Arrêt de la Cour (première chambre) du 15 décembre 1982. – Jan Amesz et autres contre Commission des Communautés européennes. – Fonctionnaires – Taux de change pour le calcul des rémunérations. – Affaires jointes 532, 534, 567, 600, 618 et 660/79.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 15 décembre 1982 s’inscrit dans le cadre d’un contentieux relatif à la rémunération de fonctionnaires européens. En l’espèce, des agents affectés auprès d’un centre de recherche commun situé en Italie contestaient la fixation de leur traitement pour les mois de janvier et d’avril 1979. Ils soutenaient que le coefficient correcteur, destiné à garantir un pouvoir d’achat équivalent entre les différents lieux d’affectation, était calculé sur la base du coût de la vie de la capitale, Rome, alors que celui de leur lieu de travail effectif, la province de Varèse, était sensiblement plus élevé. Ils critiquaient également le caractère tardif et l’absence de rétroactivité suffisante des adaptations de ce coefficient.

Saisies par les agents d’une réclamation administrative conformément au statut, les institutions communautaires avaient rejeté leurs demandes. Les fonctionnaires ont alors introduit un recours devant la Cour de justice, visant à l’annulation des décisions fixant leur rémunération et à la réparation du préjudice subi. La Commission, partie défenderesse, a soulevé une exception d’irrecevabilité, arguant que la réclamation initiale des agents était tardive et n’exposait pas avec suffisamment de précision l’ensemble de leurs griefs. La Cour a néanmoins écarté cette exception, considérant que les longues négociations préalables et la réponse globale de l’institution démontraient que cette dernière avait une parfaite connaissance des revendications des fonctionnaires, rendant ainsi le recours recevable.

Le problème de droit soumis à la Cour était double. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si la notion de « lieux d’affectation » prévue par l’article 64 du statut des fonctionnaires devait être interprétée comme visant exclusivement la capitale de l’État membre concerné, ou si elle pouvait désigner le lieu précis d’exercice des fonctions lorsque les conditions économiques y sont distinctes. D’autre part, la Cour était appelée à préciser si l’adaptation des rémunérations en cas de variation sensible du coût de la vie, prévue à l’article 65 du même statut, constituait une simple faculté discrétionnaire pour le Conseil ou une obligation dont l’inexécution dans les délais impartis entraînait un droit à une application rétroactive.

À cette double interrogation, la Cour apporte une réponse claire. Sur le premier point, elle juge qu’afin de respecter l’objectif de l’article 64, qui est de tenir compte des conditions de vie réelles, il convient d’interpréter l’expression « lieux d’affectation » comme « indiquant non pas les seules capitales des États membres, mais les lieux exacts où se déroule l’activité d’un nombre suffisamment important de fonctionnaires et agents des communautés ». Sur le second point, elle affirme que le libellé de l’article 65 paragraphe 2 « exclut toute interprétation selon laquelle le conseil ne serait pas tenu d’adapter les coefficients correcteurs dans un délai de deux mois après toute variation sensible du coût de la vie ». La décision commentée clarifie ainsi l’étendue des obligations des institutions communautaires en matière de rémunération des fonctionnaires, tout en réaffirmant la primauté du principe d’égalité de traitement dans l’application du statut.

I. La clarification des obligations statutaires des institutions

La Cour, par cette décision, précise de manière significative les devoirs qui incombent aux institutions communautaires lors de la détermination de la rémunération de leurs agents. Elle adopte une lecture finaliste des dispositions du statut, privilégiant l’objectif de parité de pouvoir d’achat sur une application formaliste des règles de calcul. Cette interprétation aboutit d’une part à une définition plus souple du lieu d’affectation, et d’autre part à une reconnaissance du caractère contraignant de l’adaptation périodique des traitements.

A. La consécration d’une interprétation finaliste de la notion de lieu d’affectation

Le statut des fonctionnaires prévoit que la rémunération est affectée d’un coefficient correcteur qui reflète les conditions de vie des différents lieux d’affectation. La pratique administrative avait conduit à n’utiliser qu’un seul indice par État membre, celui de la capitale, partant du postulat que le coût de la vie y est généralement le plus élevé. Or, en l’espèce, les expertises statistiques démontraient que le coût de la vie dans la province de Varèse était supérieur à celui de Rome, plaçant les fonctionnaires y travaillant dans une situation défavorable.

Face à cette situation, la Cour énonce qu’il « revient aux institutions communautaires, dans les cas où le coût de la vie dans un tel lieu d’affectation subit des variations plus grandes que celles qui se produisent dans la capitale de l’État en question, de déterminer des coefficients correcteurs distincts ». Ce faisant, elle impose aux institutions de ne pas s’en tenir à une référence unique et abstraite, mais de procéder à une analyse concrète de la situation économique prévalant dans les zones où un nombre important de leurs agents est concentré. Cette solution, pragmatique, assure la pleine effectivité de l’article 64 du statut en garantissant que le coefficient correcteur remplisse véritablement sa fonction d’équilibrage des pouvoirs d’achat.

B. L’affirmation du caractère obligatoire de l’adaptation des rémunérations

Le second apport majeur de l’arrêt réside dans l’interprétation de l’article 65 du statut, relatif à l’adaptation des rémunérations. Les institutions soutenaient disposer d’un pouvoir discrétionnaire quant à la décision d’adapter les coefficients et, le cas échéant, quant à l’effet rétroactif de cette adaptation. Cette thèse permettait de justifier les retards pris dans l’ajustement des traitements malgré la constatation de hausses significatives du coût de la vie.

La Cour rejette fermement cette analyse. Elle juge que la constatation d’une « variation sensible du coût de la vie » fait naître une obligation d’agir pour le Conseil, qui doit prendre des mesures dans un délai maximal de deux mois. Le pouvoir de l’institution se limite à « constater s’il y a hausse sensible ou non du coût de la vie et, si la constatation est positive, d’en tirer les conséquences ». En affirmant que toute autre interprétation irait à l’encontre du but de la disposition, la Cour transforme ce qui était présenté comme un pouvoir d’appréciation en une compétence liée. Par conséquent, le retard dans l’adoption des mesures d’adaptation doit être compensé par un effet rétroactif, afin de ne pas léser les droits que les fonctionnaires tiennent du statut.

En précisant les modalités de fixation des coefficients correcteurs, la Cour ne se limite pas à une exégèse technique des textes. Elle ancre sa solution dans un principe fondamental du droit de la fonction publique communautaire, celui de l’égalité de traitement, dont elle renforce la portée.

II. La portée de la solution : une garantie renforcée du principe d’égalité

Au-delà de la résolution du cas d’espèce, la décision commentée revêt une importance particulière en ce qu’elle réaffirme avec force l’exigence d’égalité entre les fonctionnaires, quel que soit leur lieu d’affectation. Cette réaffirmation se traduit par un contrôle plus étroit de l’action des institutions, limitant leur marge de manœuvre au profit d’une protection accrue des droits des agents.

A. Le refus d’une application discriminatoire des règles de rémunération

Le principe d’égalité de traitement, et son corollaire en matière de rémunération, le principe « à travail égal, salaire égal », irrigue le statut des fonctionnaires. Le mécanisme du coefficient correcteur est l’une de ses traductions les plus directes, puisqu’il vise à neutraliser les disparités de coût de la vie pour assurer à tous un pouvoir d’achat identique. En s’en tenant à une référence unique à la capitale, alors même que des données objectives prouvaient l’existence d’un coût de la vie supérieur dans un autre lieu d’affectation, les institutions créaient une rupture d’égalité au détriment d’une catégorie de leur personnel.

En jugeant que cette pratique est contraire au statut, la Cour rappelle que le principe d’égalité n’est pas un vœu pieux mais une norme juridique contraignante. Elle impose une obligation de diligence aux institutions, qui doivent vérifier que leurs méthodes de calcul ne produisent pas d’effets discriminatoires. La solution retenue garantit ainsi que la situation géographique d’un fonctionnaire ne puisse devenir un facteur indirect de minoration de sa rémunération réelle, préservant la cohérence et l’équité du système de traitement.

B. La limitation du pouvoir d’appréciation du Conseil

L’arrêt constitue une illustration du contrôle juridictionnel exercé sur le pouvoir réglementaire des institutions. En requalifiant l’obligation d’adapter les rémunérations, la Cour opère un déplacement significatif de la nature du pouvoir du Conseil. Celui-ci ne dispose plus d’une liberté d’appréciation politique ou budgétaire pour décider de la temporalité des ajustements de rémunération. Son rôle est désormais encadré par des critères objectifs et des délais stricts.

Cette limitation a une portée considérable pour la sécurité juridique des fonctionnaires. Elle les prémunit contre l’aléa des décisions administratives et les retards qui pourraient résulter de considérations étrangères à l’évolution du coût de la vie. La Cour assure ainsi la prévisibilité et l’automaticité d’un droit statutaire, celui au maintien du pouvoir d’achat. En définitive, cette décision renforce l’État de droit au sein de l’ordre juridique communautaire, en soumettant l’action des institutions au respect scrupuleux des garanties accordées par le statut à ses agents.

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Hassan KOHEN
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