Par un arrêt rendu dans les affaires jointes 255 et 256/83, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les contours de la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires communautaires, en particulier s’agissant des garanties procédurales et de l’étendue du pouvoir de l’autorité investie du pouvoir de nomination. En l’espèce, un fonctionnaire de la Commission avait fait l’objet d’une procédure disciplinaire pour de graves manquements à ses obligations statutaires, notamment l’exercice d’une activité extérieure non autorisée et la communication de documents internes. L’intéressé fut entendu par l’administration puis le conseil de discipline fut saisi. Ce dernier, après instruction, a estimé que certains griefs n’étaient pas établis, comme la violation de la confidentialité des documents, mais a retenu d’autres manquements graves, notamment à l’article 12 du statut, qui impose au fonctionnaire de s’abstenir de tout acte pouvant porter atteinte à la dignité de ses fonctions. Le conseil de discipline a ainsi proposé d’infliger au fonctionnaire la sanction de la rétrogradation. L’autorité investie du pouvoir de nomination a suivi cet avis et a prononcé une décision de rétrogradation, que le fonctionnaire a contestée devant la Cour, invoquant notamment la violation des droits de la défense et le caractère disproportionné de la sanction. Se posait alors la question de savoir dans quelle mesure l’administration doit garantir les droits de la défense dès les premières phases d’une procédure disciplinaire et quelle est l’étendue de son pouvoir d’appréciation dans la qualification des faits et le choix de la sanction. La Cour a rejeté l’ensemble des moyens du requérant, validant la procédure suivie et la sanction infligée, consacrant une interprétation stricte des garanties procédurales au stade préparatoire tout en réaffirmant le large pouvoir discrétionnaire de l’autorité disciplinaire. Cette décision vient ainsi clarifier l’étendue des garanties procédurales dues au fonctionnaire (I), tout en confirmant la plénitude du pouvoir d’appréciation de l’autorité disciplinaire (II).
I. Une définition stricte des garanties procédurales offertes au fonctionnaire
La Cour, en réponse aux arguments du requérant, adopte une lecture restrictive des droits de la défense durant la phase administrative précédant la saisine du conseil de discipline. Elle limite ainsi l’obligation de communication du dossier à cette phase formelle (A) et reconnaît une large marge de manœuvre à l’administration dans la conduite de l’instruction (B).
A. La portée limitée du droit à la communication du dossier avant la saisine du conseil de discipline
Le requérant soutenait qu’une violation des droits de la défense résultait du fait que l’intégralité du dossier ne lui avait été communiquée que tardivement, soit plusieurs mois après l’ouverture de la procédure. La Cour écarte cet argument en distinguant nettement la phase préparatoire de l’instruction de la procédure formelle devant le conseil de discipline. Elle rappelle que le droit d’obtenir la communication intégrale du dossier est explicitement prévu par l’annexe IX du statut, mais à compter de la saisine du conseil. Avant cette étape, la Cour juge que l’administration n’est pas tenue d’une telle communication d’office, surtout si l’intéressé n’en a pas fait la demande. Elle énonce clairement qu’« en l’absence d’une demande formée à cette fin, l’aipn n’est pas tenue de communiquer l’intégralité du dossier disciplinaire au fonctionnaire faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ». Cette solution fait peser sur le fonctionnaire la charge d’être proactif dans la défense de ses intérêts dès le début de la procédure. Si cette interprétation garantit une certaine souplesse à l’administration dans la conduite de ses enquêtes préliminaires, elle peut placer le fonctionnaire dans une situation délicate, celui-ci pouvant ignorer l’existence de pièces potentiellement à charge contre lesquelles il ne peut, de fait, se défendre efficacement lors de la première audition.
B. Le pouvoir d’appréciation de l’administration dans la conduite de l’instruction
Le requérant reprochait également à l’autorité investie du pouvoir de nomination et au conseil de discipline d’avoir statué sur la base d’un dossier incomplet et de ne pas avoir procédé à des mesures d’instruction complémentaires, comme l’audition de la personne à l’origine de la dénonciation. La Cour balaie ce moyen en consacrant le pouvoir d’appréciation des organes disciplinaires quant à l’opportunité de mener des investigations supplémentaires. Elle estime que « l’aipn et le conseil de discipline disposent, en vertu des principes régissant la procédure disciplinaire (…) d’un pouvoir d’appréciation sur la nécessité de certaines mesures d’instruction complémentaires (…) ou sur leur inutilite quand les faits sont deja suffisamment etablis ». De plus, la Cour relève que le requérant avait lui-même la possibilité de citer des témoins devant le conseil de discipline, ce qu’il n’a pas fait s’agissant de la personne en question, alors même qu’il en connaissait l’identité. Ce faisant, la Cour confirme que la procédure disciplinaire n’est pas soumise au même formalisme qu’une procédure pénale. L’administration est maîtresse de son instruction et n’est pas tenue de donner suite à toutes les demandes d’actes d’enquête, à moins qu’un refus ne révèle une erreur manifeste d’appréciation ou ne porte une atteinte caractérisée aux droits de la défense.
II. La confirmation du large pouvoir d’appréciation de l’autorité disciplinaire
Au-delà des aspects procéduraux, l’arrêt réaffirme avec force le pouvoir discrétionnaire de l’autorité investie du pouvoir de nomination, que ce soit dans l’évaluation de la faute et de la proportionnalité de la sanction (A) ou dans la fixation des conséquences administratives de cette sanction (B).
A. L’appréciation de la faute et la proportionnalité de la sanction
Le requérant contestait la qualification des faits et estimait la sanction de rétrogradation disproportionnée par rapport aux manquements finalement retenus. La Cour opère ici un contrôle restreint, limité à l’erreur manifeste d’appréciation. Elle valide le raisonnement de l’administration qui a considéré que la participation active et prolongée à un système de transmission de documents, même non confidentiels, contre rémunération, ainsi que les déclarations inexactes relatives à une activité extérieure, constituaient des manquements graves aux obligations statutaires. La Cour ne substitue pas sa propre appréciation à celle de l’autorité disciplinaire. Elle note également que le fait que le conseil de discipline ait requalifié certains faits en manquements moins graves n’imposait pas l’ouverture d’une nouvelle procédure. Selon la Cour, « la qualification d’un fait à titre de manquement englobe nécessairement les qualifications moins graves de ce même fait ». Cette approche pragmatique évite un formalisme excessif. En confirmant que la sanction n’était pas manifestement disproportionnée, compte tenu de la répétition et de la durée des manquements, la Cour réaffirme que le choix de la sanction relève du large pouvoir d’appréciation de l’autorité disciplinaire, dès lors que les faits sont matériellement établis et juridiquement qualifiés.
B. La fixation de l’échelon consécutive à la rétrogradation
Un des points les plus techniques soulevés par le requérant concernait son reclassement à un échelon inférieur dans son nouveau grade, ce qu’il analysait comme une seconde sanction illégale, distincte de la rétrogradation. La Cour rejette cette argumentation en s’appuyant sur une interprétation littérale et systémique du statut. Elle constate qu’aucune disposition ne régit la détermination de l’échelon en cas de rétrogradation, contrairement à la promotion où l’article 46 du statut fixe des règles précises. En l’absence de telles règles pour la rétrogradation, la Cour en déduit que cette question relève du pouvoir discrétionnaire de l’autorité. Elle affirme que « puisque aucune disposition de ce type n’est prévue pour la rétrogradation, le problème de l’attribution de l’échelon relève du pouvoir discrétionnaire de l’aipn, sans qu’il y ait lieu d’estimer que la fixation d’un échelon constitue une sanction autonome ». Cette solution a une portée significative : elle établit que la rétrogradation est une sanction unique dont la mise en œuvre, y compris la fixation de l’échelon, fait partie intégrante de la décision de l’autorité. Cela offre à l’administration une flexibilité pour moduler la sévérité de la sanction, non seulement en choisissant le grade de reclassement, mais aussi le positionnement de l’agent au sein de ce nouveau grade, renforçant ainsi son pouvoir discrétionnaire en matière disciplinaire.