Arrêt de la Cour (première chambre) du 28 juin 2001. – Gervais Larsy contre Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (INASTI). – Demande de décision préjudicielle: Cour du travail de Mons – Belgique. – Règlements (CEE) nº 1408/71 et 1248/92 – Pensions de vieillesse – Règles anticumul – Inopposabilité conformément à un arrêt de la Cour de justice – Limitation des effets – Violation caractérisée du droit communautaire. – Affaire C-118/00.

Par un arrêt du 15 mars 2001, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’engagement de la responsabilité d’un État membre en cas de violation du droit communautaire par une institution de sécurité sociale. En l’espèce, un travailleur indépendant avait exercé son activité professionnelle dans deux États membres et avait cotisé aux régimes de retraite de ces deux pays. L’institution de sécurité sociale du premier État membre, après lui avoir initialement octroyé une pension complète, avait réduit le montant de celle-ci au motif qu’il percevait également une pension du second État, appliquant ainsi une règle nationale de non-cumul.

Le travailleur avait contesté cette réduction devant les juridictions nationales. Le tribunal de première instance avait rejeté son recours. Postérieurement à ce jugement, la Cour de justice, dans une affaire similaire concernant le frère du requérant, avait jugé que de telles règles nationales anticumul étaient contraires au droit communautaire dans des circonstances analogues. Fort de cette jurisprudence, l’intéressé a sollicité la révision de ses droits auprès de l’institution compétente. Celle-ci, tout en acceptant de recalculer la pension à taux plein, a limité la portée rétroactive de cette révision en se fondant sur l’article 95 bis du règlement (CEE) n° 1408/71, une disposition transitoire introduite par un règlement postérieur. Saisie en appel de la demande de dommages et intérêts formée par le travailleur, la juridiction nationale a interrogé la Cour de justice sur l’applicabilité de cette disposition transitoire et sur la question de savoir si son application constituait une violation caractérisée du droit communautaire engageant la responsabilité de l’État.

Le problème de droit soulevé devant la Cour consistait donc à déterminer, d’une part, si les dispositions transitoires d’un règlement modificatif pouvaient s’appliquer à une demande de révision fondée sur des règles préexistantes et, d’autre part, si l’application erronée de ces dispositions par une autorité administrative, en méconnaissance d’une jurisprudence établie de la Cour, constituait une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire.

La Cour de justice répond que l’article 95 bis du règlement n° 1408/71 n’est pas applicable à une demande de révision qui n’est pas fondée sur les nouvelles dispositions introduites par le règlement modificatif. Elle juge en outre que le fait pour une institution nationale d’appliquer cette disposition, limitant ainsi indûment la rétroactivité de la révision des droits de l’assuré, « constitue une violation caractérisée du droit communautaire ». Cette solution découle de la double erreur de l’institution : l’inapplicabilité manifeste de la disposition transitoire et la méconnaissance d’un arrêt antérieur de la Cour qui avait déjà clarifié l’état du droit.

Cette décision précise ainsi les limites d’application des dispositions transitoires en matière de sécurité sociale (I), tout en offrant une illustration nette de la notion de violation caractérisée imputable à une autorité administrative (II).

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I. Une application restrictive des dispositions transitoires

La Cour de justice a d’abord rappelé le champ d’application strict de l’article 95 bis du règlement n° 1408/71 (A), ce qui a eu pour conséquence directe d’écarter toute limitation à la rétroactivité de la révision des droits de l’assuré (B).

A. Le champ d’application conditionné de l’article 95 bis

La Cour énonce clairement que « pour que le droit à révision prévu audit article 95 bis soit susceptible de trouver à s’appliquer à une situation déterminée, la demande présentée à cet effet doit être fondée sur les nouvelles dispositions instituées par le règlement n° 1248/92 ». Le raisonnement de la Cour repose sur une interprétation téléologique de la disposition. L’article 95 bis constitue une mesure transitoire destinée à organiser le passage vers les nouvelles règles introduites par le règlement n° 1248/92, en permettant aux assurés de solliciter une révision de leurs droits pour bénéficier de dispositions potentiellement plus favorables.

Or, dans le cas d’espèce, la demande du travailleur ne se fondait nullement sur ce nouveau règlement. Elle visait au contraire à obtenir la correcte application des articles 12 et 46 du règlement n° 1408/71, tels qu’interprétés par la Cour dans son précédent arrêt. La demande de révision n’était donc pas une conséquence du changement de législation, mais la simple exigence de mise en conformité avec un état du droit préexistant et déjà clarifié par la jurisprudence. En conditionnant l’application de l’article 95 bis à une demande explicitement fondée sur le règlement modificatif, la Cour empêche qu’une disposition transitoire soit détournée de son objet pour restreindre des droits acquis sous l’empire de règles antérieures.

B. La pleine rétroactivité de la révision des droits

En jugeant l’article 95 bis inapplicable, la Cour en tire la conséquence logique que les limitations temporelles qu’il prévoit ne peuvent être opposées au travailleur. L’institution nationale, en invoquant le paragraphe 6 de cette disposition, avait limité l’effet de la révision à la date de la nouvelle demande, soit le 1er juillet 1994, privant ainsi l’assuré de plusieurs années d’arriérés de pension. La solution de la Cour rétablit l’intégralité des droits de l’intéressé à compter de la date à laquelle la réduction de sa pension a été opérée, soit le 1er mars 1987.

Cette approche garantit le plein effet du droit communautaire et la protection effective des droits que les justiciables en tirent. Refuser la limitation de la rétroactivité revient à sanctionner l’échec de l’institution nationale à appliquer correctement le droit dès le départ. Permettre à cette institution de se prévaloir de dispositions transitoires pour corriger son erreur initiale tout en en minimisant le coût financier aurait constitué une prime à la mauvaise application du droit communautaire. La Cour réaffirme ainsi implicitement que la réparation d’une illégalité doit être intégrale, sauf disposition expresse contraire, ce que n’était pas l’article 95 bis dans ce contexte.

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II. Une caractérisation explicite de la violation manifeste du droit communautaire

La Cour qualifie sans équivoque le comportement de l’institution nationale de « violation caractérisée », en se fondant sur le non-respect d’une jurisprudence établie et sur la méconnaissance du principe de primauté (A). Cette décision a pour portée de renforcer la responsabilité des autorités administratives nationales dans l’application du droit de l’Union (B).

A. Les critères de la violation caractérisée

Pour parvenir à cette conclusion, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une violation est suffisamment caractérisée lorsqu’une institution a méconnu de manière manifeste et grave les limites de son pouvoir d’appréciation. En l’espèce, la Cour estime que l’institution nationale « ne disposait que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante ». Plusieurs éléments étayent cette analyse. D’une part, la règle de droit violée, à savoir l’inapplicabilité de l’article 95 bis, était claire au regard de son libellé et de son objectif.

D’autre part, et de manière décisive, l’institution a persisté dans son erreur alors même qu’un arrêt de la Cour, rendu dans une affaire quasi identique, avait déjà tranché la question de fond. La Cour souligne qu’une violation « est manifestement caractérisée lorsqu’elle a perduré malgré le prononcé d’un arrêt de la Cour rendu en matière préjudicielle duquel résulte le caractère d’infraction du comportement en cause ». L’institution ne pouvait donc se prévaloir d’une quelconque incertitude juridique. Enfin, la Cour balaie l’argument selon lequel le droit procédural national aurait empêché une révision rétroactive, en rappelant avec force que le principe de primauté impose à « toutes les instances de l’État membre » d’écarter les dispositions nationales faisant obstacle au plein effet du droit communautaire.

B. Le renforcement de la responsabilité administrative

En qualifiant si nettement la faute de l’institution nationale, cet arrêt délivre un message clair à toutes les autorités administratives des États membres. Il confirme qu’elles sont, au même titre que les législateurs et les juridictions, directement responsables de la correcte application du droit de l’Union et que leur défaillance peut engager la responsabilité pécuniaire de l’État. La décision illustre que l’ignorance ou l’interprétation erronée d’une jurisprudence claire de la Cour de justice n’est pas une erreur excusable.

La portée de cette décision dépasse ainsi le simple cadre de la sécurité sociale des travailleurs migrants. Elle constitue un avertissement sévère contre toute résistance administrative à l’application du droit de l’Union, qu’elle soit intentionnelle ou résulte d’une négligence grave. En précisant que même l’existence d’une décision de justice nationale non définitive ne saurait justifier le non-respect du droit communautaire, la Cour réaffirme la place prééminente de ce dernier dans l’ordre juridique interne et renforce les garanties offertes aux particuliers pour la sauvegarde effective de leurs droits.

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Hassan KOHEN
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