Dans un arrêt rendu par sa première chambre, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur la situation d’un agent public dont la carrière au sein de la Commission a été marquée par une succession de contrats précaires avant sa titularisation. L’agent a saisi la Cour de deux demandes distinctes. La première vise à obtenir la prise en compte de certaines périodes de service accomplies en qualité d’agent auxiliaire pour le calcul de ses droits à pension, en soutenant que ces périodes auraient dû être qualifiées de service d’agent temporaire. La seconde demande a pour objet l’indemnisation des préjudices matériels et moraux qu’il estime avoir subis en raison du comportement fautif de l’institution à son égard tout au long de sa carrière. Le requérant a obtenu une satisfaction partielle de ses demandes auprès de l’administration avant l’introduction du recours, laquelle a accepté de requalifier certaines périodes de service en vue du calcul de sa pension. Le litige porté devant la Cour ne concerne donc plus que la période de service allant du 1er septembre 1964 au 31 décembre 1965. Concernant la demande indemnitaire, l’institution a soulevé une exception d’irrecevabilité, arguant que le recours en responsabilité ne pouvait servir à contourner l’absence de contestation en temps utile de décisions administratives devenues définitives. Se posaient alors à la Cour deux questions de droit distinctes. D’une part, il s’agissait de déterminer le critère permettant de distinguer un emploi d’agent auxiliaire d’un emploi d’agent temporaire, afin de statuer sur la demande de requalification du contrat pour la période restante. D’autre part, la Cour devait préciser les conditions de recevabilité d’un recours en responsabilité lorsqu’il est lié à des décisions administratives qui n’ont pas fait l’objet d’un recours en annulation dans les délais. La Cour de justice rejette la demande de requalification au motif que l’agent n’a pas démontré que les tâches exercées correspondaient à un emploi permanent inscrit au tableau des effectifs. En revanche, elle accueille partiellement la demande indemnitaire, en opérant une distinction : le recours est jugé irrecevable en tant qu’il vise à réparer des préjudices découlant de décisions administratives non contestées, mais demeure recevable pour les préjudices qui résulteraient de faits matériels ou d’un comportement général de l’administration distincts de ces décisions.
Il convient d’analyser la solution de la Cour en examinant d’abord le critère de distinction entre l’emploi temporaire et l’emploi auxiliaire qu’elle retient pour statuer sur les droits à pension (I), puis d’étudier la délimitation qu’elle opère entre le champ du recours en annulation et celui du recours en responsabilité (II).
I. La distinction entre l’emploi temporaire et l’emploi auxiliaire, critère de la requalification du contrat
Pour répondre à la demande du requérant relative à ses droits à pension, la Cour précise la définition juridique des statuts d’agent temporaire et d’agent auxiliaire en rappelant le critère organique de l’inscription de l’emploi au tableau des effectifs (A), avant de faire une application rigoureuse de ce critère à la situation de l’espèce, mettant ainsi en lumière le rôle de la charge de la preuve (B).
A. Le rappel du critère de l’inscription au tableau des effectifs
La Cour fonde son raisonnement sur la nature de l’emploi occupé par l’agent pour distinguer les deux types de contrats. Elle énonce clairement que « le critère de distinction entre agent auxiliaire et agent temporaire réside dans le fait que ce dernier occupe un emploi permanent compris dans le tableau des effectifs, tandis que le premier exerce, sauf dans le cas de l’intérim, une activité administrative sans être affecté à un emploi compris dans le tableau des effectifs ». Par cette formulation, la Cour réaffirme que la précarité du contrat d’agent auxiliaire est sa caractéristique essentielle, ce type de contrat ne pouvant être utilisé que pour des besoins momentanés, urgents ou pour des tâches passagères. La finalité du régime de l’auxiliariat est de répondre à un besoin ponctuel de l’administration, et non de pourvoir durablement à des fonctions qui relèvent de l’activité normale et permanente de l’institution. Cette distinction, fondée sur l’existence d’un poste budgétaire permanent, offre un critère objectif qui prévient en principe le détournement de la procédure de recrutement des agents auxiliaires pour pourvoir des emplois permanents.
B. L’application du critère au cas d’espèce et la charge de la preuve
En appliquant ce principe à la situation du requérant pour la période litigieuse, la Cour examine si les éléments fournis au dossier permettent d’établir que l’emploi occupé relevait d’un poste permanent. Elle constate que le requérant « n’a pas pu démontrer que les tâches qu’il exerçait entre le 1er septembre 1964 et le 31 décembre 1965 correspondaient à un emploi compris dans le tableau des effectifs ». Inversement, l’institution a produit des documents qui attestent du « caractère essentiellement passager des travaux » confiés à l’agent durant cette période. Le rejet de la demande de requalification repose donc sur une question de preuve. C’est à celui qui allègue que son contrat d’agent auxiliaire dissimulait en réalité un emploi permanent qu’il incombe de le prouver. Faute de cette démonstration, la nature des tâches, bien que pouvant être de haut niveau, ne suffit pas à elle seule à entraîner une requalification. La solution souligne l’importance pour les agents de réunir les preuves de la permanence de leur emploi s’ils entendent contester la précarité de leur statut.
Après avoir statué sur le fond du litige relatif aux droits à pension, la Cour se penche sur la recevabilité du second chef de demande, relatif à l’indemnisation des préjudices, ce qui la conduit à préciser les rapports entre les différentes voies de droit ouvertes aux fonctionnaires et agents.
II. L’autonomie relative du recours en responsabilité par rapport au recours en annulation
Sur la question de la demande indemnitaire, la Cour adopte une position nuancée. Elle confirme d’abord le principe de l’irrecevabilité d’un recours en responsabilité qui vise à contourner l’expiration des délais d’un recours en annulation (A), mais elle préserve l’existence d’un champ propre à l’action en responsabilité pour les préjudices qui ne découlent pas directement de décisions individuelles attaquables (B).
A. L’irrecevabilité du recours indemnitaire se substituant à un recours en annulation forclos
La Cour déclare la demande de dommages-intérêts irrecevable pour une partie des griefs soulevés par le requérant. Elle vise spécifiquement les préjudices qui découleraient de l’illégalité de plusieurs décisions individuelles prises par la Commission, notamment son classement, sa titularisation à un grade jugé trop bas, ou l’utilisation abusive du régime d’auxiliariat matérialisée par des contrats successifs. Pour la Cour, un tel recours trouve sa source dans la prétendue illégalité de ces actes administratifs. Or, elle rappelle avec fermeté qu’« un fonctionnaire n’ayant pas attaqué en temps utile une décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination à son égard ne saurait se prévaloir de l’illégalité prétendue de ces décisions dans le cadre d’un recours en responsabilité ». Cette solution est classique et vise à garantir la stabilité des situations juridiques et le respect des délais de recours. Permettre à un agent d’obtenir par la voie indemnitaire ce qu’il a perdu le droit de réclamer par la voie de l’annulation viderait de sa substance l’exigence des délais de recours contentieux.
B. La recevabilité maintenue pour les préjudices découlant de faits distincts des décisions attaquables
Cependant, la Cour ne rejette pas l’intégralité de la demande indemnitaire. Elle considère que tous les griefs du requérant ne se confondent pas avec une contestation implicite de décisions administratives. Elle juge ainsi que les allégations de « vexations » et de « mesures d’intimidation » peuvent constituer des circonstances de fait détachables de tout acte attaquable. De même, le grief tiré du « maintien du requérant dans une situation d’insécurité pendant plus de dix années » n’est pas nécessairement identique aux griefs portant sur l’illégalité de chaque contrat pris individuellement. La Cour admet qu’une succession de contrats légaux, pris isolément, puisse néanmoins constituer une faute de l’administration et engendrer un préjudice distinct, ouvrant droit à réparation. En déclarant le recours recevable sur ces points, la Cour préserve l’autonomie du recours en responsabilité pour sanctionner des comportements fautifs de l’administration ou des préjudices qui ne se matérialisent pas dans un acte administratif formel susceptible d’un recours en annulation. Elle ménage ainsi un équilibre entre l’impératif de sécurité juridique et la protection des agents contre des agissements dommageables de l’institution.