Par un arrêt du 7 octobre 1989, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les contours de la coordination des systèmes de sécurité sociale en matière de libre circulation des travailleurs. En l’espèce, une ressortissante allemande ayant travaillé en Allemagne a obtenu, lors de son mariage, le remboursement de ses cotisations d’assurance vieillesse. Après avoir de nouveau cotisé pendant une courte période en Allemagne, elle s’est établie en Italie où elle a exercé une activité salariée, s’affiliant ainsi au régime de sécurité sociale italien. Plusieurs années plus tard, elle a souhaité bénéficier d’une disposition de la législation allemande permettant aux femmes de verser rétroactivement des cotisations pour reconstituer les droits à pension liquidés lors du mariage. L’octroi de cette faculté était subordonné, d’une part, à l’exercice d’une activité soumise à l’assurance obligatoire allemande au moment de la demande et, d’autre part, au versement de cotisations pendant au moins vingt-quatre mois après le remboursement initial.
L’organisme de sécurité sociale allemand a rejeté sa demande, estimant qu’aucune des deux conditions n’était remplie. Saisie du litige, la juridiction de première instance a confirmé cette décision, mais la juridiction d’appel a infirmé le jugement, donnant raison à l’assurée. L’organisme de sécurité sociale a alors formé un pourvoi en révision devant la juridiction suprême allemande. Celle-ci a considéré que la condition relative à une période de cotisation de vingt-quatre mois était satisfaite en totalisant les périodes allemandes et italiennes, conformément au règlement communautaire. Toutefois, elle a maintenu un doute sur la condition d’affiliation obligatoire au régime allemand au moment de la demande, la requérante étant alors affiliée au régime italien. La juridiction de renvoi a donc interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle condition d’affiliation nationale avec le droit communautaire, d’abord au regard du règlement n° 1408/71, puis au regard des articles 48 et 51 du traité CEE.
Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si le principe de coordination des régimes de sécurité sociale impose à un État membre de considérer l’affiliation au régime obligatoire d’un autre État membre comme équivalente à une affiliation à son propre régime pour l’ouverture d’un droit national au rachat volontaire de cotisations.
À cette question, la Cour répond par la négative. Elle juge que ni le règlement n° 1408/71 ni les articles 48 et 51 du traité ne s’opposent à une législation nationale qui conditionne le droit au rachat de périodes d’assurance à une affiliation au régime national de sécurité sociale au moment de la demande. La Cour consacre ainsi une interprétation stricte des textes de coordination, préservant une part substantielle de la compétence des États membres en matière de sécurité sociale. Cette solution repose sur une distinction rigoureuse entre les conditions d’admission à un régime et les modalités de calcul des droits (I), ce qui conduit à circonscrire la protection des travailleurs migrants face aux disparités des législations nationales (II).
I. La préservation de la compétence étatique par une interprétation stricte de la coordination
La Cour de justice adopte une approche littérale des dispositions du droit communautaire dérivé, refusant d’étendre leur champ d’application au-delà de leur objet expressément défini. Elle confirme ainsi que les conditions d’admission à un régime d’assurance volontaire relèvent de la compétence nationale (A), dès lors que le droit communautaire ne prévoit leur neutralisation que dans des hypothèses précisément délimitées (B).
A. Le caractère limitatif des dérogations prévues par le règlement n° 1408/71
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la possibilité d’appliquer l’article 9 du règlement n° 1408/71 pour assimiler une affiliation en Italie à une affiliation en Allemagne. Cet article vise à faciliter l’accès à l’assurance volontaire ou facultative continuée pour les travailleurs qui se déplacent au sein de la Communauté. La Cour examine successivement les deux paragraphes de cette disposition pour en rejeter l’application au cas d’espèce. Elle rappelle que le paragraphe premier neutralise les clauses de résidence, mais juge qu’une « condition d’affiliation telle que celle contenue à l’article 2, paragraphe 28, de l’ArVNG n’est toutefois pas assimilable à une condition de résidence ». La Cour souligne la différence de nature entre ces deux exigences, l’une portant sur le lieu de vie, l’autre sur le statut professionnel et l’assujettissement à un régime de sécurité sociale.
Concernant le paragraphe 2, qui organise la totalisation des périodes d’assurance accomplies dans différents États membres, la Cour constate qu’il ne s’applique qu’aux conditions de durée minimale d’assurance. Elle en déduit, a contrario, qu’il « ne règle pas les autres conditions auxquelles les législations de chaque État membre peuvent subordonner l’ouverture d’un droit ». En refusant d’étendre par analogie le principe de l’équivalence des périodes à celui de l’équivalence des affiliations, la Cour opère une lecture restrictive du texte. Cette interprétation confirme que le règlement de coordination n’a pas pour objet de créer un régime commun de sécurité sociale, mais seulement d’aménager la coexistence des systèmes nationaux.
B. La compétence résiduelle des États membres pour fixer les conditions d’affiliation
En limitant la portée de l’article 9 du règlement, la Cour réaffirme un principe fondamental de la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres. Le droit communautaire de la sécurité sociale repose sur une simple technique de coordination, et non d’harmonisation. Par conséquent, en l’absence de disposition communautaire contraire, « il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer les conditions du droit ou de l’obligation de s’affilier à un régime de sécurité sociale ». Cette formule, que la Cour reprendra dans de nombreux arrêts ultérieurs, constitue la pierre angulaire de sa jurisprudence en la matière.
La décision commentée illustre parfaitement ce principe. La faculté de racheter des cotisations est une création du législateur allemand, qui est libre d’en définir les conditions d’accès. La condition d’être affilié au système allemand au moment de la demande apparaît alors comme une prérogative de l’État membre, qui entend réserver ce dispositif spécifique aux personnes qui participent, à ce moment précis, au financement de son régime de sécurité sociale. La Cour valide cette logique, considérant que la coordination communautaire ne peut avoir pour effet de contraindre un État à ouvrir l’accès à ses prestations volontaires à des personnes qui ne relèvent plus de son système. Cette solution, si elle préserve l’autonomie des États, n’est cependant pas sans conséquence pour la libre circulation des travailleurs.
II. La portée limitée de la protection du travailleur migrant face aux disparités législatives
Après avoir écarté l’application du droit dérivé, la Cour examine la compatibilité de la législation allemande avec les principes fondamentaux du traité. Elle conclut que la libre circulation des travailleurs ne s’oppose pas à une telle condition d’affiliation, dès lors qu’elle est appliquée sans discrimination (A), même si cela aboutit à la perte d’un avantage pour le travailleur ayant exercé son droit à la mobilité (B).
A. L’absence de discrimination, critère déterminant de la validité de la condition nationale
La seconde question portait sur une éventuelle violation des articles 48 et 51 du traité CEE, qui consacrent la libre circulation et prévoient les mécanismes de coordination pour la garantir. La Cour rappelle que l’objectif de ces articles serait compromis si les travailleurs « devaient perdre des avantages de sécurité sociale que leur assure la législation d’un État membre » du fait de leur mobilité. Toutefois, elle tempère immédiatement ce principe en le confrontant à la compétence des États membres. L’élément décisif devient alors l’existence ou non d’une discrimination fondée sur la nationalité.
Or, en l’espèce, la condition d’affiliation au régime allemand s’applique indifféremment aux ressortissants allemands et à ceux des autres États membres. Une ressortissante allemande ayant quitté l’Allemagne pour travailler en Italie se voit opposer le même refus qu’une ressortissante italienne qui, après avoir travaillé en Allemagne, serait retournée dans son pays d’origine. La Cour constate que « la réglementation nationale qui est à l’origine du litige au principal n’opère aucune discrimination en fonction de la nationalité ». Cette absence de discrimination directe ou indirecte suffit à valider la mesure nationale au regard de l’article 48 du traité. La Cour refuse de considérer qu’une telle règle constitue une entrave déguisée à la libre circulation, privilégiant une approche centrée sur l’égalité de traitement formelle.
B. L’admission de la perte d’un avantage social en l’absence de coordination
En validant la condition d’affiliation allemande, la Cour admet implicitement qu’un travailleur peut perdre une faculté offerte par une législation nationale du simple fait d’avoir exercé son droit à la libre circulation. La requérante, en s’établissant en Italie, a perdu la possibilité de bénéficier du mécanisme de rachat de cotisations. Cette situation met en lumière les limites inhérentes à un système de simple coordination. Les articles 48 et 51 du traité n’ont pas pour effet d’éliminer les disparités entre les législations de sécurité sociale des États membres, ni les inconvénients qui peuvent en résulter.
La Cour établit une hiérarchie claire : la compétence d’un État membre pour définir les conditions d’accès à son système de sécurité sociale prime sur la protection absolue du travailleur contre toute conséquence négative de sa mobilité, tant que ces conditions ne sont pas discriminatoires. L’arrêt ne consacre donc pas un droit à l’exportation de toutes les facultés offertes par un régime national. Il s’agit d’une décision d’espèce par ses faits, mais dont la portée de principe est significative. Elle confirme que si la coordination vise à neutraliser certains obstacles territoriaux, elle ne garantit pas au travailleur migrant le maintien du bénéfice de l’ensemble des dispositions les plus favorables de chaque législation à laquelle il a été soumis au cours de sa carrière.