Arrêt de la Cour (première chambre) du 28 octobre 1982. – Dominique Noëlle Oberthür contre Commission des Communautés européennes. – Fonctionnaire – Annulation d’un rapport de notation. – Affaire 105/81.

En son arrêt du 5 novembre 1982, la Cour de justice des Communautés européennes, siégeant en sa première chambre, a été amenée à se prononcer sur la régularité d’une procédure de notation d’un fonctionnaire.

Une fonctionnaire, après diverses affectations provisoires, fut réaffectée à une direction générale par une décision du 29 novembre 1976, avec effet au 1er décembre de la même année. Cette décision comportait des erreurs matérielles, notamment sur son statut et sa précédente affectation. La fonctionnaire ne prit cependant ses fonctions effectives dans sa nouvelle direction qu’en avril 1977. Le 13 décembre 1978, une nouvelle décision fut prise, annulant et remplaçant la première afin de corriger les erreurs qu’elle contenait, tout en maintenant l’effet rétroactif de l’affectation. Le rapport de notation de l’agent pour la période du 1er juillet 1975 au 30 juin 1977 fut établi par son supérieur hiérarchique au sein de sa nouvelle direction générale d’affectation.

La fonctionnaire a saisi la Cour de justice d’un recours visant à l’annulation de son rapport de notation, de la décision du notateur d’appel ayant confirmé ce rapport, ainsi que des deux décisions successives l’affectant à sa nouvelle direction générale. Elle soutenait que l’invalidité des décisions d’affectation rendait le notateur de sa nouvelle direction incompétent pour établir son rapport. Subsidiairement, elle arguait que, même en cas de validité de l’affectation, la brève durée de son service effectif au sein de la nouvelle direction générale avant la fin de la période de notation s’opposait à la compétence de son supérieur hiérarchique. Elle mettait également en cause la décision du notateur d’appel, prise en l’absence d’un avis formel du comité paritaire des notations.

Le problème de droit soulevé par cette affaire portait donc sur plusieurs points. Il s’agissait de déterminer si des erreurs matérielles et un effet rétroactif pouvaient vicier des décisions d’affectation, et par voie de conséquence, remettre en cause la compétence du notateur désigné. Se posait également la question des modalités procédurales de la notation, notamment la détermination du supérieur hiérarchique compétent en cas de changement d’affectation en cours de période. Enfin, la Cour devait statuer sur la portée de l’avis d’un organe consultatif paritaire dans la procédure d’appel de la notation et sur les limites de son propre contrôle juridictionnel en la matière.

La Cour rejette le recours dans son intégralité. Elle juge d’abord que les demandes d’annulation des décisions d’affectation sont irrecevables car tardives, et en tout état de cause non fondées, les erreurs matérielles n’ayant pas vicié le consentement de l’agent. La Cour confirme ensuite la compétence du notateur de la nouvelle direction générale, en application des dispositions internes prévoyant que le rapport est établi par le chef hiérarchique dont dépend l’agent au moment de la notation si le changement d’affectation remonte à plus de six mois. Elle valide enfin la procédure d’appel, considérant que l’absence d’avis du comité paritaire n’empêchait pas le notateur d’appel de statuer. Elle rappelle enfin qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle des notateurs quant aux mérites du fonctionnaire.

L’intérêt de la décision réside alors tant dans la clarification des règles procédurales encadrant l’établissement du rapport de notation (I) que dans la définition des limites du contrôle opéré sur son contenu (II).

***

I. La régularité de la procédure de notation subordonnée à la validité de l’acte d’affectation

La Cour examine en premier lieu la chaîne des actes administratifs pour asseoir la légalité de la procédure de notation. Elle valide ainsi les décisions d’affectation en dépit d’irrégularités formelles (A), ce qui lui permet ensuite de confirmer la compétence de l’auteur du rapport de notation (B).

A. La validation des décisions d’affectation en dépit d’irrégularités formelles

La requérante contestait la validité des deux décisions successives prononçant son affectation, espérant par ce biais démontrer l’incompétence du notateur. La Cour écarte ce moyen par une double argumentation. D’une part, elle relève que la requérante n’a pas contesté la première décision dans les délais statutaires, ce qui rend sa demande d’annulation irrecevable. Cette approche pragmatique permet de stabiliser les situations juridiques et d’éviter des remises en cause tardives. D’autre part, et sur le fond, la Cour estime que les erreurs contenues dans la décision du 29 novembre 1976 n’étaient pas de nature à induire la fonctionnaire en erreur sur la portée de l’acte. En effet, « la décision attaquée a identifié la requérante par ses nom et prénoms, et son numéro personnel ; sa nouvelle affectation et la date de sa prise d’effet sont spécifiées avec précision ». La seconde décision, bien que rétroactive, n’est analysée que comme une simple « rectification des erreurs de la première et une confirmation de ses effets », la requérante n’ayant dès lors aucun intérêt à en demander l’annulation. La solution est classique en contentieux administratif, où l’erreur matérielle non substantielle ne suffit pas à entraîner l’annulation d’un acte.

B. La détermination de l’auteur compétent du rapport de notation

Une fois l’affectation de la requérante validée à compter du 1er décembre 1976, la Cour devait répondre à l’argument subsidiaire tenant à la courte période de service effectif accomplie sous l’autorité du notateur. La requérante soutenait qu’ayant rejoint physiquement son poste en avril 1977, soit un peu plus de deux mois avant la fin de la période de notation, son supérieur ne disposait pas d’un temps suffisant pour l’évaluer. La Cour écarte cette vision subjective en s’en tenant à une application stricte des « dispositions générales d’exécution de l’article 43 du statut ». Celles-ci prévoient que si un fonctionnaire change d’affectation, « la notation est établie par le chef hiérarchique dont il dépend au moment de la notation si le changement d’affectation remonte à plus de 6 mois ». La Cour constate que l’affectation formelle a eu lieu le 1er décembre 1976, soit plus de six mois avant le 30 juin 1977, fin de la période de référence. Cette approche privilégie la date de l’acte juridique d’affectation sur la date de la prise de fonction effective, offrant ainsi un critère objectif et sécurisant pour l’administration.

Une fois la régularité de l’établissement du rapport confirmée, la Cour se penche sur la procédure de contestation de celui-ci et sur l’étendue de son propre contrôle.

II. L’encadrement des voies de recours internes et juridictionnelles

La seconde partie de l’arrêt est consacrée à l’examen des garanties offertes au fonctionnaire lors de la contestation de son évaluation. La Cour précise l’office du notateur d’appel face à la défaillance d’un organe consultatif (A), avant de rappeler fermement les limites de son contrôle sur l’appréciation portée par l’administration (B).

A. L’office du notateur d’appel en l’absence d’avis du comité paritaire

La requérante faisait grief au notateur d’appel d’avoir statué sans disposer de l’avis du comité paritaire des notations, lequel s’était estimé dans l’impossibilité de se prononcer. La Cour doit alors interpréter le silence des textes sur cette hypothèse. Elle constate que le guide de la notation ne prévoit pas la procédure à suivre dans un tel cas. Dans une approche constructive, elle juge que cette absence d’avis ne saurait paralyser la procédure. Elle affirme ainsi qu' »en l’absence d’un avis émis par le comité paritaire, qui s’estimait être dans l’impossibilité d’émettre un tel avis, le notateur d’appel n’était pas tenu de s’abstenir de prendre lui-même la décision de confirmer ou de modifier le rapport ». Cette solution confère une portée significative au rôle du notateur d’appel, qui demeure le décideur final dans la procédure interne de recours. Elle évite qu’une obstruction ou une simple incapacité d’un organe consultatif ne bloque le processus décisionnel de l’administration, garantissant ainsi la continuité du service.

B. La limite du contrôle juridictionnel sur l’appréciation des mérites du fonctionnaire

Enfin, la requérante tentait de faire contrôler par la Cour le bien-fondé même des appréciations portées sur ses qualités professionnelles, alléguant des erreurs de fait ou une interprétation inexacte de ses mérites. La Cour oppose une fin de non-recevoir à ce moyen en rappelant un principe fondamental du contentieux de la fonction publique. Elle énonce de manière lapidaire que « la fonction de la cour n’est pas de se substituer au notateur ou au notateur d’appel ». Ce faisant, elle réaffirme que son contrôle se limite à la légalité externe de l’acte (compétence, vice de forme) et à certains aspects de sa légalité interne (erreur de droit, erreur manifeste d’appréciation, détournement de pouvoir). Le juge administratif ne se transforme pas en un supérieur hiérarchique et ne refait pas l’évaluation. Cette position de principe garantit la marge d’appréciation laissée à l’administration dans la gestion de son personnel, tout en protégeant les fonctionnaires contre l’arbitraire, mais sans s’immiscer dans le jugement de valeur qui constitue le cœur de l’acte de notation.

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