Par un arrêt en date du 30 janvier 2002, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en sa première chambre, a statué sur un recours en manquement introduit à l’encontre d’un État membre. La Commission des Communautés européennes reprochait à cet État de ne pas avoir transposé dans les délais impartis la directive 98/76/CE du 1er octobre 1998, laquelle modifiait les conditions d’accès à la profession de transporteur par route. Cette décision illustre le mécanisme de contrôle du respect par les États membres de leurs obligations découlant du droit communautaire.
En l’espèce, une directive communautaire imposait aux États membres d’adopter et de publier les dispositions nécessaires à sa transposition au plus tard le 1er octobre 1999. Constatant l’absence de communication des mesures de transposition par l’un des États membres à l’expiration de ce délai, la Commission a engagé la procédure en manquement prévue par le traité instituant la Communauté européenne. Après une mise en demeure restée sans effet concret, elle a émis un avis motivé le 1er août 2000, accordant à l’État un délai de deux mois pour se conformer. Les autorités nationales ont alors informé la Commission que des projets de loi et de règlements étaient en cours d’adoption, sans toutefois notifier de texte définitif. La Commission a par conséquent décidé de saisir la Cour de justice pour faire constater le manquement.
Devant la Cour, l’État membre défendeur a soutenu que les projets de textes nécessaires à la transposition avaient été approuvés par son Conseil de gouvernement et transmis à la Commission, arguant de sa diligence à mettre en œuvre la directive. La Commission, quant à elle, maintenait que le manquement était constitué par le simple fait que la transposition n’était pas effective à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si la preuve par un État membre de l’engagement d’un processus législatif interne visant à transposer une directive pouvait l’exonérer de sa responsabilité pour non-respect du délai de transposition.
La Cour de justice répond par la négative et constate le manquement. Elle juge que les démarches préparatoires, telles que l’élaboration de projets de loi, ne sauraient pallier l’absence de transposition effective dans le délai prescrit. La Cour affirme de manière péremptoire que « en ne prenant pas, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive […], le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive ».
L’analyse de cette décision révèle ainsi une application rigoureuse de l’obligation de transposition (I), qui réaffirme la portée du contrôle exercé par la Cour dans le cadre du contentieux en manquement (II).
I. La constatation rigoureuse du manquement à l’obligation de transposition
La solution retenue par la Cour de justice repose sur une appréciation objective de l’infraction, indifférente aux justifications avancées par l’État membre. Cette approche met en lumière le caractère absolu de l’obligation de résultat qui pèse sur les États en matière de transposition (A) et l’inefficacité des mesures préparatoires comme moyen de défense (B).
A. Le caractère objectif du manquement
Le raisonnement de la Cour confirme une jurisprudence constante selon laquelle la constatation d’un manquement résulte d’une simple comparaison entre la situation de droit interne de l’État membre et les exigences fixées par la norme communautaire. L’infraction est constituée dès lors que l’État n’a pas atteint le résultat prescrit par la directive dans le délai imparti, indépendamment de toute considération relative à une éventuelle faute ou à l’intention de l’État. En l’espèce, la Cour se limite à vérifier si les dispositions nationales de transposition étaient en vigueur à la date butoir, sans examiner les causes du retard.
Cette approche objective est essentielle pour garantir l’application uniforme et effective du droit de l’Union européenne sur l’ensemble de son territoire. Admettre des justifications tirées de difficultés internes, qu’elles soient d’ordre politique, administratif ou juridique, reviendrait à permettre aux États de se soustraire à leurs obligations et porterait atteinte au principe de primauté du droit de l’Union. La Cour se fait ainsi la gardienne d’une discipline collective indispensable au bon fonctionnement du marché intérieur et à la sécurité juridique des opérateurs économiques, ici les transporteurs routiers.
B. L’indifférence aux mesures nationales préparatoires
L’argument principal de l’État défendeur, consistant à faire valoir l’avancement du processus législatif interne, est logiquement écarté par la Cour. Celle-ci juge que « ces éléments ne changent toutefois rien au fait que, comme il ressort des explications fournies par le grand-duché de Luxembourg, la transposition de la directive n’a pas été réalisée dans le délai imparti dans l’avis motivé ». La Cour rappelle ainsi que seule l’adoption de mesures de transposition contraignantes, publiées et entrées en vigueur, peut satisfaire aux exigences d’une directive.
Des projets de loi ou de règlements, aussi avancés soient-ils, ne présentent pas le caractère certain et juridiquement liant requis pour garantir les droits que les directives confèrent aux particuliers. Tant que ces textes ne sont pas définitivement adoptés, leur contenu reste susceptible d’être modifié et ils ne produisent aucun effet de droit. La position de la Cour est donc pragmatique et vise à assurer que la transposition ne reste pas au stade des intentions, mais se traduise par des changements concrets et effectifs dans l’ordre juridique national. Cette solution préserve l’effet utile des directives.
II. La portée réaffirmée du contrôle de la Cour en matière de transposition
Au-delà de la solution d’espèce, cet arrêt constitue un rappel pédagogique du rôle de chaque institution dans le cadre du contentieux en manquement (A) et de la nature fondamentale de l’obligation de transposition, qui confère à cette décision une portée de principe (B).
A. La confirmation du rôle institutionnel de la Commission
Cette affaire est une illustration classique de la fonction de la Commission en tant que « gardienne des traités ». C’est à elle qu’il incombe d’initier et de mener la procédure précontentieuse, phase essentielle qui vise à permettre à l’État de régulariser sa situation avant une éventuelle saisine de la Cour. L’envoi de la lettre de mise en demeure puis de l’avis motivé structure ce dialogue et délimite l’objet du litige.
La décision de la Cour valide implicitement la démarche de la Commission, qui a attendu l’expiration du délai supplémentaire accordé dans l’avis motivé avant d’introduire son recours. La Cour prend en compte la situation de l’État membre uniquement à la date d’expiration de ce délai, cristallisant ainsi le manquement à ce moment précis. Le mécanisme de l’article 226 du traité CE (devenu l’article 258 TFUE) apparaît alors non comme une sanction immédiate, mais comme l’aboutissement d’un processus gradué destiné à assurer le respect du droit de l’Union.
B. Une solution de principe au-delà du cas d’espèce
Bien que l’affaire puisse paraître factuelle et sa solution évidente, elle n’en demeure pas moins l’expression d’un principe cardinal du droit de l’Union européenne. La Cour réaffirme que le respect des délais de transposition n’est pas négociable. La prévisibilité et la simultanéité de l’application des règles communautaires sont à ce prix, particulièrement dans des secteurs comme les transports où l’harmonisation des conditions d’accès à la profession est un gage de concurrence loyale.
Ainsi, la décision commentée n’est pas une simple décision d’espèce. Elle s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle très établie qui refuse de prendre en considération les difficultés internes des États membres pour justifier un manquement. En condamnant l’État membre malgré les assurances de ce dernier, la Cour envoie un signal clair : l’obligation de transposer les directives est une obligation de résultat dont la méconnaissance est sanctionnée avec une rigueur constante, garantissant ainsi la cohésion et la primauté de l’ordre juridique de l’Union.