Par un arrêt rendu dans le cadre d’une procédure préjudicielle, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les modalités temporelles de la perception des prélèvements à l’exportation dans le secteur du sucre. En l’espèce, une société avait exporté du sucre vers un pays tiers au cours de l’année 1974. L’administration douanière nationale, qui n’avait pas perçu le prélèvement à l’exportation normalement applicable au moment de l’accomplissement des formalités, a réclamé le paiement de celui-ci plusieurs mois après l’opération. La société exportatrice a contesté cette demande de recouvrement a posteriori devant le Tribunale di Genova, en soutenant que le droit de l’administration de percevoir le prélèvement était éteint. Saisie du litige, la juridiction italienne a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1076/72. Il s’agissait de déterminer si la disposition selon laquelle les prélèvements sont « exigibles au plus tard au moment de l’accomplissement desdites formalités » devait être comprise comme instituant un délai de forclusion, interdisant toute perception ultérieure en cas de non-paiement à cette échéance. La Cour de justice répond par la négative, en jugeant que cette expression ne fixe que le dernier moment où la créance devient exigible, et non une date butoir pour son recouvrement effectif. Elle estime en effet que « L’expression ‘exigible au plus tard’ contenue dans la disposition litigieuse doit donc être entendue non pas comme entraînant une déchéance, mais comme prenant son sens dans le cas où le moment de la fixation, et par conséquent de l’exigibilité de la créance, se situe avant le jour de l’accomplissement des formalités douanières ». Cette solution conduit à opérer une distinction claire entre le fait générateur de la créance fiscale et les modalités de son recouvrement.
La solution retenue par la Cour repose ainsi sur une clarification de la distinction entre l’exigibilité et la perception du prélèvement (I), ce qui la conduit à écarter l’existence d’une déchéance implicite du droit de recouvrement de l’administration (II).
I. La clarification de la distinction entre exigibilité et perception du prélèvement
La Cour de justice fonde son raisonnement sur une analyse sémantique de la disposition en cause, qui distingue le moment où la dette devient exigible (A) de la phase matérielle de sa perception (B).
A. La fixation de l’exigibilité comme moment charnière du règlement
La Cour souligne que le texte du règlement n° 1076/72 se concentre sur la notion d’exigibilité pour déterminer le régime temporel de la créance douanière. Le choix des termes est essentiel, car l’exigibilité d’une créance correspond au moment où le créancier est en droit d’en réclamer le paiement. En disposant que les prélèvements « sont exigibles au plus tard au moment de l’accomplissement desdites formalités », le législateur communautaire a entendu fixer le point de non-retour à partir duquel la dette fiscale de l’exportateur est juridiquement constituée et certaine. L’expression « au plus tard » sert à envisager les cas où le montant du prélèvement serait connu à l’avance, rendant la créance exigible avant même la finalisation de l’exportation. La Cour relève ainsi que cette formulation « se rapporte clairement non pas à la perception de la créance, mais à son exigibilité, qui est la notion déterminante pour comprendre la disposition litigieuse ». Le règlement a donc pour seul objet de définir la naissance de l’obligation de paiement, et non les conditions de son exécution forcée.
B. L’autonomie conséquente de la phase de perception
Dès lors que la disposition litigieuse ne concerne que la naissance de la créance, il en résulte que les opérations de liquidation et de perception ne sont pas enserrées dans le même délai. La Cour confirme que « la liquidation et la perception proprement dite du prélèvement, c’est-à-dire son paiement, peuvent intervenir à un stade ultérieur ». Cette dissociation entre l’exigibilité et le recouvrement est classique en droit fiscal. La perception constitue une phase administrative distincte, qui relève de la compétence de l’État membre sur le territoire duquel les formalités sont accomplies. L’absence de perception immédiate ne saurait donc affecter l’existence même de la créance, qui demeure valide tant qu’elle n’est pas éteinte par le paiement ou par une prescription acquise en vertu du droit national applicable, sous réserve du respect des principes d’effectivité et d’équivalence du droit communautaire. En l’occurrence, la demande de paiement de l’administration douanière, bien que tardive, ne concernait que la phase de recouvrement d’une dette déjà valablement née.
Cette distinction fondamentale permet à la Cour de rejeter fermement l’argument de la société exportatrice, fondé sur une déchéance implicite qui ne trouve aucun support dans le texte.
II. Le rejet de la déchéance et ses implications
La Cour de justice adopte une interprétation stricte des causes d’extinction des créances (A), faisant prévaloir la nécessité du recouvrement des ressources communautaires sur la sécurité juridique immédiate de l’opérateur économique (B).
A. Une interprétation stricte des clauses de déchéance
La Cour énonce un principe d’interprétation important en matière fiscale et douanière : la perte d’un droit de créance pour une administration ne se présume pas. Elle affirme qu’une conclusion favorable à la thèse de la déchéance « ne pourrait être tirée que si le texte en cause prévoyait expressément la notion de déchéance et renfermait une disposition claire et expresse en ce sens ». En l’absence d’une telle mention, interpréter l’expression « exigible au plus tard » comme un délai de forclusion reviendrait à ajouter au texte une condition et une sanction qu’il ne prévoit pas. Cette approche restrictive est justifiée par la nature même de la déchéance, qui constitue une sanction civile radicale privant un créancier de son droit d’agir. Une telle sanction doit nécessairement être prévue par une disposition spéciale et non équivoque. En refusant de déduire une déchéance d’une simple ambiguïté terminologique, la Cour assure la protection des ressources financières de la Communauté, qui seraient compromises si une simple erreur administrative suffisait à éteindre la dette.
B. L’équilibre entre sécurité juridique et recouvrement des créances
La solution rendue opère un arbitrage entre deux impératifs. D’un côté, la sécurité juridique voudrait que l’opérateur économique puisse considérer ses obligations comme définitivement apurées une fois les formalités douanières accomplies sans réclamation de l’administration. D’un autre côté, le principe de légalité fiscale et la nécessité de garantir les recettes communautaires exigent que toute taxe ou prélèvement légalement dû soit effectivement recouvré. En l’espèce, la Cour fait primer le second impératif. La décision souligne que l’erreur d’une administration nationale ne doit pas avoir pour effet de faire échec à l’application du droit communautaire et de créer une exonération de fait non prévue par les textes. La portée de cet arrêt est donc considérable : il confirme que la charge de l’impôt, qu’il soit national ou communautaire, ne disparaît pas du seul fait d’une défaillance initiale de l’autorité de perception. La créance subsiste et peut être recouvrée ultérieurement, dans les limites de la prescription applicable, assurant ainsi la primauté et l’effectivité des mécanismes financiers de l’organisation commune des marchés.