. Elle juge que la disposition transitoire ne peut trouver à s’appliquer, car son objet est de conserver un droit préexistant, droit que le requérant n’a jamais acquis. Elle écarte également toute responsabilité de l’administration, rappelant que la simple adoption d’une interprétation juridique erronée ne constitue pas en soi une faute de service, surtout lorsque le renseignement est donné en réponse à une question hypothétique et que les textes applicables sont accessibles à l’agent.
La solution retenue par la Cour repose sur une application rigoureuse des conditions statutaires (I), tout en confirmant une conception restrictive de la faute de service susceptible d’engager la responsabilité de l’administration (II).
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I. Une application rigoureuse des conditions statutaires d’octroi de l’indemnité
La Cour examine en premier lieu le moyen tiré de la violation de l’article 97, alinéa 4, du statut CECA de 1962. Elle le rejette en adoptant une interprétation stricte de la nature des dispositions transitoires (A) et en écartant les arguments factuels liés au nouveau lieu de résidence de l’agent (B).
A. Le caractère conservatoire des dispositions transitoires
Le requérant fondait sa demande sur une disposition transitoire prévoyant que le fonctionnaire « conserve » le bénéfice de l’indemnité de dépaysement si l’ancien statut lui ouvrait droit à l’indemnité de séparation. La Cour souligne cependant que le mécanisme de cette disposition est de nature purement conservatoire. Il vise à préserver une situation acquise et non à créer un droit nouveau pour des agents qui n’ont jamais été dans la situation juridique requise.
En l’espèce, le requérant n’a jamais bénéficié de l’indemnité de séparation sous l’empire du statut de 1956, car son lieu de résidence initial se situait à moins de vingt-cinq kilomètres de son lieu d’affectation. La Cour en déduit logiquement que, faute de droit préexistant, la disposition transitoire est inopérante. Elle affirme ainsi que « l’intéressé ne peut s’en prévaloir dès lors qu’il n’a jamais bénéficié de l’indemnité de séparation au sens du statut de 1956 ». L’arrêt illustre une orthodoxie juridique refusant d’étendre le champ d’une mesure transitoire au-delà de sa finalité, qui est de protéger les droits acquis lors du passage d’un régime juridique à un autre.
B. L’indifférence du choix de la nouvelle résidence
Le fonctionnaire tentait également de tirer argument du fait que, de retour au Luxembourg, il avait établi sa résidence à plus de vingt-cinq kilomètres de sa commune d’origine, se conformant ainsi à la condition évoquée dans la note administrative qu’il avait reçue. La Cour écarte cet argument en relevant qu’un tel choix relève de considérations personnelles et non d’une nécessité de service.
Le raisonnement de la Cour est clair : le lien de causalité entre l’affectation et le lieu de résidence doit être établi pour justifier l’octroi d’une indemnité liée à l’éloignement. Or, la décision du fonctionnaire de s’établir dans une localité éloignée de sa résidence d’origine n’était pas une conséquence de sa mutation à Luxembourg. La Cour précise que « l’administration ne portant pas atteinte à ce droit [de choisir son lieu de résidence] en subordonnant l’octroi de l’indemnité de dépaysement à une condition de distance minimale ». Par cette formule, elle réaffirme que l’exercice d’une liberté individuelle, comme le choix du domicile, ne saurait contraindre l’administration à octroyer des avantages financiers lorsque les conditions statutaires objectives ne sont pas réunies.
II. Une conception restrictive de la faute de service de l’administration
Après avoir écarté le moyen principal, la Cour se penche sur la demande subsidiaire en indemnisation. Elle refuse d’engager la responsabilité de l’administration en s’appuyant sur une jurisprudence constante relative à l’erreur d’interprétation (A), dont elle précise les contours en l’espèce (B).
A. Le principe de l’absence de faute en cas d’interprétation juridique erronée
Le requérant soutenait que la communication d’un renseignement inexact par un chef de division constituait une faute engageant la responsabilité de la Commission. Pour rejeter ce moyen, la Cour se fonde sur une solution bien établie de sa jurisprudence. Elle rappelle en effet que, « sauf exception, l’adoption d’une interprétation inexacte n’est pas, par elle-même, constitutive d’une faute de service ».
Cette position jurisprudentielle vise à ne pas paralyser l’action administrative par la crainte d’engager sa responsabilité à chaque interprétation d’un texte complexe. La faute de service n’est reconnue que si l’erreur commise par l’administration est particulièrement grave ou inexcusable, ce qui n’est pas le cas d’une simple lecture erronée d’une disposition statutaire. L’arrêt confirme ainsi que le risque d’erreur dans l’application du droit fait partie du fonctionnement normal de l’administration et ne saurait, en principe, ouvrir droit à réparation.
B. Les circonstances atténuantes de l’erreur commise
Au-delà du principe, la Cour prend soin de relever deux éléments factuels qui achèvent de priver l’erreur de l’administration de son caractère fautif. D’une part, le renseignement a été fourni « en réponse à une question hypothetique », ce qui diminue la portée de l’engagement de l’administration. D’autre part, « les textes dont il s’agit étaient accessibles à l’intéressé, qui, par conséquent, pouvait se faire renseigner sur l’interprétation correcte des dispositions ».
Cette motivation suggère qu’une obligation de diligence pèse également sur le fonctionnaire, qui ne peut se fier aveuglément à une information administrative, surtout lorsqu’elle est informelle et porte sur une situation future. La responsabilité de l’administration est d’autant plus difficile à établir que l’agent était lui-même en mesure d’apprécier la situation juridique. Toutefois, en condamnant la Commission aux dépens au motif que les renseignements inexacts « ayant été à l’origine du présent recours », la Cour semble admettre, sur le plan de l’équité, que l’administration a bien joué un rôle causal dans le déclenchement du litige, sans pour autant que ce rôle constitue une faute au sens juridique du terme.