La décision commentée, rendue par la Cour de justice des Communautés européennes, traite de la question des modalités de transfert des droits à pension acquis par des agents dans un régime national vers le régime de prévoyance communautaire. Des agents, initialement employés sous un statut relevant d’un régime de sécurité sociale national, ont acquis la qualité d’agent temporaire, les faisant ainsi entrer dans le champ du régime de pension des Communautés. Pour valoriser leurs années de service antérieures, l’institution leur a offert la possibilité de transférer l’équivalent actuariel de leurs droits nationaux, conformément à l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut. Les agents concernés ont contesté la décision de l’institution qui, sur la base de ce transfert, leur reconnaissait un nombre d’annuités pour la pension communautaire très inférieur à la durée de service réellement accomplie dans leur précédent statut. Saisis d’un recours après le rejet de leurs réclamations, les requérants soutenaient que l’institution aurait dû leur offrir le choix entre le transfert de l’équivalent actuariel et celui du forfait de rachat. Ils arguaient également que la méthode de calcul retenue constituait une discrimination par rapport aux agents engagés directement avec un statut temporaire. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si les dispositions statutaires imposaient à l’institution de proposer systématiquement une option entre les deux modalités de transfert de droits à pension et si la conversion de ces droits en un nombre réduit d’annuités communautaires violait le principe d’égalité de traitement. La Cour a rejeté l’ensemble des moyens soulevés par les requérants, validant ainsi la démarche de l’institution.
Il convient d’analyser la portée de l’interprétation stricte des modalités de transfert des droits (I), avant d’examiner la confirmation par la Cour de la légalité d’un traitement différencié fondé sur la diversité des statuts des agents (II).
I. Une interprétation restrictive des modalités de transfert des droits à pension
La Cour a d’abord clarifié le sens des dispositions statutaires encadrant le transfert des droits à pension, en écartant l’existence d’une obligation de proposer un choix systématique entre deux mécanismes (A), puis en soulignant la primauté de l’état du droit national au moment des accords de transfert (B).
A. L’absence d’un droit d’option impératif entre l’équivalent actuariel et le forfait de rachat
Les requérants soutenaient que l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut leur conférait une faculté d’opter entre le transfert de « l’équivalent actuariel » et celui du « forfait de rachat » de leurs droits acquis. L’institution ne leur ayant présenté qu’un calcul fondé sur la première méthode, ils estimaient avoir été privés d’un choix éclairé. La Cour rejette cette argumentation en procédant à une analyse téléologique de la disposition. Elle juge que si le texte « a pour objet fondamental de garantir le passage d’un système d’assurance national au système communautaire sous l’une des deux formes qu’il mentionne », il « n’impose pas impérativement que les deux possibilités doivent être prévues ». L’objectif de la règle est donc de permettre le transfert et d’en fixer les cadres possibles, mais non de contraindre l’institution à offrir les deux voies lorsque les circonstances, notamment le droit national applicable, ne le permettent pas. La faculté de choix pour l’agent est donc conditionnée par la disponibilité effective des mécanismes de transfert, laquelle dépend des accords conclus entre l’institution communautaire et l’organisme de sécurité sociale national.
B. La prévalence du cadre juridique national en vigueur lors de l’accord de transfert
Pour conforter leur position, les requérants avaient invoqué une loi nationale postérieure à l’accord de transfert, qui aurait introduit la possibilité d’un rachat dans le système juridique concerné. La Cour écarte cet argument en le jugeant inopérant. Elle constate en effet que la technique du forfait de rachat n’existait pas dans le droit national au moment de la conclusion de l’accord entre l’institution et l’organisme de pension national. Par conséquent, les parties à cet accord se trouvaient dans l’impossibilité d’y inclure cette modalité. La décision de la Cour réaffirme ainsi un principe de sécurité juridique : la légalité des modalités d’un accord de transfert s’apprécie au regard du droit en vigueur au jour de sa conclusion. Le fait qu’une législation nationale ait évolué postérieurement ne saurait remettre en cause rétroactivement la validité ou la portée d’un tel accord. Cette approche pragmatique empêche que les droits et obligations nées d’un accord soient constamment remis en question au gré des modifications législatives nationales.
Après avoir circonscrit les obligations de l’institution quant aux options de transfert, la Cour se penche sur le grief principal des requérants relatif à la conversion inéquitable de leurs droits, qu’ils qualifiaient de discriminatoire.
II. La validation d’une différence de traitement justifiée par la diversité des statuts
La Cour justifie la différence de traitement dénoncée par les requérants en rappelant le principe de l’autonomie des statuts du personnel des Communautés (A), puis confirme la validité des modalités techniques de calcul employées par l’institution (B).
A. La légitimité des avantages liés à un statut spécifique
Le cœur du litige reposait sur le sentiment d’injustice des requérants, qui constataient que, pour une durée de service et des cotisations versées comparables, ils obtenaient une reconnaissance d’annuités de pension bien moindre que celle d’un agent ayant eu le statut d’agent temporaire dès son entrée en fonctions. Ils y voyaient une violation du principe de non-discrimination. La Cour répond à ce moyen en s’appuyant sur sa jurisprudence constante. Elle énonce que « l’on ne saurait mettre en cause les différences de statut existant entre les diverses catégories de personnes employées par les communautés » et, par conséquent, qu’il ne peut être considéré « comme une discrimination le fait que, du point de vue des garanties statutaires et des avantages de sécurité sociale, certaines catégories de personnes […] peuvent jouir de garanties ou d’avantages qui ne sont pas accordés à d’autres catégories ». En d’autres termes, la situation d’un ancien agent d’établissement devenu agent temporaire n’est pas juridiquement comparable à celle d’un agent temporaire ab initio. Le principe d’égalité de traitement ne s’applique qu’entre des personnes se trouvant dans des situations identiques ou comparables, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
B. L’acceptation des divergences de résultats inhérentes à la conversion des droits
La Cour entérine également la méthode de calcul elle-même, en dépit de ses résultats défavorables pour les requérants. Elle reconnaît que la transition d’un régime de pension à un autre implique nécessairement une conversion qui ne peut garantir une équivalence parfaite en termes d’annuités. Les systèmes nationaux et le système communautaire reposent sur des logiques, des niveaux de cotisation et des prestations distinctes. Dès lors, la Cour juge qu’« il n’apparaît pas anormal que la détermination des annuités à prendre en considération pour la pension communautaire aboutisse à un chiffre différent des annuités prises en compte par l’institution nationale ». Cette approche valide le recours à une formule de conversion uniforme, même si elle conduit à des résultats qui peuvent paraître inéquitables sur un plan individuel. La Cour privilégie ici la cohérence et la saine gestion financière du régime de pension communautaire sur une reconstitution exacte des carrières accomplies dans des systèmes étrangers. La décision confirme ainsi la marge d’appréciation de l’institution dans la mise en œuvre technique du transfert des droits à pension.