Par un arrêt en manquement rendu le 25 octobre 2001, la Cour de justice des Communautés européennes a sanctionné un État membre pour ne pas avoir transposé dans les délais impartis deux directives relatives au transport de marchandises dangereuses par chemin de fer. En l’espèce, la Commission des Communautés européennes avait constaté que l’État membre en cause n’avait pas mis en vigueur avant le 1er janvier 1997 les dispositions nationales nécessaires pour se conformer à la directive 96/49/CE du Conseil et à la directive 96/87/CE de la Commission. Suite à cette inaction, la Commission a engagé une procédure en manquement conformément à l’article 226 du traité instituant la Communauté européenne. Après une mise en demeure restée sans effet, deux avis motivés ont été émis, invitant l’État membre à se conformer à ses obligations dans un délai de deux mois. En l’absence de toute information indiquant que la transposition avait été achevée, la Commission a décidé de saisir la Cour de justice. Il revenait donc aux juges de déterminer si l’absence d’adoption des mesures nationales de transposition d’une directive dans le délai prescrit par celle-ci constitue un manquement d’un État membre à ses obligations découlant du droit communautaire. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, en déclarant que « en n’adoptant pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux directives […], l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu desdites directives ».
La solution, qui peut paraître évidente, illustre le mécanisme rigoureux de contrôle du respect par les États membres de leurs obligations. Elle met en lumière la nature objective du constat de manquement (I), tout en réaffirmant le rôle fondamental de cette procédure pour la cohésion de l’ordre juridique de l’Union (II).
I. La constatation d’un manquement objectif fondé sur la force obligatoire du droit de l’Union
Le raisonnement de la Cour de justice repose sur une application stricte de la procédure en manquement, où la simple inaction de l’État membre suffit à caractériser la faute (A), rendant inopérantes les justifications relatives à des difficultés internes (B).
A. Le déroulement procédural classique de l’action en manquement
La décision commentée expose de manière didactique les étapes successives de la procédure déclenchée par la Commission en sa qualité de gardienne des traités. L’arrêt rappelle que la phase précontentieuse, initiée par une mise en demeure puis formalisée par des avis motivés, constitue un préalable indispensable. La Cour prend soin de relever que la Commission a émis « deux avis motivés invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois ». Cette phase a pour double objectif de permettre à l’État de régulariser sa situation et de délimiter l’objet du litige si l’affaire est portée devant la Cour. Le recours de la Commission n’intervient qu’en dernier ressort, face à la persistance du manquement. La chronologie des faits telle que rapportée par l’arrêt démontre que la saisine de la Cour n’est pas une mesure précipitée mais l’aboutissement d’un processus destiné à favoriser le respect volontaire du droit de l’Union.
B. L’imputabilité du manquement à l’État membre indépendamment de toute justification
Le caractère objectif du manquement est au cœur de la décision. La Cour ne recherche aucune intention ou négligence de la part de l’État défendeur. Le simple constat matériel de l’absence de transposition à l’expiration du délai suffit à fonder sa décision. L’arrêt souligne d’ailleurs que l’État membre « ne conteste pas le manquement ». Cette absence de contestation rend la tâche de la Cour particulièrement aisée. De plus, l’argument de l’État selon lequel « la transposition de ces directives est en cours » est sans pertinence pour apprécier l’existence du manquement à la date fixée. En effet, la jurisprudence constante de la Cour établit qu’un État membre ne saurait exciper de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations et des délais prescrits par une directive. Le manquement est donc constitué dès lors que le résultat imposé par la directive n’est pas atteint dans le délai fixé.
Cette application rigoureuse de la procédure en manquement n’est pas une simple sanction formelle ; elle est essentielle pour garantir l’effectivité et l’uniformité du droit de l’Union.
II. La portée d’une décision réaffirmant les principes fondamentaux de l’ordre juridique de l’Union
Cet arrêt, bien qu’étant une décision d’espèce, sert de rappel sur des principes cardinaux du droit de l’Union, notamment l’effet contraignant des directives (A) et le rôle de la Cour comme garante de l’intégrité de l’ordre juridique communautaire (B).
A. Le rappel de l’effet contraignant des directives et du principe de coopération loyale
La décision réaffirme implicitement la portée de l’article 249 du traité CE (devenu l’article 288 du TFUE), qui dispose que la directive « lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ». L’obligation de transposer n’est pas une simple faculté laissée à la discrétion des États membres ; c’est une contrainte juridique précise. Le manquement sanctionné ici est le non-respect de l’obligation de résultat dans son aspect temporel. En outre, la Cour rappelle l’existence des « obligations qui incombent aux États membres en vertu des articles 10 CE et 249, troisième alinéa, CE ». L’article 10 CE, qui consacre le principe de coopération loyale, impose aux États de prendre toutes mesures propres à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou des actes des institutions. Le défaut de transposition constitue une violation directe de ce devoir de loyauté, car il prive de son effet utile une législation adoptée au niveau de l’Union.
B. La confirmation du rôle de la Cour de justice en tant que garante de l’uniformité du droit de l’Union
En sanctionnant l’État défaillant, la Cour de justice remplit sa mission fondamentale : assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités. Une application hétérogène des directives, au gré des retards de transposition, créerait des distorsions de concurrence et porterait atteinte à la sécurité juridique pour les citoyens et les entreprises au sein du marché intérieur. Dans le cas d’espèce, l’absence de transposition de règles sur le transport de marchandises dangereuses pouvait engendrer des risques sécuritaires et environnementaux, en plus de créer une rupture d’égalité entre les opérateurs économiques. La solution de la Cour, bien que prévisible, est donc indispensable au maintien d’une application uniforme de la loi. Chaque arrêt en manquement, même le plus simple, est une pierre à l’édifice d’un ordre juridique intégré où les mêmes règles s’appliquent à tous, de manière effective et simultanée.