Arrêt de la Cour (première chambre) du 28 septembre 1994. – Pfanni Werke Otto Eckart KG contre Landeshauptstadt München. – Demande de décision préjudicielle: Bundesverwaltungsgericht – Allemagne. – Denrées alimentaires – Obligation de mentionner un additif dans la liste des ingrédients (étiquetage) – Directive 79/112/CEE – Dérogation à cette obligation. – Affaire C-144/93.

Par un arrêt rendu en réponse à une question préjudicielle d’une juridiction administrative fédérale allemande, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’exemption de l’obligation d’étiquetage pour certains additifs alimentaires. En l’espèce, une entreprise spécialisée dans la fabrication de produits à base de pommes de terre déshydratées s’est vu reprocher par une autorité municipale de ne pas mentionner la présence d’un additif, le diphosphate, dans la liste des ingrédients de ses produits finis. Cet additif était utilisé au cours du processus de fabrication d’un ingrédient, les flocons de purée, afin d’empêcher sa décoloration. L’entreprise soutenait que cette substance n’avait plus de fonction technologique dans le produit fini, la stabilisation de la couleur étant acquise définitivement après une étape de chauffage et de déshydratation.

Saisi d’un recours contre la menace d’une mesure d’interdiction et d’une amende, le tribunal administratif compétent a rejeté la demande du fabricant au motif que l’additif déterminait l’apparence du produit final. Cette solution a été confirmée en appel, les juges du fond ayant estimé que l’objectif d’information complète du consommateur commandait de faire figurer la substance sur l’étiquette. La juridiction de dernière instance, confrontée à une difficulté d’interprétation de la directive européenne applicable, a alors décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice. La question posée visait à déterminer si un additif remplit encore une fonction technologique dans le produit fini lorsque l’état qu’il a contribué à créer, à savoir l’absence de décoloration, subsiste sans que sa présence ne soit plus nécessaire pour maintenir cet état. La Cour de justice répond que l’article 6, paragraphe 4, sous c), ii), premier tiret, de la directive 79/112/CEE doit être interprété en ce sens qu’un tel additif ne remplit plus de fonction technologique dans le produit fini.

La Cour consacre ainsi une interprétation stricte de la notion de fonction technologique (I), dont la portée participe à l’équilibre entre l’information du consommateur et les contraintes de lisibilité de l’étiquetage (II).

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**I. La consécration d’une interprétation stricte de la fonction technologique**

La solution retenue par la Cour de justice repose sur une lecture littérale de l’exemption d’étiquetage prévue par la directive (A), ce qui la conduit à écarter une conception trop extensive de l’objectif d’information du consommateur (B).

**A. Une lecture littérale de la condition d’exemption**

La directive 79/112/CEE établit le principe de l’inscription de tous les ingrédients sur l’étiquetage, mais elle ménage des exceptions. Parmi celles-ci, la disposition litigieuse dispense de mentionner les additifs « dont la présence dans une denrée alimentaire est uniquement due au fait qu’ils étaient contenus dans un ou plusieurs ingrédients de cette denrée et sous réserve qu’ils ne remplissent plus de fonction technologique dans le produit fini ». Le raisonnement de la Cour s’articule entièrement autour de la dernière partie de cette phrase. Elle juge qu’un additif qui a agi sur un ingrédient ne doit pas être listé si son action n’est plus requise au stade final.

L’analyse se concentre sur la temporalité de la fonction. Pour la Cour, il ne suffit pas que l’additif ait eu un effet durable sur l’aspect ou la conservation du produit ; il faut que sa présence demeure active et nécessaire dans ce produit fini pour que l’obligation d’étiquetage s’applique. En l’espèce, le diphosphate empêchait le grisonnement de la pâte de pommes de terre avant sa déshydratation. Une fois cette étape franchie, le risque de décoloration disparaissant par l’effet de la chaleur, l’additif devenait chimiquement inerte. La Cour en déduit logiquement que la condition d’exemption est remplie, car la substance ne remplit plus activement de rôle. Cette interprétation s’attache donc au texte et à la fonction effective de la substance au moment de la consommation.

**B. Le rejet d’une conception extensive de l’information du consommateur**

Les juridictions allemandes avaient privilégié une approche différente, fondée sur l’intention du législateur d’assurer une information aussi complète que possible. Selon elles, dès lors que l’additif était à l’origine d’une caractéristique du produit fini, sa couleur en l’occurrence, le consommateur devait en être informé. La Cour de justice tempère cette vision en rappelant que le principe d’information, bien que fondamental, est lui-même encadré par les dérogations prévues par le législateur de l’Union. Elle souligne qu’une obligation d’énumération exhaustive de toute substance utilisée dans le processus de fabrication viderait l’exception de son contenu.

En affirmant que la directive « exige une information efficace du consommateur, qui lui soit compréhensible », la Cour opère une distinction subtile mais décisive entre exhaustivité et pertinence. Une information complète n’est pas nécessairement une information utile. L’énumération d’additifs qui n’ont plus d’incidence fonctionnelle pourrait, selon elle, induire le consommateur en erreur en suggérant une composition chimique plus complexe ou active qu’elle ne l’est en réalité. La Cour rejette donc une interprétation qui, sous couvert de transparence, aboutirait à rendre la dérogation inopérante et potentiellement contre-productive.

Cette clarification de la notion de fonction technologique emporte des conséquences importantes sur la manière dont l’équilibre entre les différents impératifs de l’étiquetage doit être recherché.

**II. La portée de la solution au service d’un étiquetage intelligible**

L’arrêt ne se limite pas à trancher un cas d’espèce ; il définit un cadre pour l’application de l’exemption d’étiquetage en faisant prévaloir l’intelligibilité de l’information sur son caractère exhaustif (A) et en clarifiant le statut des additifs dits « vecteurs » (B).

**A. La primauté de l’intelligibilité sur l’exhaustivité**

La décision met en lumière un enjeu central de la réglementation sur l’étiquetage : le risque de saturation informative. En refusant d’imposer la mention d’un additif devenu fonctionnellement obsolète dans le produit fini, la Cour protège l’étiquette d’un excès d’informations techniques qui pourraient nuire à sa lisibilité. Un consommateur moyen n’est pas un chimiste ; la multiplication des noms techniques sur une liste d’ingrédients peut davantage créer de la confusion ou une méfiance injustifiée que fournir une information pertinente pour son choix.

La valeur de la solution réside dans ce pragmatisme. Elle reconnaît que l’objectif de protection du consommateur n’est pas servi par une liste interminable de substances, mais par une information claire sur les composants qui définissent activement les propriétés du produit qu’il achète. La Cour suggère même qu’un étiquetage incluant des additifs inertes serait susceptible d’« induire le consommateur en erreur ». En cela, la décision renforce l’idée qu’un bon étiquetage est un étiquetage ciblé, qui permet de comprendre la nature et la composition réelle et active du produit, plutôt qu’un historique de son processus de fabrication.

**B. La clarification du statut des additifs « vecteurs »**

Au-delà de son apport sur la notion de fonction technologique, l’arrêt a une portée considérable pour l’industrie agroalimentaire en ce qu’il précise le traitement des substances utilisées sur des ingrédients avant leur incorporation dans un produit final. Ces additifs, parfois qualifiés de « vecteurs » ou d’auxiliaires technologiques, sont courants. Ils peuvent servir à préserver un ingrédient, à faciliter son traitement ou à en standardiser une caractéristique, comme la couleur dans le cas d’espèce.

En liant l’obligation d’étiquetage à la nécessité fonctionnelle de l’additif *dans le produit fini*, la Cour établit une frontière nette. Si la substance a épuisé son rôle avant ou pendant l’assemblage final, elle n’est pas considérée comme un ingrédient du produit fini au sens de l’obligation de déclaration. Cette solution apporte une sécurité juridique aux fabricants, qui peuvent ainsi distinguer plus clairement les auxiliaires technologiques non soumis à étiquetage des additifs qui conservent une fonction et doivent être déclarés. Elle empêche une interprétation extensive qui aurait pu conduire à une cascade d’obligations de déclaration, rendant la gestion de l’étiquetage particulièrement complexe pour les produits transformés composés de multiples ingrédients.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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