Arrêt de la Cour (première chambre) du 25 septembre 2003. – Commission des Communautés européennes contre République fédérale d’Allemagne. – Manquement d’État – Directive 1999/94/CE – Non-transposition dans le délai prescrit. – Affaire C-74/02.

Par un arrêt du 5 mars 2002, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en sa première chambre, est venue rappeler avec fermeté les principes fondamentaux régissant la procédure en manquement à l’encontre d’un État membre n’ayant pas transposé une directive dans les délais impartis. En l’espèce, une directive du Parlement européen et du Conseil en date du 13 décembre 1999, relative à l’information des consommateurs sur la consommation de carburant et les émissions de dioxyde de carbone des voitures particulières neuves, imposait aux États membres de mettre en vigueur les dispositions nécessaires à sa transposition au plus tard le 18 janvier 2001. Constatant l’absence de toute communication de la part d’un État membre concernant les mesures de transposition, la Commission a engagé une procédure en manquement. Après une mise en demeure restée sans effet satisfaisant, elle a émis un avis motivé le 25 juillet 2001, auquel l’État membre n’a pas répondu. En conséquence, la Commission a saisi la Cour de justice d’un recours visant à faire constater le manquement dudit État à ses obligations. Devant la Cour, l’État défendeur ne contestait pas le retard mais soutenait que la transposition était imminente, ce qui priverait le recours de son objet. Il justifiait en outre ce retard par des contraintes de son ordre juridique interne, notamment la nécessité d’adopter une base légale préalable, ainsi que par un souci d’économie procédurale, souhaitant regrouper la transposition de ce texte avec celle d’une autre directive. Se posait alors la question de savoir si un État membre peut se prévaloir de difficultés liées à son ordre juridique interne, de considérations d’opportunité administrative ou de l’imminence de la mise en conformité pour justifier le non-respect du délai de transposition d’une directive. La Cour de justice écarte l’ensemble de ces arguments et constate le manquement, réaffirmant avec constance que l’existence du manquement s’apprécie à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, que la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour engager un recours, et qu’un État ne peut invoquer son droit interne pour justifier une violation du droit communautaire.

L’arrêt rappelle ainsi de manière pédagogique les règles strictes qui encadrent l’action en manquement, tant sur le plan temporel que procédural (I), avant de réaffirmer avec force l’impossibilité pour un État membre d’opposer des justifications tirées de son propre système juridique pour échapper à ses obligations (II).

I. Le cadre temporel et discrétionnaire de l’action en manquement

La Cour prend soin de baliser les contours de la procédure en manquement en rappelant, d’une part, le moment précis où la violation doit être appréciée (A) et, d’autre part, la liberté d’action dont jouit la Commission dans son rôle de gardienne des traités (B).

A. La cristallisation du manquement à l’expiration du délai de l’avis motivé

L’un des apports essentiels de cette décision est de réitérer une jurisprudence bien établie concernant le cadre temporel de l’appréciation du manquement. La Cour énonce en effet qu’il convient de se placer à une date butoir pour déterminer si l’État membre a failli à ses obligations. Elle le formule en des termes dénués de toute ambiguïté : « l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé ». Cette règle fixe de manière objective le moment où l’infraction est constituée aux yeux du droit de l’Union. Toute régularisation ultérieure, bien que souhaitable pour la bonne application du droit, est sans incidence sur la constatation juridique du manquement passé. Le raisonnement de la Cour est d’une grande logique et vise à garantir l’effectivité de la procédure prévue à l’article 226 du traité CE. Si la situation pouvait être évaluée à une date ultérieure, par exemple celle de l’audience, un État membre pourrait retarder indéfiniment la transposition, se contentant de régulariser sa situation juste avant le jugement pour échapper à une condamnation. Une telle approche paralyserait l’action de la Commission et viderait de sa substance l’obligation de respecter les délais impératifs fixés par les directives.

B. L’exercice souverain du droit d’action par la Commission

Face à l’argument de l’État membre selon lequel l’imminence de la transposition privait la Commission de son intérêt à agir, la Cour oppose une fin de non-recevoir catégorique. Elle rappelle que « la circonstance que l’adoption d’une mesure de transposition soit imminente est sans pertinence ». Cette position se fonde sur le pouvoir discrétionnaire que les traités confèrent à la Commission quant à l’opportunité d’introduire un recours en manquement. La Cour souligne que la Commission décide « de manière discrétionnaire de l’opportunité d’introduire ou non un tel recours ». Ainsi, il n’appartient ni à l’État membre mis en cause, ni même à la Cour, de se substituer à l’appréciation de la Commission sur l’utilité d’une action en justice. Cette prérogative est essentielle à son rôle de gardienne des traités. Elle seule peut juger si, au-delà de la situation particulière d’un État, l’introduction d’un recours est nécessaire pour préserver l’ordre juridique de l’Union et assurer une application uniforme et ponctuelle de ses normes. Accepter l’argument de l’État reviendrait à soumettre l’exercice de cette compétence fondamentale à la bonne volonté de l’État défaillant, ce qui est inconcevable.

II. Le rejet des justifications tirées de l’ordre juridique interne

Au-delà des aspects procéduraux, la Cour se prononce sur le fond des justifications avancées par l’État défendeur. Elle rejette fermement l’argument tenant aux contraintes nationales (A), rappelant ainsi la primauté des obligations découlant du droit de l’Union (B).

A. L’inopposabilité des contraintes procédurales nationales

L’État membre cherchait à justifier son retard en invoquant la nécessité d’adopter une base légale interne avant de pouvoir procéder à la transposition, ainsi qu’un souci d’économie de procédure. La Cour balaye ces arguments en s’appuyant sur l’un des piliers du droit de l’Union. Elle juge qu’« un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations et délais prescrits par une directive ». Qu’il s’agisse de la complexité de la procédure législative nationale, de changements politiques, de difficultés administratives ou de choix de politique juridique interne, aucune de ces circonstances ne peut constituer une excuse valable. Cet attendu de principe est d’une portée considérable. Il signifie que chaque État membre a l’obligation d’organiser son propre ordre juridique de manière à garantir l’exécution pleine, entière et ponctuelle du droit de l’Union. Les directives fixent un résultat à atteindre dans un délai donné, et il appartient à chaque État de mobiliser les moyens constitutionnels et administratifs nécessaires pour y parvenir.

B. La primauté absolue des obligations issues des directives

En refusant de prendre en considération les justifications internes, la Cour ne fait que tirer les conséquences logiques du principe de primauté du droit de l’Union. Le respect des obligations communautaires n’est pas une option dépendant des contingences nationales, mais une exigence inhérente à l’appartenance à l’Union. Une directive, en vertu de l’article 249 du traité CE, lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre. Permettre à un État d’invoquer ses propres règles ou pratiques pour différer l’exécution de cette obligation créerait une application du droit à géométrie variable, sapant les fondements mêmes de l’ordre juridique communautaire intégré. Chaque État pourrait alors se prévaloir de ses spécificités pour se soustraire à ses devoirs, rendant impossible la réalisation d’un marché intérieur et de politiques communes. Cet arrêt, bien qu’il s’agisse d’une décision d’espèce appliquant des solutions jurisprudentielles constantes, a une valeur pédagogique indéniable. Il constitue un rappel solennel que l’efficacité et l’uniformité du droit de l’Union l’emportent sur les difficultés d’organisation interne propres à chaque État membre.

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