Par un arrêt en date du 22 janvier 1987, la Cour de justice des Communautés européennes, siégeant en sa première chambre, a tranché une question relative aux conséquences financières de l’exécution tardive d’une de ses propres décisions d’annulation. En l’espèce, un fonctionnaire avait obtenu, par un premier arrêt du 15 janvier 1985, l’annulation de la décision administrative fixant son classement initial. L’administration concernée avait procédé à un nouveau classement et versé les rappels de traitement correspondants pour la période courant du 1er janvier 1983 au 31 mai 1985. Cependant, elle n’avait assorti ce versement d’aucun intérêt de retard. Le fonctionnaire a donc introduit une réclamation le 21 juin 1985 afin d’obtenir le paiement d’intérêts sur ces sommes. Face au rejet implicite de sa demande, l’intéressé a saisi la Cour d’un nouveau recours. Il soutenait que le retard dans le paiement du traitement auquel il avait droit lui causait un préjudice devant être réparé par l’allocation d’intérêts moratoires. L’administration défenderesse opposait qu’une telle allocation supposait un comportement fautif de sa part, ce qui n’était pas le cas, l’erreur de classement initiale étant intervenue dans un contexte que la Cour elle-même avait qualifié d’équivoque. La question de droit qui se posait était donc de savoir si l’obligation pour une administration d’exécuter un arrêt d’annulation et de rétablir un agent dans ses droits pécuniaires emporte de plein droit le versement d’intérêts moratoires sur les sommes payées tardivement, indépendamment de toute appréciation d’une faute dans l’illégalité initiale. La Cour répond par l’affirmative, en jugeant qu’une « exécution correcte de l’arrêt exige, afin de remettre l’intéressée dans la situation qui aurait légalement dû être la sienne, la prise en considération du préjudice qu’elle a subi du fait que ce rétablissement est intervenu seulement après un laps de temps plus ou moins long et qu’elle n’a pu disposer des sommes auxquelles elle avait droit à leurs dates d’échéances normales ». Elle annule en conséquence la décision de rejet et condamne l’administration au versement d’intérêts au taux de 8 % l’an.
La solution retenue par la Cour consacre une conception objective de la réparation due au créancier d’une obligation pécuniaire méconnue par l’administration (I), conférant ainsi une portée significative à l’obligation d’exécution des décisions de justice (II).
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I. La consécration d’une réparation objective du retard de paiement
L’analyse de la Cour se fonde sur la nature de l’obligation pesant sur l’administration après un arrêt d’annulation, ce qui la conduit à écarter la nécessité de prouver une faute (A) pour affirmer que la réparation du préjudice né du retard est une composante de la reconstitution de carrière (B).
A. L’indifférence de la faute dans l’appréciation du préjudice
La Cour écarte l’argumentation de l’administration selon laquelle l’absence de faute de sa part ferait obstacle au versement d’intérêts. L’institution défenderesse invoquait le caractère « excusable » de son erreur initiale, relevé par la Cour dans son premier arrêt, pour se décharger de toute obligation autre que le versement du principal. Ce faisant, elle tentait de placer le débat sur le terrain de la responsabilité pour faute, où la preuve d’un comportement fautif est une condition de la réparation.
Le juge de l’Union européenne refuse de suivre cette voie. Il opère une distinction fondamentale entre la cause de l’illégalité primitive et les conséquences de l’inexécution ou de l’exécution tardive de l’arrêt qui la censure. La question n’est plus de savoir si l’administration a commis une faute en 1983, mais de déterminer ce qu’implique l’obligation de tirer toutes les conséquences d’un arrêt d’annulation. En jugeant que le comportement initial de l’administration est sans pertinence pour la solution du litige relatif aux intérêts, la Cour ancre sa décision dans une logique de réparation objective, détachée de toute considération subjective relative au comportement de l’auteur du dommage.
B. Les intérêts moratoires, accessoire nécessaire à la reconstitution des droits
La Cour considère que l’exécution d’un arrêt d’annulation doit « faire disparaître l’illégalité commise et remettre la requérante dans la situation qui aurait dû être la sienne si les dispositions du statut avaient été correctement appliquées ». Cette reconstitution intégrale, ou *restitutio in integrum*, ne peut se limiter au seul versement des sommes nominalement dues. Elle doit nécessairement compenser le préjudice que l’agent a subi du simple fait de ne pas avoir disposé de son traitement à la date normale de son échéance.
Le préjudice ici n’est pas un préjudice distinct qui nécessiterait une preuve, il est inhérent au retard de paiement lui-même. La Cour entérine ainsi le principe selon lequel toute dette d’argent non payée à son terme cause au créancier un dommage, consistant en la privation de la jouissance des fonds. Dès lors, les intérêts moratoires ne sont pas une sanction de la faute du débiteur, mais la contrepartie forfaitaire de ce préjudice financier. Leur versement devient une mesure d’exécution automatique de la décision de justice, indispensable pour assurer la pleine effectivité du rétablissement des droits de l’agent.
Cette approche rigoureuse, en définissant l’étendue de l’obligation d’exécution, renforce la portée des décisions de justice administrative et la protection des justiciables.
II. La portée renforcée de l’obligation d’exécution des décisions de justice
En systématisant le droit aux intérêts moratoires, la Cour en précise la nature juridique dans le contentieux de la fonction publique (A) et établit un principe général applicable à toute exécution pécuniaire tardive d’un arrêt d’annulation (B).
A. La nature compensatoire des intérêts de retard
La décision commentée clarifie que les intérêts alloués ne sont pas des dommages-intérêts au sens classique, mais bien des intérêts moratoires. La distinction est de taille. Les premiers visent à réparer un préjudice dont l’existence et l’étendue doivent être prouvées, et ils sont souvent liés à une faute. Les seconds, en revanche, sont dus du seul fait du retard dans l’exécution d’une obligation de somme d’argent, sans qu’il soit nécessaire pour le créancier de justifier d’un préjudice particulier.
En évaluant forfaitairement les intérêts à un taux de 8 % l’an, la Cour confirme cette nature. Elle ne cherche pas à mesurer un préjudice réel mais applique une compensation standardisée pour la non-disponibilité des fonds. Cette approche présente l’avantage de la simplicité et de la prévisibilité, évitant des débats complexes sur l’étendue du dommage subi par l’agent. Elle établit que le temps, en matière financière, a une valeur qui doit être juridiquement reconnue et compensée.
B. Un principe généralisable à l’inexécution pécuniaire
Bien que rendue dans une affaire concernant un fonctionnaire, la solution a une portée générale. Le raisonnement de la Cour repose sur une logique qui transcende le cas d’espèce. Il est fondé sur le principe de l’autorité de la chose jugée et sur l’obligation pour l’administration d’assurer une exécution complète et correcte des arrêts qui annulent ses décisions. La Cour souligne que l’administration avait « épuisé le pouvoir d’appréciation » qu’elle détient en matière de classement. L’annulation de la première décision rendait le nouveau calcul de traitement non plus discrétionnaire, mais une conséquence nécessaire de l’arrêt.
Dès lors, le principe énoncé semble vocation à s’appliquer à toute situation où, à la suite d’une annulation contentieuse, l’administration est tenue de verser une somme d’argent avec effet rétroactif. Le retard dans cette exécution ouvre automatiquement droit à des intérêts moratoires à compter des échéances initiales. Cet arrêt constitue ainsi une garantie essentielle pour les justiciables, assurant que la victoire obtenue devant le juge ne sera pas privée d’une partie de son effet utile par la lenteur de l’administration à s’y conformer.