Arrêt de la Cour (première chambre) du 21 mars 1985. – Mariette Turner contre Commission des Communautés européennes. – Statut des fonctionnaires – Rapport de notation. – Affaire 263/83.

Par un arrêt rendu dans l’affaire 263/83, la Cour de justice des Communautés européennes a annulé un rapport de notation d’une de ses fonctionnaires. En l’espèce, une praticienne médicale employée par la Commission contestait l’évaluation de ses services pour une période allant de juillet 1977 à mai 1979, au cours de laquelle elle avait relevé de deux supérieurs hiérarchiques successifs. Le premier d’entre eux, sous l’autorité duquel elle avait servi pendant la majeure partie de la période considérée, avait manifesté son désaccord avec le projet de rapport de notation initié par le directeur général compétent, le jugeant non représentatif de la qualité du travail de l’intéressée. Malgré cette opposition et la transmission d’une appréciation distincte et plus favorable par ce premier supérieur, le premier notateur a maintenu sa version initiale, se contentant d’annexer la mention du désaccord. Saisi du dossier, le notateur d’appel a procédé à de légères modifications du rapport sans pour autant consulter directement le premier supérieur hiérarchique dont l’avis divergent était pourtant porté à sa connaissance. La fonctionnaire, estimant la procédure irrégulière et l’évaluation entachée d’erreurs, a alors formé un recours en annulation. Se posait ainsi à la Cour la question de savoir si le défaut de consultation effective d’un ancien supérieur hiérarchique par les autorités de notation constituait un vice de forme substantiel de nature à entraîner l’annulation du rapport final. La Cour y répond par l’affirmative, jugeant que tant le premier notateur que le notateur d’appel ont manqué à leur devoir de s’informer de manière complète, privant ainsi la procédure d’une garantie essentielle et causant un préjudice à la requérante.

L’analyse de la Cour révèle une distinction claire entre les différents types d’irrégularités procédurales, conduisant à une sanction ciblée sur le manquement jugé décisif (I). Au-delà de la solution d’espèce, cet arrêt précise les contours de l’obligation de diligence qui incombe à l’administration dans le cadre de l’évaluation de ses agents (II).

I. La sanction différenciée des vices de procédure

La Cour examine les différents griefs de forme soulevés par la requérante en opérant une distinction nette. Elle écarte ainsi les irrégularités qu’elle estime ne pas avoir porté atteinte aux droits de l’agent (A), pour mieux concentrer sa censure sur le manquement qu’elle qualifie de substantiel (B).

A. Le rejet des irrégularités jugées non préjudiciables

La requérante invoquait en premier lieu le retard considérable pris dans l’établissement de son rapport de notation, ainsi que l’absence d’un véritable dialogue avec le premier notateur. La Cour reconnaît la matérialité de ces faits mais refuse d’y voir un motif d’annulation. Concernant le retard, elle considère que le contexte conflictuel de l’époque, qui a d’ailleurs fait l’objet d’un autre arrêt, a pu justifier une certaine temporisation, laquelle aurait même permis au notateur d’appel de statuer dans un climat plus apaisé. Quant au défaut de dialogue initial, la Cour estime qu’une telle carence a été purgée au stade de l’appel, l’agent ayant pu faire valoir ses observations lors d’un entretien avec le notateur d’appel. Selon la Cour, « il n’est pas contesté que le notateur d’appel a eu un véritable dialogue avec [la requérante], réparant ainsi un éventuel oubli à un stade antérieur de la procédure ». Par cette approche pragmatique, la Cour confirme sa jurisprudence constante selon laquelle un vice de procédure n’entraîne l’annulation de l’acte que s’il est substantiel, c’est-à-dire s’il a exercé une influence réelle sur le sens de la décision prise.

B. La consécration du défaut de consultation en vice de forme substantiel

À l’inverse, la Cour se montre particulièrement stricte s’agissant du troisième vice de forme allégué, tiré du défaut de consultation du premier supérieur hiérarchique de l’agent. Elle relève que le premier notateur s’est borné à transmettre un projet déjà finalisé pour signature, sans offrir une réelle possibilité de donner un avis circonstancié. Une telle pratique ne saurait constituer une consultation au sens du guide de la notation, lequel impose au notateur de « consulter non seulement le supérieur hiérarchique immédiat, mais aussi, le cas échéant, les autres supérieurs hiérarchiques du noté ». Le manquement est ici caractérisé, car « il n’y a pas eu consultation, au sens de la disposition précitée du guide de la notation, de tous les supérieurs hiérarchiques ». L’omission est ensuite imputée au notateur d’appel. Bien qu’informé du désaccord, ce dernier n’a pas jugé utile d’interroger personnellement le supérieur concerné, alors même que son avis portait sur une partie significative de la période d’évaluation et qu’il était notoirement plus favorable. La Cour conclut que cette double carence a vicié la procédure en la privant d’éléments d’appréciation essentiels, causant par là même un préjudice à la requérante qui pouvait « estimer à juste titre que la notation n’a pas été établie sur la base d’une information complète ».

II. Le renforcement de l’obligation de diligence des notateurs

En sanctionnant le défaut de consultation, la Cour ne se limite pas à une application littérale des textes internes de l’institution. Elle en profite pour réaffirmer le principe d’une obligation de diligence accrue pesant sur les notateurs (A), laquelle est indissociable de la garantie fondamentale que représente la constitution d’un dossier administratif complet (B).

A. L’affirmation d’un devoir d’enquête à la charge du notateur

L’arrêt met en lumière le rôle actif que doit jouer l’autorité investie du pouvoir de notation. La consultation n’est pas une simple formalité mais une démarche inquisitoriale destinée à éclairer la décision. Le notateur d’appel, en particulier, ne peut rester passif face à une information incomplète ou contradictoire. Le fait qu’il ait su que le premier supérieur « n’approuvait pas la notation proposée puisque celui-ci avait porté sur le premier rapport de notation une mention soulignant son désaccord » aurait dû l’inciter à mener ses propres investigations. Cette obligation est d’ailleurs explicitement prévue par le guide de la notation qui dispose que « le notateur d’appel doit s’informer de manière aussi complète que possible ». En n’interrogeant pas personnellement l’auteur de l’avis divergent, le notateur d’appel a manqué à ce devoir d’information qui lui incombait. La solution consacre ainsi une conception exigeante de la fonction de notateur, qui doit manifester une véritable curiosité administrative pour fonder son appréciation sur un socle factuel et humain aussi large que possible.

B. La portée du principe du dossier complet pour la garantie des droits du fonctionnaire

La décision souligne implicitement l’importance cardinale du dossier individuel de l’agent. Le vice de procédure est d’autant plus grave que l’appréciation détaillée et favorable du premier supérieur n’avait pas été versée au dossier personnel de la requérante. La Cour relève cette circonstance aggravante en visant l’article 26 du statut des fonctionnaires, qui impose que le dossier contienne l’ensemble des pièces intéressant la situation administrative de l’agent. Un dossier incomplet ne permet pas à l’autorité de décider en pleine connaissance de cause et prive le fonctionnaire d’une garantie essentielle pour la gestion de sa carrière. En annulant le rapport de notation, la Cour rappelle que l’équité de la procédure d’évaluation repose non seulement sur le respect formel des étapes prévues, mais aussi et surtout sur la constitution d’un dossier transparent et exhaustif. La diligence du notateur et l’intégrité du dossier administratif apparaissent ainsi comme les deux piliers d’une évaluation juste et équitable.

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