Arrêt de la Cour (première chambre) du 20 mai 1987. – Sandro Gherardi Dandolo contre Commission des Communautés européennes. – Fonctionnaires – Origine professionnelle d’une invalidité permanente totale. – Affaire 214/85.

En droit de la fonction publique communautaire, la question de la recevabilité d’un recours contentieux est subordonnée au respect de délais stricts, dont le point de départ est fixé par la notification de l’acte faisant grief. L’arrêt rendu par la Cour de justice le 4 février 1987 vient préciser les notions d’acte de retrait et d’acte confirmatif, déterminantes pour l’appréciation du caractère tardif ou non d’une requête. En l’espèce, un fonctionnaire avait été mis en invalidité par une décision de la Commission du 21 juin 1982, lui octroyant une pension calculée sur la base d’une cause non professionnelle. Cette décision n’avait fait l’objet d’aucun recours dans le délai imparti. Dix mois plus tard, l’intéressé sollicita un réexamen de son dossier, estimant que son invalidité revêtait une origine professionnelle. En réponse, l’institution s’était engagée à interroger de nouveau la commission d’invalidité et à examiner, à la lumière des éclaircissements fournis, si le taux de sa pension devait être révisé. Après avoir reçu deux rapports complémentaires confirmant que l’accident de service n’était pas la cause prépondérante de l’invalidité, la Commission informa le requérant, par une lettre du 20 juillet 1984, qu’il n’y avait pas lieu de modifier sa décision initiale. C’est contre cette lettre que l’ancien fonctionnaire forma un recours en annulation, après le rejet de sa réclamation administrative. La Commission souleva une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du recours, arguant que la décision de 1984 était purement confirmative de celle de 1982, devenue définitive. Le requérant soutenait pour sa part que la promesse de réexamen de 1983 valait retrait implicite de la décision initiale et que l’acte de 1984, fondé sur des rapports postérieurs, constituait une nouvelle décision faisant courir un nouveau délai. Il revenait donc à la Cour de déterminer si une promesse de réexamen par une institution constitue un retrait de sa décision antérieure et si une décision maintenant une position initiale après instruction complémentaire est un acte nouveau ou un simple acte confirmatif. La Cour rejette la requête comme irrecevable au motif que l’acte attaqué est purement confirmatif de la décision initiale de 1982, seule à faire grief et non contestée en temps utile.

La solution de la Cour repose sur une conception stricte des conditions de retrait d’un acte administratif (I), ce qui la conduit logiquement à qualifier la décision attaquée d’acte purement confirmatif, insusceptible de rouvrir les délais de recours (II).

I. La soumission du retrait d’acte à un formalisme rigoureux

La Cour de justice écarte l’argumentation du requérant en posant une définition restrictive de l’acte de retrait, lequel ne peut être implicite. Elle affirme ainsi la nécessité d’un acte formel (A) et refuse de considérer une simple promesse de réexamen comme un tel acte (B).

A. L’exigence d’un acte contraire explicite

La Cour énonce un principe général clair pour garantir la sécurité juridique des situations établies par les actes des institutions. Elle juge en effet que « le retrait d’un acte d’une institution communautaire ne peut résulter que d’un acte de cette même institution qui soit rapporte expressément la décision antérieure, soit en contient une nouvelle qui se substitue à la précédente ». Par cette formule, la Cour exclut toute possibilité de retrait implicite ou présumé. Le parallélisme des formes est ainsi consacré : une décision individuelle créatrice de droits ou, comme en l’espèce, fixant un statut, ne peut être anéantie que par un acte de même nature, manifestant sans équivoque la volonté de son auteur de la faire disparaître de l’ordonnancement juridique. Cette exigence protège non seulement les tiers mais aussi l’institution elle-même contre les incertitudes qui naîtraient d’une interprétation extensive de ses communications. La stabilité des décisions administratives serait compromise si leur existence pouvait être remise en cause par de simples échanges informels.

B. Le rejet de la promesse de réexamen comme acte de retrait

Appliquant ce principe au cas d’espèce, la Cour analyse la lettre du 20 juin 1983 par laquelle la Commission s’engageait à réexaminer le dossier. Elle la qualifie de « simple promesse de réexaminer celle-ci s’il apparaissait qu’elle était fondée sur une interprétation erronée du premier rapport de la commission d’invalidité ». Cette promesse, même écrite, ne constitue pas un acte rapportant la décision de 1982. Elle est conditionnelle et préparatoire, subordonnant une éventuelle révision à une clarification des faits. En refusant d’y voir un retrait, la Cour opère une distinction fondamentale entre un acte de pure instruction, qui tend à éclairer l’administration, et un acte décisoire, qui modifie une situation juridique. Une telle solution est empreinte de pragmatisme, car elle permet à une administration de faire preuve de bonne volonté et d’ouverture au dialogue avec ses administrés, sans pour autant prendre le risque de voir l’ensemble de ses décisions définitives systématiquement remises en cause par cette seule démarche.

II. La qualification d’acte confirmatif privant le requérant d’un nouveau délai de recours

Dès lors que la décision de 1982 n’a pas été retirée, la lettre de 1984 ne peut être analysée comme une nouvelle décision. Pour en arriver à cette conclusion, la Cour constate l’absence d’éléments factuels nouveaux dans le dossier (A), ce qui l’amène à constater inéluctablement la tardiveté du recours (B).

A. L’absence d’éléments nouveaux substantiels

Le requérant soutenait que la décision de 1984 était nouvelle car fondée sur les deux rapports complémentaires établis par la commission d’invalidité cette année-là. La Cour balaie cet argument en relevant que ces rapports « se sont bornés à expliciter l’interprétation à donner au premier rapport déposé en 1982 ». Ils n’ont donc pas constitué des faits nouveaux de nature à obliger la Commission à procéder à un nouvel examen de la situation juridique du requérant. Ces expertises n’ont fait que conforter l’institution dans son appréciation initiale. Par conséquent, la décision de 1984, qui se fonde sur une base factuelle inchangée sur le fond, ne fait que réitérer la position arrêtée en 1982. Elle ne modifie pas la situation de l’administré et n’est donc pas une nouvelle décision faisant grief. Cette analyse rappelle que seule la survenance d’un élément de droit ou de fait substantiellement nouveau peut contraindre une administration à réexaminer une demande et, le cas échéant, à faire courir un nouveau délai de recours.

B. La consécration du caractère tardif du recours

La conséquence de cette qualification est inévitable : la décision du 20 juillet 1984 étant purement confirmative, elle est dépourvue de tout effet sur le délai de recours. La Cour en déduit que « l’acte faisant grief au requérant est la décision du 21 juin 1982 ». C’est cette décision qui a fixé de manière définitive les droits à pension de l’intéressé et qui aurait dû être attaquée dans le délai statutaire. Le recours, introduit plus de trois ans après l’édiction de cet acte, ne pouvait donc qu’être jugé tardif et, par conséquent, irrecevable. Cette solution, bien que sévère pour le requérant, est une application orthodoxe du principe de sécurité juridique qui impose aux justiciables de contester les décisions administratives dans un délai raisonnable. Elle illustre la rigueur avec laquelle le juge communautaire contrôle le respect des règles de procédure, lesquelles ne sauraient être contournées par la sollicitation d’un réexamen gracieux auprès de l’administration. L’arrêt constitue ainsi un rappel que la bienveillance d’une institution ne saurait pallier la négligence d’un requérant.

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