Arrêt de la Cour (première chambre) du 17 mars 1983. – Hans Dinter GmbH contre Hauptzollamt Köln-Deutz. – Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Düsseldorf – Allemagne. – Classement tarifaire: viande assaisonnée. – Affaire 175/82.

Par un arrêt rendu en 1982, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par le Finanzgericht Düsseldorf, s’est prononcée sur l’interprétation d’une position du tarif douanier commun. En l’espèce, une société importatrice avait introduit sur le territoire douanier de la Communauté des rôtis de dinde qui avaient été légèrement assaisonnés avec du sel et du poivre. L’administration des douanes avait classé cette marchandise dans la catégorie des volailles mortes fraîches, réfrigérées ou congelées, ce qui entraînait l’application de montants compensatoires monétaires. La société importatrice contestait cette classification, soutenant que la viande relevait de la catégorie des autres préparations et conserves de viandes, exempte de ces montants. L’assaisonnement était si infime que le poivre n’était décelable qu’au microscope, et n’était perceptible ni par l’odeur ni par le goût. Face à cette difficulté d’interprétation, la juridiction allemande a interrogé la Cour de justice sur le critère à retenir pour qualifier une viande de « préparation » au sens du tarif douanier. La question était donc de savoir si la classification d’une denrée en tant que préparation dépendait d’une modification organoleptique perceptible, ou si la simple présence objective d’un ingrédient ajouté, même non décelable par les sens, suffisait. La Cour de justice a jugé que le classement tarifaire devait se fonder sur les caractéristiques et propriétés objectives des produits. En conséquence, la présence de poivre, même uniquement décelable au microscope, suffisait à faire de la viande une préparation au sens de la position 16.02 du tarif douanier commun.

Cette décision, en privilégiant une approche scientifique pour la classification douanière, établit clairement la primauté du critère objectif (I), ce qui renforce la sécurité juridique dans l’application du droit douanier commun (II).

I. L’affirmation d’un critère objectif pour la classification tarifaire

La Cour de justice rejette explicitement le recours à un critère sensoriel pour définir la notion de préparation (A), au profit d’une méthode de classification fondée exclusivement sur les propriétés objectives et vérifiables du produit (B).

A. Le rejet d’un critère subjectif et sensoriel

Dans ses observations, la Commission soutenait qu’un assaisonnement non perceptible au goût ne pouvait suffire à transformer une viande en « préparation ». Selon cette logique, la finalité même de l’assaisonnement étant de relever la saveur, son absence d’effet sensible le priverait de pertinence juridique. La Cour écarte cependant cette thèse avec fermeté. Elle considère qu’un tel critère, fondé sur la perception gustative, serait par nature subjectif et variable. Son adoption aurait pour conséquence de « compromettre l’application uniforme du tarif douanier commun dans l’ensemble de la communauté ». En effet, la perception du goût peut varier d’un individu à l’autre, et l’organisation de tests gustatifs à grande échelle poserait des difficultés pratiques insolubles tout en offrant des résultats peu fiables. La Cour refuse ainsi de faire dépendre une classification juridique d’une appréciation humaine faillible.

B. La consécration du critère des caractéristiques et propriétés objectives

En opposition au critère subjectif, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « le critère décisif pour la classification douanière des marchandises selon le tarif douanier commun doit être recherché, d’une manière générale, dans les caractéristiques et propriétés objectives des produits tels qu’ils sont présentés en vue de leur dédouanement ». La solution réside donc non pas dans l’effet perçu de l’ajout, mais dans sa présence matérielle. Peu importe que l’assaisonnement ait pour but d’affecter le goût, sa constatation doit pouvoir reposer sur des méthodes scientifiques. Ainsi, une analyse en laboratoire, telle qu’un examen microscopique, constitue un moyen de preuve objectif et irréfutable de la composition du produit. Cette approche garantit une classification homogène et prévisible, indépendante des appréciations des agents des douanes ou des particularités des marchandises. La présence de poivre, même infime, est une caractéristique objective qui modifie la nature du produit.

L’adoption de ce principe rigoureux n’est pas une simple solution technique, elle revêt une portée considérable pour l’ensemble des opérateurs économiques au sein du marché commun.

II. Le renforcement de la sécurité juridique dans le tarif douanier commun

La solution retenue par la Cour assure une méthode de classification univoque, garante de la sécurité juridique (A), et sa portée dépasse largement le cas d’espèce pour affirmer un principe général applicable à l’ensemble du droit douanier (B).

A. La garantie de la sécurité juridique par une méthode de classification univoque

En écartant tout critère subjectif, la Cour de justice offre aux importateurs et aux administrations douanières une prévisibilité essentielle à la fluidité des échanges commerciaux. Une classification fondée sur des analyses objectives permet aux opérateurs économiques de déterminer à l’avance, avec un haut degré de certitude, le traitement tarifaire qui sera réservé à leurs marchandises. Cela évite les litiges fondés sur des appréciations divergentes et prévient l’arbitraire potentiel qui pourrait naître d’une classification laissée à la perception sensorielle d’un agent. La sécurité juridique est ainsi renforcée, car la règle de droit devient claire et son application prévisible sur l’ensemble du territoire douanier de la Communauté, assurant une concurrence non faussée entre les opérateurs des différents États membres.

B. La portée générale de la solution au-delà du cas d’espèce

Bien que la décision concerne spécifiquement la viande de volaille assaisonnée, elle énonce un principe de portée générale. Cet arrêt de principe vient confirmer que pour toute marchandise, la classification doit s’opérer sur la base de sa composition et de ses propriétés intrinsèques, matériellement vérifiables. L’intention du fabricant ou l’effet escompté du traitement importent moins que le résultat objectif qui en découle. Cette règle s’applique à de nombreuses autres situations où des ajouts minimes ou des transformations légères peuvent faire basculer un produit d’une position tarifaire à une autre. La solution solidifie ainsi l’un des fondements du tarif douanier commun, en faisant de l’analyse objective et scientifique la clé de voûte de l’interprétation des positions tarifaires.

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