Arrêt de la Cour (première chambre) du 21 janvier 1987. – Control Data Belgium Inc. contre Commission des Communautés européennes. – Tarif douanier commun – Exemption pour appareils scientifiques. – Affaire 13/84.

Un litige opposant une société importatrice à la Commission européenne a fourni à la Cour de justice des Communautés européennes l’occasion de préciser les critères d’application du régime de franchise douanière pour les instruments à caractère scientifique. En l’espèce, une entreprise avait sollicité l’importation en franchise de droits de douane de deux systèmes informatiques de grande puissance, au motif que leurs caractéristiques techniques les destinaient principalement à la recherche scientifique. La Commission, par une première décision, avait rejeté cette demande. Cette décision fut annulée par la Cour au motif que l’administration communautaire n’avait pas fondé son analyse sur des critères suffisamment précis. Statuant de nouveau, la Commission a persisté dans son refus, ce qui a conduit la société importatrice à former un second recours en annulation. Elle soutenait que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en ignorant les caractéristiques techniques objectives des appareils, notamment leur architecture conçue pour le traitement de mots informatiques d’une longueur inhabituelle, particulièrement adaptée aux calculs scientifiques complexes, et ce, même si un usage industriel restait envisageable. Il était donc demandé à la Cour de déterminer si un appareil, doté de caractéristiques le rendant éminemment apte à la recherche scientifique, pouvait se voir refuser le bénéfice de la franchise douanière au seul motif qu’il présentait également une utilité potentielle dans le secteur industriel. La Cour de justice répond par la négative et annule la décision de la Commission. Elle juge que le critère de l’aptitude « principale » à des fins scientifiques, posé par la réglementation, n’exclut pas une aptitude secondaire à d’autres usages, notamment industriels. En fondant son refus sur la simple possibilité d’une utilisation commerciale, la Commission a adopté une interprétation trop restrictive du règlement, sans rechercher si, au regard de leurs spécificités techniques, la vocation première de ces ordinateurs était bien scientifique.

La solution retenue par la Cour clarifie ainsi le critère de l’aptitude principale de l’instrument scientifique (I), ce qui a pour effet de renforcer le contrôle exercé sur l’appréciation de l’administration et de réaffirmer les objectifs du régime de franchise (II).

I. La clarification du critère de l’aptitude principale à la recherche scientifique

La Cour, en annulant la décision de la Commission, a d’abord censuré une approche jugée trop restrictive du caractère scientifique (A) avant de consacrer une interprétation finaliste du règlement douanier (B).

A. La censure d’une approche restrictive de la Commission

La Commission avait estimé que le bénéfice de la franchise devait être écarté dès lors que les appareils en cause pouvaient trouver une application dans l’industrie. Elle avait notamment fait valoir que les capacités de calcul avancées de ces ordinateurs, bien qu’utiles à la science, l’étaient également « dans de nombreuses industries telles que les industries automobiles ou aérospatiales ». Par ce raisonnement, l’administration sous-entendait qu’une double fonctionnalité, scientifique et industrielle, suffisait à disqualifier un instrument du régime de franchise. Une telle position revenait à interpréter la notion d’aptitude « principale » comme une aptitude quasi exclusive, limitant considérablement le champ d’application de l’exonération.

La Cour rejette cette analyse en considérant que la Commission a adopté « une approche trop restrictive ». Elle lui reproche de s’être arrêtée au constat d’une possible utilisation industrielle sans aller plus loin dans l’examen. En effet, en se contentant de cette seule potentialité, la Commission n’a pas correctement appliqué la règle de droit qui exige d’identifier la vocation *principale* de l’équipement. L’erreur de l’administration ne réside pas dans la reconnaissance d’un usage industriel, mais dans le fait de lui avoir conféré un effet dirimant automatique, sans le mettre en balance avec l’aptitude scientifique de l’appareil.

B. La consécration d’une interprétation finaliste du règlement

Face à l’approche restrictive de la Commission, la Cour rappelle la juste lecture du texte applicable. Elle énonce de manière didactique que « le critère de l’ »aptitude exclusive ou principale » (…) exige donc uniquement que l’instrument ou l’appareil soit en première ligne apte aux activités scientifiques sans exclure la possibilité que l’instrument ou l’appareil soit également, de façon secondaire, approprié à d’autres buts comme, par exemple, l’exploitation industrielle ». Par cette formule, la Cour établit une hiérarchie claire : l’aptitude scientifique doit être prépondérante, mais non nécessairement exclusive. L’existence d’une aptitude secondaire, accessoire, à d’autres fins, ne fait pas obstacle à la qualification scientifique.

Cette interprétation est justifiée par la finalité même du règlement, qui vise, comme le rappelle la Cour, à faciliter l’importation d’objets scientifiques conformément à l’accord de Florence de l’UNESCO. Une lecture trop sévère des conditions d’exonération irait à l’encontre de cet objectif. La question pertinente, que la Commission aurait dû se poser, était donc de savoir si les ordinateurs étaient « principalement aptes, sur la base de la longueur inhabituelle du mot pouvant être traité et l’accomplissement d’opérations complexes à une vitesse élevée, à la réalisation d’activités scientifiques ». Une réponse affirmative aurait dû conduire à accorder la franchise, nonobstant leur utilité marginale pour l’industrie.

L’adoption de cette interprétation plus souple emporte des conséquences notables sur la méthode d’appréciation du caractère scientifique et sur la portée du contrôle juridictionnel.

II. La portée de la solution sur l’appréciation du caractère scientifique

La décision de la Cour a pour effet de renforcer l’importance des caractéristiques techniques objectives dans l’appréciation de l’administration (A) et de réaffirmer la primauté des objectifs du régime de franchise douanière (B).

A. Le renforcement du contrôle sur les caractéristiques objectives de l’instrument

En sanctionnant la Commission, la Cour met en lumière une défaillance méthodologique. La société requérante avait précisément articulé son argumentation autour d’une caractéristique technique objective : la conception des ordinateurs autour d’un « mot » de 60 bits, avantage déterminant pour la précision des calculs scientifiques. Or, la Cour relève que la Commission a d’abord ignoré cet argument avant de tenter de le réfuter *ex post facto* durant l’instance par des considérations sur la flexibilité des logiciels.

La Cour souligne ainsi que l’analyse du caractère scientifique doit reposer avant tout sur un examen concret et rigoureux des spécificités de l’appareil. En jugeant que la Commission est « partie d’une base erronée (…) en ne tenant pas compte du sens véritable de l’argumentation de la requérante concernant la longueur du mot de 60 bits », elle impose à l’administration un devoir d’examen approfondi des éléments techniques qui lui sont soumis. Le contrôle juridictionnel ne se limite donc pas à vérifier l’absence d’erreur de droit, mais s’étend à la cohérence et à la pertinence du raisonnement technique suivi par la Commission, garantissant ainsi que sa décision ne soit pas fondée sur des appréciations générales ou superficielles.

B. L’affirmation de la finalité du régime de franchise douanière

Au-delà de la question technique, l’arrêt replace le litige dans son contexte normatif global. La Cour prend soin de se référer à un arrêt antérieur pour rappeler que le règlement n° 1798/75 « est destiné à faciliter et non pas à entraver la mise en œuvre de l’accord de Florence de 1952 ». Cette référence n’est pas anodine : elle signifie que l’interprétation des dispositions réglementaires doit être guidée par l’objectif de promotion des échanges d’objets scientifiques. Le régime de franchise n’est pas une simple exception tolérée, mais un instrument au service d’une politique culturelle et scientifique internationale.

Dès lors, la décision de la Commission, en privilégiant une lecture restrictive qui freine l’importation d’outils de recherche performants, se trouvait en porte-à-faux avec l’esprit de la législation qu’elle était chargée d’appliquer. En annulant cette décision, la Cour rappelle que l’intérêt de la Communauté réside aussi dans sa capacité à s’équiper des meilleurs instruments pour sa recherche, même si ces derniers sont issus de l’industrie de pays tiers. La solution garantit ainsi que la protection du marché intérieur ne se fasse pas au détriment du progrès scientifique européen.

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Hassan KOHEN
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