Par un arrêt en date du 24 février 1987, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en sa première chambre, a précisé les conditions d’éligibilité à un concours de la fonction publique communautaire. En l’espèce, une personne exerçant en tant que correctrice indépendante pour l’Office des publications officielles des Communautés européennes s’est vu refuser l’accès à un concours général au motif qu’elle dépassait la limite d’âge fixée par l’avis de concours. Cet avis prévoyait une dérogation pour les fonctionnaires ou autres agents des Communautés européennes justifiant d’au moins une année de service. La candidate, estimant relever de cette catégorie, a contesté le rejet de sa candidature.
Saisie d’une première décision de rejet du 6 août 1985, la candidate a sollicité un réexamen en invoquant son statut pour bénéficier de la dérogation d’âge. Le jury du concours a maintenu sa position par une seconde décision en date du 26 septembre 1985, confirmant le refus d’admission aux épreuves. C’est cette dernière décision qui a fait l’objet d’un recours en annulation devant la Cour de justice, introduit le 23 décembre 1985. La question de droit posée à la Cour était double. Il s’agissait, d’une part, de déterminer si une personne fournissant des prestations en tant que correctrice indépendante pouvait être qualifiée d’« agent » au sens du statut des fonctionnaires, lui permettant ainsi de bénéficier d’une dérogation à la limite d’âge. D’autre part, la Cour était amenée à se prononcer sur l’intérêt à agir d’un requérant invoquant un vice de forme lorsque l’administration se trouve en situation de compétence liée.
La Cour rejette le recours en adoptant une interprétation stricte de la notion d’agent, laquelle exclut les prestataires indépendants. Elle juge par ailleurs que le moyen tiré d’un défaut de motivation est inopérant, car l’annulation de la décision pour un vice de forme n’aurait pu conduire qu’à une nouvelle décision identique sur le fond. La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation restrictive des conditions de dérogation à la limite d’âge (I), tout en confirmant une approche pragmatique des vices de procédure (II).
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I. La consécration d’une interprétation stricte des conditions de dérogation à la limite d’âge
La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse littérale des textes applicables pour définir le cercle des bénéficiaires de la dérogation. Cette démarche la conduit à retenir une conception rigoureuse de la qualité d’agent (A), et par conséquent, à écarter les arguments fondés sur une prétendue rupture d’égalité (B).
A. L’exclusion du correcteur indépendant de la notion d’agent
Le cœur du raisonnement de la Cour repose sur la définition du terme « agent » tel qu’il est utilisé dans l’annexe III du statut des fonctionnaires. La requérante soutenait que son travail continu pour une institution communautaire lui conférait cette qualité. La Cour écarte cette analyse en se référant au cadre juridique existant. Elle affirme que « le terme d’ « agent » doit s’interpréter comme visant, d’une part, les fonctionnaires des Communautés et, d’autre part, les « autres agents » au sens de l’article 1er du « régime applicable aux autres agents des Communautés européennes » ».
Cette définition renvoie explicitement aux catégories des agents temporaires, auxiliaires, locaux et des conseillers spéciaux. La situation contractuelle de la requérante, qualifiée de « correctrice indépendante fournissant des prestations à la demande », ne correspond à aucun de ces statuts. La Cour constate donc qu’elle « n’est pas en droit de bénéficier de la dérogation à la limite d’âge prévue dans l’avis de concours ». Le juge communautaire refuse ainsi d’adopter une approche matérielle qui tiendrait compte des conditions réelles d’exercice de l’activité. Seul le statut juridique formel importe pour l’application de la dérogation prévue par le statut.
B. Le rejet des arguments fondés sur l’égalité de traitement et la bonne foi
La requérante faisait valoir que la décision était discriminatoire, car elle exerçait son travail dans des conditions similaires à celles des fonctionnaires ou autres agents. Elle invoquait également une violation du principe de bonne foi. Cependant, la Cour rejette ce moyen de manière concise en relevant que « la décision attaquée est fondée sur une disposition statutaire dont l’illégalité n’a pas été invoquée ».
Ce faisant, la Cour signifie que le principe d’égalité de traitement ne s’applique qu’à des situations juridiquement comparables. Or, la différence de statut entre un agent relevant du statut ou du régime applicable aux autres agents et un prestataire de services indépendant constitue une différence de situation objective. Cette différence justifie une différence de traitement, notamment quant à l’accès aux dérogations prévues pour les seuls agents. L’argumentation de la Cour réaffirme la primauté de la qualification juridique formelle sur les conditions de fait de l’exercice d’une activité professionnelle.
II. La confirmation d’une approche pragmatique des vices de procédure
Au-delà de l’interprétation du droit matériel, l’arrêt apporte un éclairage significatif sur le traitement des irrégularités procédurales. La Cour estime en effet que le défaut de motivation est un moyen inopérant en cas de compétence liée (A), ce qui confirme une solution classique dont la portée reste cependant circonscrite (B).
A. L’inoppérance du moyen tiré du défaut de motivation en cas de compétence liée
La requérante avançait que la décision de rejet, dans sa version finale, était dépourvue de motivation puisqu’elle n’expliquait pas en quoi elle ne pouvait bénéficier de la dérogation. La Cour reconnaît implicitement le vice de forme mais le juge sans incidence sur la légalité de la décision. Elle rappelle à cet égard qu’« un requérant n’a aucun intérêt légitime à l’annulation pour vice de forme d’une décision, dans le cas où l’administration ne dispose d’aucune marge d’appréciation et est tenue d’agir comme elle l’a fait ».
Cette solution est fondée sur un principe d’économie procédurale. L’annulation de la décision attaquée pour un vice de forme n’aurait eu pour seule conséquence que d’obliger l’administration à prendre une nouvelle décision, formellement mieux motivée, mais dont le contenu serait inéluctablement identique. Le jury du concours, étant en situation de compétence liée par les textes du statut, ne pouvait légalement pas admettre la candidature. L’annulation aurait donc été dépourvue de toute utilité pratique pour la requérante, ce qui prive son moyen de tout intérêt à agir.
B. Une portée limitée aux litiges de la fonction publique communautaire
La solution retenue par la Cour, si elle est bien établie en droit administratif, doit être appréciée à la mesure de son contexte. La définition de la notion d’agent est strictement liée au droit de la fonction publique communautaire et n’a pas vocation à s’étendre à d’autres domaines du droit de l’Union, comme le droit social ou le droit de la concurrence. L’arrêt constitue une décision d’espèce, sa solution découlant directement de l’application des textes spécifiques régissant les concours des institutions.
De même, la confirmation du principe de l’inutilité d’un moyen tiré d’un vice de forme en cas de compétence liée s’inscrit dans une jurisprudence constante. L’arrêt ne constitue donc pas un revirement ou une innovation majeure, mais plutôt une application orthodoxe de principes bien connus du contentieux administratif. Par conséquent, la portée de cet arrêt reste essentiellement limitée à la clarification d’un point spécifique du statut des fonctionnaires et à la réaffirmation d’une règle de procédure contentieuse classique. Il ne modifie pas l’état du droit positif de manière substantielle.