Arrêt de la Cour (première chambre) du 15 décembre 1982. – John Philip Cowood contre Commission des Communautés européennes. – Fonctionnaire: refus de promotion. – Affaire 60/82.

Dans un arrêt du 11 février 1982, la Cour de justice des Communautés européennes, siégeant en sa première chambre, a statué sur le recours d’un fonctionnaire qui contestait le rejet de sa candidature à un poste de chef d’équipe de traduction. L’agent public soutenait que cette décision constituait une mesure de rétorsion à la suite de son engagement syndical, notamment lors de sa participation à un comité de promotion. Il demandait en conséquence l’annulation de la nomination d’un autre candidat et la réparation du préjudice moral qu’il estimait avoir subi.

L’affaire prend sa source dans la publication de plusieurs avis de vacance pour des emplois de chef d’équipe au sein d’une division de traduction. Le requérant, fonctionnaire de grade LA 4, figurait parmi les treize postulants. Peu de temps après sa désignation en tant que représentant du personnel au sein d’un comité de promotion, un conflit l’opposa au président de cet organe. Le fonctionnaire alléguait que son action en faveur d’un collègue, qualifié de « syndicaliste » par le directeur général du personnel, était la cause véritable du refus de sa propre promotion. La procédure contentieuse fut donc engagée devant la Cour de justice sur le fondement d’une violation du statut des fonctionnaires et des principes de liberté syndicale et de liberté d’opinion. L’institution mise en cause opposait que sa décision reposait sur des motifs objectifs, étrangers aux activités syndicales du requérant. Se posait alors à la Cour la question de savoir si le simple soupçon de discrimination syndicale suffit à invalider une décision de promotion lorsque l’administration la justifie par un critère objectif et antérieur au conflit allégué.

À cette interrogation, la Cour répond par la négative, en considérant que le fonctionnaire n’apporte pas la preuve que la décision litigieuse aurait été guidée par d’autres considérations que celles avancées par l’administration. Elle rejette le recours au motif que les éléments probatoires offerts par le requérant sont sans lien direct avec le refus de sa promotion et ne sauraient renverser la présomption de légalité attachée au choix de l’autorité de nomination, fondé sur des critères objectifs.

Cette décision conduit à examiner la rigueur avec laquelle la Cour administre la preuve en matière de promotion (I), avant d’analyser la portée de cette solution au regard de la protection des libertés syndicales (II).

I. La rigueur de l’administration de la preuve en matière de promotion

La solution retenue par la Cour repose entièrement sur l’appréciation des éléments de preuve apportés par les parties. Elle fait ainsi prévaloir le critère de sélection avancé par l’administration (A) face à l’insuffisance des éléments probatoires fournis par le fonctionnaire (B).

A. La prééminence d’un critère de sélection objectif et antérieur

L’institution défenderesse a produit une note interne datée du 22 janvier 1981, soit une date antérieure à la désignation du requérant comme membre du comité de promotion et au conflit qui s’y est déroulé. Ce document constituait l’élément central de sa défense, en ce qu’il établissait un fondement rationnel et non discriminatoire à la décision de nomination. La note précisait les raisons de la préférence accordée à un autre candidat pour le poste litigieux, après une réorganisation des services ayant mis deux chefs de groupe en concurrence.

Le supérieur hiérarchique y exposait que « A mérite égal, je donne ma préférence a [l’autre candidat], qui a une plus grande ancienneté tant dans le service que dans le grade la 4-réviseur ». Le requérant n’a d’ailleurs pas contesté les faits rapportés dans cette note, ni les appréciations portées sur les mérites respectifs des candidats. En s’appuyant sur ce document, la Cour constate que l’administration disposait d’un critère de départage objectif, celui de l’ancienneté, pour trancher entre deux agents aux mérites jugés équivalents. La chronologie des faits a joué ici un rôle déterminant, car la justification de l’administration préexistait à la naissance du grief de discrimination syndicale formulé par l’agent.

B. L’insuffisance des allégations du requérant face à la charge probatoire

Face à cette justification objective, le requérant devait démontrer que le véritable motif de la décision était différent et illégal. La Cour l’a ainsi invité « à soumettre des preuves écrites ou à faire des offres spécifiées de preuve par temoins, pour démontrer que la commission, en procédant à la décision litigieuse, s’est laissée guider par d’autres considérations ». Or, les offres de preuve du fonctionnaire se sont révélées insuffisantes pour établir le lien de causalité entre son activité syndicale et le refus de sa promotion.

Celui-ci a proposé de faire entendre des témoins sur des faits qui ne le concernaient pas directement, à savoir le traitement d’un autre agent lors d’une réunion du comité de promotion. De plus, il a fait état d’une hostilité générale de certains hauts fonctionnaires envers l’activité syndicale, sans pour autant établir un lien précis avec son cas personnel. La Cour a donc logiquement estimé que « même s’ils étaient établis, [ces faits] ne seraient pas de nature à étayer la conclusion que la décision attaquée n’était pas fondée sur les raisons avancées ». Le recours échoue donc faute pour le requérant de renverser la charge de la preuve et de démontrer un détournement de pouvoir.

II. La portée de la solution au regard de la protection des libertés syndicales

Le rejet du recours, bien que juridiquement fondé sur les règles de preuve, invite à une réflexion sur le niveau de protection accordé aux libertés syndicales. Si la décision réaffirme la nécessité d’un lien de causalité direct pour prouver une discrimination (A), elle confirme également son statut de décision d’espèce, dont les implications pratiques méritent d’être soulignées (B).

A. Une protection conditionnée par l’établissement d’un lien de causalité direct

Cet arrêt illustre la difficulté pour un agent public de prouver une discrimination ou une mesure de rétorsion syndicale. L’autorité administrative, en présentant une justification objective et rationnelle, place le requérant dans une position probatoire délicate. Il ne lui suffit pas d’invoquer une coïncidence temporelle entre un engagement syndical et une décision défavorable, ni même de faire état d’un climat général hostile au syndicalisme. La Cour exige la preuve d’un lien de causalité direct et certain entre le motif illégal allégué et la décision contestée.

Cette exigence, si elle est conforme aux principes directeurs du contentieux de la légalité, peut en pratique rendre la protection de la liberté syndicale plus théorique qu’effective. Une administration avisée peut en effet aisément construire une motivation en apparence objective pour masquer une intention discriminatoire, rendant la tâche du juge et du requérant particulièrement ardue. La solution, tout en étant juridiquement orthodoxe, impose un fardeau probatoire considérable à l’agent qui s’estime lésé dans ses droits, et ce, dans un contexte où les preuves d’une intention illicite sont par nature difficiles à recueillir.

B. La confirmation d’une décision d’espèce et ses implications pratiques

La présente décision ne constitue pas un revirement de jurisprudence ni un arrêt de principe majeur. Sa solution est étroitement liée aux faits de la cause, et plus particulièrement à l’existence de la note du 22 janvier 1981. L’issue du litige aurait sans doute été différente si l’administration n’avait pas pu produire une justification écrite, objective et surtout antérieure au conflit. Le caractère de décision d’espèce est donc manifeste, car elle se borne à appliquer des principes bien établis en matière de charge de la preuve à une situation factuelle spécifique.

Néanmoins, la portée de cet arrêt réside dans ses implications pratiques. Il enseigne aux agents publics que le succès d’un recours pour discrimination syndicale dépend de la solidité du dossier probatoire qu’ils sont en mesure de présenter. Pour l’administration, il souligne l’importance de documenter ses processus de décision en matière de promotion par des critères objectifs et vérifiables. En agissant ainsi, elle se prémunit efficacement contre des contestations ultérieures fondées sur des allégations de détournement de pouvoir, consolidant la légalité de ses choix face au contrôle du juge.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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