L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes dans les affaires jointes 98 et 230/83 offre un éclaircissement significatif sur la responsabilité du commissionnaire en douane et sur l’interprétation de la notion de « circonstances particulières » en droit douanier communautaire. En l’espèce, deux sociétés agissant en qualité de commissionnaires en douane avaient procédé à l’importation de produits textiles en acquittant des droits de douane au tarif préférentiel. Ces importations étaient couvertes par des certificats d’origine qui, à la suite d’un contrôle a posteriori, se sont révélés invalides, les marchandises n’étant pas originaires des pays mentionnés. Les autorités douanières nationales ont par conséquent procédé à un recouvrement des droits éludés. Les sociétés importatrices ont alors sollicité la remise de ces droits auprès de leur administration nationale, en invoquant les dispositions de l’article 13 du règlement n° 1430/79. Elles soutenaient que leur bonne foi, fondée sur l’apparence de validité des certificats délivrés par les autorités des pays de provenance, constituait une circonstance particulière n’impliquant ni négligence ni manœuvre de leur part. Saisie par l’administration nationale, la Commission a rejeté ces demandes, estimant que le recours à des documents ultérieurement invalidés relevait du risque professionnel du commissionnaire en douane et ne constituait pas une circonstance particulière au sens du règlement. Les sociétés ont alors formé un recours en annulation contre les décisions de la Commission. Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si la confiance légitime placée par un opérateur professionnel dans des certificats d’origine officiellement délivrés, mais subséquemment reconnus comme faux, peut être qualifiée de « circonstance particulière » justifiant une remise des droits à l’importation. La Cour de justice a rejeté les recours, validant ainsi la position de la Commission et affirmant que de tels faits ne sauraient constituer une circonstance particulière, mais relèvent du risque inhérent à la profession de commissionnaire en douane.
La solution de la Cour repose sur une définition exigeante des conditions de remise des droits (I), ce qui conduit à une consécration rigoureuse de la responsabilité du professionnel de la douane (II).
I. Une interprétation restrictive de la notion de « circonstances particulières »
La Cour de justice adopte une approche stricte de l’article 13 du règlement n° 1430/79, en distinguant nettement la condition de bonne foi de celle tenant à l’existence de circonstances particulières (A) et en alignant, de fait, ces dernières sur les critères de la force majeure (B).
A. La dissociation nécessaire entre la bonne foi et l’existence de circonstances particulières
La Cour confirme la motivation de la Commission selon laquelle les conditions posées par le règlement pour une remise de droits sont cumulatives. Elle valide l’argumentation qui précise que « la notion de ‘circonstances particulieres’ est independante de la notion de bonne foi visee a L ‘ article 13 , paragraphe 1 , dudit reglement ; que les deux conditions doivent etre reunies pour permettre la remise demandee ». En conséquence, la seule démonstration de la bonne foi de l’opérateur, qui n’est d’ailleurs pas contestée en l’espèce, est insuffisante pour justifier une mesure dérogatoire. La Cour estime qu’il n’était pas nécessaire pour la Commission de réfuter les éléments prouvant cette bonne foi, dès lors que l’autre condition, celle des circonstances particulières, n’était pas remplie. Cette approche duale permet de maintenir un niveau élevé d’exigence et d’éviter que la remise des droits ne devienne une conséquence quasi automatique de l’absence de faute intentionnelle de l’opérateur. La Cour souligne également que le fait d’accorder une remise sur la seule base de la bonne foi priverait d’utilité les contrôles a posteriori, qui visent précisément à corriger les erreurs découvertes après le dédouanement.
B. L’assimilation de fait des circonstances particulières à la force majeure
Bien que les requérantes aient tenté d’établir un parallèle avec la notion de force majeure, la Cour utilise cette analogie pour renforcer sa position restrictive. Elle rappelle que la force majeure suppose des conditions drastiques. Ainsi, « la reconnaissance D ‘ un cas de force majeure suppose neanmoins que la cause exterieure invoquee par des sujets de droit ait des consequences irresistibles et inevitables au point de rendre objectivement impossible pour les personnes concernees le respect de leurs obligations ». Appliquée au cas d’espèce, cette définition conduit à écarter la qualification de circonstance particulière. La présentation de documents invalides, même émis par des autorités officielles, ne rend pas objectivement impossible le paiement des droits dus. Pour la Cour, un tel événement n’est ni imprévisible ni inévitable pour un professionnel averti. Cette analyse établit un seuil de gravité très élevé, réservant la remise de droits à des situations véritablement exceptionnelles et étrangères à la sphère d’activité normale de l’opérateur, ce qui exclut les risques inhérents à sa profession.
II. La consécration d’une responsabilité professionnelle accrue du commissionnaire en douane
La décision commentée a pour effet de définir clairement le périmètre des obligations du commissionnaire en douane, en faisant de la validité des documents un risque commercial à sa charge (A) et en limitant sa capacité à invoquer une confiance légitime envers les administrations (B).
A. L’intégration du risque documentaire dans le champ de la responsabilité professionnelle
La Cour entérine l’analyse de la Commission selon laquelle la gestion des documents douaniers et le risque d’invalidité qui s’y attache font partie intégrante de l’activité du commissionnaire en douane. Elle juge que « le fait de recevoir des certificats D ‘ origine invalides ne peut etre considere comme une circonstance imprevisible et inevitable malgre toutes les diligences deployees ». En déclarant les marchandises en son nom propre, l’opérateur assume une double responsabilité : celle du paiement des droits et celle de la régularité des documents présentés. Par conséquent, les conséquences financières découlant de l’invalidité de ces documents ne peuvent être externalisées vers la collectivité par le biais d’une remise de droits. La Cour écarte également l’argument tiré de l’impossibilité de répercuter cette charge sur le commettant défaillant, en précisant que le règlement n’a pas pour objet de protéger les commissionnaires contre les risques de faillite de leurs clients. Ce faisant, elle qualifie clairement le risque documentaire de risque d’entreprise, que le professionnel doit assumer et éventuellement couvrir par des assurances ou des garanties contractuelles.
B. L’inefficacité de la confiance placée dans les actes administratifs initiaux
Les requérantes soutenaient que tant la délivrance des certificats par les autorités du pays de provenance que leur acceptation initiale par les services douaniers de l’État membre d’importation avaient créé une confiance légitime quant à leur validité. La Cour rejette fermement cette argumentation. Elle affirme qu’un commissionnaire en douane « ne peut fonder une confiance legitime quant a la validite de certificats du fait de leur acceptation initiale par les services douaniers D ‘ un etat membre ». Cette acceptation est effectuée sous réserve de contrôles ultérieurs, lesquels sont expressément prévus par la réglementation communautaire. Le rôle des services douaniers lors du dédouanement ne fait donc pas obstacle à des vérifications a posteriori et aux rectifications qui peuvent en résulter. En jugeant ainsi, la Cour rappelle que le système douanier repose sur un équilibre entre la fluidité des échanges, permise par une acceptation rapide des déclarations, et la nécessité de garantir la correcte perception des ressources propres de la Communauté, assurée par l’effectivité des contrôles a posteriori. La confiance de l’opérateur ne peut donc être absolue et doit céder devant l’impératif de légalité.