Saisie par la Pretura di San Vito al Tagliamento sur le fondement de l’article 177 du traité CEE, la Cour de justice des Communautés européennes a rendu, le 28 mars 1990, un arrêt préjudiciel portant sur l’interprétation de dispositions essentielles des directives 75/442/CEE et 78/319/CEE relatives aux déchets. L’affaire sous-jacente concernait des poursuites pénales engagées en Italie contre des transporteurs pour avoir acheminé des solutions usagées d’acide chlorhydrique sans l’autorisation requise par un décret national transposant lesdites directives. Les prévenus arguaient que les substances en cause n’étaient pas des déchets au sens de la législation italienne, car elles étaient susceptibles de réutilisation économique et donc non « abandonnées ». Ils soutenaient en outre que le droit national n’exigeait une autorisation que pour le transport de déchets toxiques et dangereux, catégorie dont ne relevaient pas les matières transportées. La juridiction de renvoi s’est alors interrogée sur la compatibilité de l’interprétation du droit national avec le droit communautaire. Elle a ainsi posé trois questions à la Cour, visant à déterminer si une définition du déchet excluant les substances réutilisables, l’absence d’autorisation pour le transport de déchets non dangereux, et l’attribution de compétences d’autorisation à des autorités régionales plutôt que nationales, étaient conformes aux directives. La Cour a répondu que la notion de déchet ne saurait exclure les objets susceptibles de réutilisation économique. Elle a ensuite jugé que si la surveillance du transport est obligatoire, l’instauration d’un régime d’autorisation préalable restait une faculté pour les États membres. Enfin, elle a validé la compétence d’autorités locales pour délivrer de telles autorisations.
Cet arrêt clarifie ainsi deux aspects fondamentaux du droit des déchets : d’une part, il consacre une conception large de la notion de déchet, essentielle à l’efficacité du régime de protection environnementale (I), et d’autre part, il précise la marge d’appréciation laissée aux États membres dans la mise en œuvre des mécanismes de contrôle (II).
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I. La consécration d’une définition extensive de la notion de déchet
L’interprétation de la Cour refuse de lier la qualification de déchet à sa valeur économique, privilégiant une approche finaliste dictée par les objectifs de protection. Cette solution renforce la portée du droit communautaire en la matière.
A. Le rejet du critère de la réutilisation économique
La juridiction de renvoi se demandait si la définition nationale du déchet, interprétée comme visant uniquement ce qui est « abandonné ou destiné à l’abandon », était conforme aux directives. Cette interprétation aurait permis d’exclure du champ de la réglementation toute substance ayant encore une utilité ou une valeur économique. Une telle approche aurait considérablement restreint l’application du régime de contrôle prévu par les textes communautaires. La Cour de justice écarte fermement cette lecture en affirmant qu’« une réglementation nationale qui adopte une définition de la notion de déchet excluant les substances et objets susceptibles de réutilisation économique n’est pas compatible avec les directives 75/442/CEE et 78/319/CEE du Conseil ». En se fondant sur une décision antérieure, elle rappelle que la notion de déchet doit être interprétée largement pour garantir l’effectivité de la protection de la santé humaine et de l’environnement. Le raisonnement de la Cour est donc téléologique : l’objectif de la directive est de prévenir les risques inhérents à certaines substances, indépendamment du fait qu’elles puissent être réintégrées dans un circuit économique. Un produit en fin de vie, même valorisable, peut présenter un danger durant son transport, son stockage ou sa transformation, justifiant ainsi son assujettissement aux règles de surveillance.
B. La primauté de l’acte de se défaire
La Cour recentre la définition du déchet non sur la nature intrinsèque de la substance, mais sur l’action de son détenteur. Les directives visent en effet « toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou a l’obligation de se défaire ». C’est donc l’acte, volontaire ou contraint, de se défaire qui constitue le fait générateur de la qualification de déchet. Cette approche objective prévient les tentatives de contournement de la législation. Si le critère de l’abandon pur était retenu, il suffirait à un producteur de prétendre à une réutilisation future, même hypothétique, pour soustraire des matières potentiellement dangereuses au contrôle des autorités compétentes. En liant la notion de déchet à l’action de s’en défaire, la Cour assure que le statut de déchet est acquis dès que la substance quitte le cycle de production normal de son détenteur. La portée de cette interprétation est considérable, car elle garantit que la quasi-totalité des flux de matières résiduelles, qu’elles soient destinées à l’élimination ou à la valorisation, tombent sous le coup de la législation sur les déchets, assurant ainsi un niveau de protection élevé et uniforme au sein de la Communauté.
La définition extensive de la notion de déchet étant établie, l’arrêt se penche ensuite sur les modalités concrètes de la gestion et du contrôle, où la latitude des États membres est davantage reconnue.
II. La marge d’appréciation des États membres dans l’organisation du contrôle
Si la Cour impose une définition stricte du champ d’application matériel, elle se montre plus souple quant aux moyens procéduraux et administratifs, reconnaissant aux États une certaine liberté dans l’organisation de la surveillance du transport et dans la désignation des autorités compétentes.
A. Le caractère facultatif de l’autorisation préalable pour le transport
La deuxième question préjudicielle visait à déterminer si l’article 10 de la directive 75/442 imposait un régime d’autorisation préalable pour le transport de tous les déchets relevant de son champ d’application. La Cour y répond par la négative, en précisant qu’une réglementation nationale « qui ne soumet pas le transport des déchets relevant de la directive 75/442/CEE du Conseil à un système d’autorisation préalable est compatible avec l’article 10 de cette directive ». Elle souligne que cette disposition n’exige qu’une « surveillance de l’autorité compétente ». La nuance est de taille : la surveillance peut prendre d’autres formes qu’une autorisation, comme un système déclaratif ou des contrôles a posteriori. Cette solution respecte le principe de subsidiarité, en laissant aux États le soin de choisir les instruments les plus adaptés à leur contexte national pour atteindre les objectifs fixés. Néanmoins, la Cour tempère immédiatement cette liberté en ajoutant qu’il est « loisible aux États membres de soumettre le transport des déchets (…) à un système d’autorisation préalable, s’ils l’estiment nécessaire pour la réalisation des objectifs de cette directive ». Par cette précision, elle rappelle que la marge d’appréciation n’est pas absolue et reste subordonnée à l’obligation de résultat imposée par l’article 4, à savoir garantir une élimination des déchets sans danger pour l’homme et l’environnement.
B. La légitimité d’une compétence administrative décentralisée
Enfin, la juridiction de renvoi s’interrogeait sur la compatibilité avec la directive d’un système où les autorisations de transport seraient délivrées par des autorités régionales, et non nationales. La Cour valide sans équivoque une telle organisation administrative. Elle se fonde sur le libellé de l’article 5 de la directive, qui prévoit que les États membres désignent des autorités compétentes « dans une zone déterminée ». Il en découle logiquement que « l’attribution de la compétence de délivrer les autorisations de transporter des déchets, à des autorités n’ayant pas une compétence nationale, est compatible avec l’article 5 de la directive 75/442/CEE du Conseil ». Cette interprétation pragmatique permet d’adapter l’application du droit communautaire aux diverses structures institutionnelles des États membres, qu’ils soient centralisés, fédéraux ou régionalisés. La crainte du juge national quant à un manque d’harmonisation ou une complexité excessive due à la multiplicité des autorités est ainsi écartée au profit d’une lecture littérale du texte, qui autorise expressément une gestion territorialisée. La Cour fait ainsi prévaloir la flexibilité organisationnelle, tant que le cadre de surveillance global demeure cohérent et efficace.