L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire 256/78 aborde la question délicate du taux de change applicable au remboursement des frais de maladie engagés par un fonctionnaire dans une devise autre que celle de son pays d’affectation. En l’espèce, un fonctionnaire de nationalité allemande affecté en Italie avait exposé des frais médicaux en marks allemands pour lui-même et sa famille. Au moment du remboursement, effectué en lires italiennes, l’administration a appliqué le taux de change en vigueur à la date où les soins avaient été dispensés, et non celui en vigueur à la date du remboursement. En raison de la dépréciation de la lire par rapport au mark durant l’intervalle, le fonctionnaire a subi une perte financière significative, le montant perçu ne couvrant plus le pourcentage statutaire des dépenses réellement supportées. Le fonctionnaire a alors introduit une réclamation, qui fut implicitement rejetée, le conduisant à saisir la Cour de justice. L’institution défenderesse justifiait sa pratique en invoquant la nécessité d’une date de référence unique et le fait que les fluctuations monétaires échappaient à son contrôle. Le problème de droit soumis à la Cour était donc de déterminer quel taux de change devait être appliqué pour garantir le respect du principe d’égalité de traitement entre les fonctionnaires et l’effectivité de leur droit au remboursement d’un pourcentage fixe des frais de maladie. Dans sa décision, la Cour a jugé que « le principe de l’égalité de traitement des fonctionnaires nécessite que le taux de change à appliquer pour le remboursement de frais de maladie soit le plus proche possible du taux de la date du remboursement ». Elle en conclut que le taux pertinent est celui du trimestre au cours duquel le remboursement est effectivement réalisé.
L’analyse de cet arrêt révèle comment la Cour a imposé une solution pragmatique pour préserver un droit statutaire face aux instabilités monétaires (I), affirmant ainsi la primauté des principes fondamentaux du statut sur les contraintes de gestion administrative (II).
I. La nécessaire adaptation du régime de remboursement aux fluctuations monétaires
La Cour, en censurant la méthode de conversion retenue par l’administration, consacre une interprétation du statut qui privilégie la réalité économique subie par le fonctionnaire. Elle rejette une pratique qui créait une inégalité de fait (A) pour imposer une solution garantissant le caractère effectif du remboursement (B).
A. Le constat d’une rupture d’égalité due à la méthode administrative
Le système de remboursement en vigueur, tel qu’appliqué par l’institution, reposait sur l’utilisation du taux de change actualisé en vigueur à la date des prestations. Si cette méthode présentait l’avantage de la simplicité administrative en figeant le taux à un moment précis, elle ignorait les délais inhérents au traitement des dossiers de remboursement. Or, dans un contexte de changes flottants, un décalage temporel entre la dépense et le remboursement peut engendrer des conséquences financières considérables pour l’affilié. La Cour relève justement que le retard entre le paiement des soins et le remboursement « est susceptible d’entraîner des inégalités entre les fonctionnaires selon qu’ils exercent leurs fonctions dans un pays à monnaie faible ou dans un pays à monnaie forte ». Un fonctionnaire affecté dans un pays à monnaie faible se trouvait ainsi pénalisé lorsqu’il engageait des frais dans une monnaie forte, car la valeur de son remboursement, calculée sur un taux ancien, se trouvait diminuée au moment du paiement. Cette disparité de traitement, fondée uniquement sur le lieu d’affectation et les aléas monétaires, portait directement atteinte au principe d’égalité de traitement qui doit régir la situation de tous les fonctionnaires européens.
B. La prévalence du droit à un remboursement effectif
Face à cet argument, la Cour rappelle la finalité de l’article 72 du statut, qui est de couvrir un pourcentage déterminé, en l’occurrence 80 %, « des frais exposés ». Cette notion de frais exposés doit s’entendre comme la charge financière réellement supportée par le fonctionnaire. En appliquant un taux de change déconnecté de la réalité du moment du remboursement, l’administration ne restituait pas le pourcentage statutaire de la dépense initiale. Le droit du fonctionnaire s’en trouvait vidé d’une partie de sa substance. La Cour considère que les justifications administratives ne sauraient prévaloir sur ce droit fondamental. Elle écarte l’argument selon lequel le fonctionnaire maîtriserait les délais en choisissant la date de soumission de sa demande, estimant que « l’existence d’un délai pour la présentation de la demande de remboursement suffit pour éviter des retards spéculatifs ». Par cette formule, elle réaffirme que le droit au remboursement ne doit pas être compromis par une méthode de calcul qui en neutralise partiellement les effets. Le sens de la décision est donc de garantir que le montant final perçu par le fonctionnaire corresponde le plus fidèlement possible au pourcentage prévu par les textes.
II. La définition d’une solution protectrice et de portée générale
En imposant un nouveau critère de conversion, la Cour ne se contente pas de trancher un litige individuel ; elle établit un principe destiné à s’appliquer à l’avenir. La solution retenue est à la fois équilibrée dans son application pratique (A) et révélatrice d’une protection accrue des agents publics européens (B).
A. Le choix d’un critère temporel pragmatique
La Cour aurait pu imposer l’application du taux de change du jour exact du remboursement. Une telle solution, bien que parfaite sur le plan de l’équité individuelle, aurait pu s’avérer complexe à gérer pour l’administration. En choisissant comme référence le taux de change du « trimestre pendant lequel le remboursement est effectué », la Cour opte pour une voie médiane. Cette approche concilie la nécessité d’une conversion au plus juste avec les impératifs d’une gestion administrative prévisible et stable. Le taux étant arrêté pour une période de trois mois, il offre une base de calcul fixe tout en restant suffisamment proche des conditions réelles du marché des changes au moment du paiement effectif. Cette solution pragmatique démontre la volonté de la Cour de formuler des règles non seulement juridiquement fondées, mais également opérationnelles. Elle reconnaît les « difficultés qui existent à gérer » un tel régime en période de changes flottants, mais y apporte une réponse qui ne sacrifie pas les droits des individus sur l’autel de la commodité administrative.
B. L’affirmation d’un principe général de protection
La portée de cet arrêt dépasse largement le cas d’espèce. En liant le calcul du remboursement à la date de sa réalisation plutôt qu’à celle de la dépense, la Cour établit une solution de principe. Elle fait peser le risque de change sur le régime commun d’assurance maladie, et donc indirectement sur l’institution, plutôt que sur le fonctionnaire. Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à interpréter les dispositions du statut, et notamment celles relatives aux droits pécuniaires, d’une manière qui soit la plus favorable aux agents et qui garantisse l’égalité de traitement. L’arrêt affirme que les modalités de mise en œuvre administrative ne doivent jamais avoir pour effet de porter atteinte à la substance même d’un droit. En protégeant le fonctionnaire contre les aléas monétaires dans le cadre de ses droits sociaux, la Cour renforce l’attractivité et la cohérence de la fonction publique européenne, en assurant que le lieu d’affectation n’aura pas d’incidence négative sur la couverture des risques de maladie.