Arrêt de la Cour (première chambre) du 3 décembre 1992. – Prefetto di Ravenna contre Attilio Contarini. – Demande de décision préjudicielle: Corte suprema di Cassazione – Italie. – Obligations des producteurs et commerçants dans le secteur viti-vinicole. – Affaire C-283/91.

Par un arrêt du 8 octobre 1992, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’interprétation d’une disposition réglementaire relative aux documents accompagnant le transport de produits viti-vinicoles. En l’espèce, un producteur avait fait l’objet d’une sanction administrative pour avoir omis de renseigner une colonne du document d’accompagnement relatif au transport de vin nouveau encore en fermentation. Le producteur contestait cette sanction, arguant qu’une phrase située à la fin de l’article litigieux, l’article 9 du règlement n° 1153/75, rendait facultatives les mentions prévues par l’ensemble de cet article. La juridiction de première instance avait accueilli cette argumentation et annulé la sanction. Saisie d’un pourvoi par l’autorité administrative, la juridiction suprême italienne a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice afin de déterminer le champ d’application exact de l’exemption. La question posée à la Cour était de savoir si l’exemption de mention, prévue à la fin du paragraphe 3 de l’article 9 du règlement n° 1153/75, s’appliquait à l’ensemble des produits listés par cet article ou seulement à ceux spécifiquement visés par ledit paragraphe. À cette question, la Cour répond que la dispense ne s’applique qu’aux seuls produits mentionnés au paragraphe 3, confirmant ainsi l’interprétation restrictive soutenue par l’administration. La solution, qui repose sur une analyse littérale et téléologique du texte, vient clarifier une ambiguïté rédactionnelle (I), consacrant ainsi une lecture stricte des obligations d’information pesant sur les opérateurs (II).

I. La clarification d’une exemption par une double méthode d’interprétation

La Cour de justice parvient à une solution dénuée d’équivoque en combinant une analyse rigoureuse de la structure du texte (A) avec une recherche de la finalité poursuivie par le législateur communautaire (B).

A. Une interprétation littérale fondée sur la structure de l’article

La Cour fonde son raisonnement, en premier lieu, sur la topographie même de l’article 9 du règlement. Elle observe que celui-ci est divisé en plusieurs paragraphes distincts, chacun visant une catégorie de produits spécifique. Le paragraphe 1 traite du « moût de raisin », du « moût de raisin partiellement fermenté » et du « vin nouveau encore en fermentation ». Le paragraphe 2 concerne le « vin de table » ayant été édulcoré. Enfin, le paragraphe 3 vise les « produits autres que ceux visés au paragraphe 1 ». La phrase litigieuse, « Ces mentions ne sont pas obligatoires », est placée à la toute fin du paragraphe 3 et en fait matériellement partie.

La Cour en déduit logiquement que la portée de cette phrase ne peut excéder le cadre du paragraphe dans lequel elle s’insère. Elle souligne à cet égard que « si le législateur communautaire avait voulu que cette phrase se réfère à l’ensemble des produits visés à l’article 9 du règlement, il l’aurait précisé dans un paragraphe distinct ». Cet argument de pure logique textuelle, fondé sur la construction grammaticale et la disposition des alinéas, établit une hiérarchie claire et démontre que l’exemption ne constitue pas une règle générale mais bien une exception attachée à une catégorie particulière de produits.

B. Une interprétation téléologique fondée sur l’objectif du règlement

En second lieu, la Cour conforte son analyse textuelle par une interprétation téléologique, c’est-à-dire en recherchant l’intention du législateur et l’objectif de la réglementation. Elle relève que les mentions prévues à l’article 9 ont pour but d’informer les destinataires des manipulations déjà effectuées sur les produits, notamment afin d’éviter que ces derniers « ne subissent deux fois la même manipulation ». Or, ce risque est particulièrement prégnant pour les produits non finis, tels que le vin nouveau encore en fermentation visé au paragraphe 1, qui sont susceptibles de subir de nouvelles opérations œnologiques.

Il était donc cohérent pour le législateur de rendre les mentions obligatoires pour ces produits en cours d’élaboration, tout en les rendant facultatives pour les produits finis visés au paragraphe 3. En outre, la Cour rappelle le cinquième considérant du règlement, selon lequel « le rôle des documents d’accompagnement doit être d’informer le plus complètement possible le destinataire de la nature du produit qu’il reçoit ». Une interprétation qui étendrait l’exemption à tous les produits irait à l’encontre de cet objectif fondamental d’information et de traçabilité, en réduisant l’utilité du document d’accompagnement.

II. La portée d’une solution confortant l’orthodoxie juridique

La décision, bien que technique, n’est pas sans valeur et sa portée doit être appréciée. Elle consacre la primauté d’une lecture logique des textes et renforce l’effectivité du contrôle administratif (A), tout en demeurant une décision d’espèce à l’influence limitée (B).

A. La consécration de la sécurité juridique et du contrôle administratif

En se fondant sur la structure du texte et sa finalité, la Cour de justice écarte une interprétation qui aurait créé une insécurité juridique. Admettre que la dispense s’appliquait à tous les produits aurait vidé de sa substance une partie importante du dispositif de suivi et de contrôle du secteur viti-vinicole. La solution retenue réaffirme au contraire un principe essentiel de légistique : une disposition insérée dans une partie spécifique d’un article a vocation à ne régir que la matière traitée dans cette partie.

Cette orthodoxie interprétative est garante de prévisibilité pour les opérateurs économiques, qui sont ainsi clairement informés de l’étendue de leurs obligations déclaratives. Par ailleurs, la décision conforte l’action des autorités nationales chargées d’assurer le respect de la réglementation communautaire. En validant l’interprétation restrictive et rigoureuse de l’administration, la Cour garantit l’effectivité des contrôles et, par conséquent, la fiabilité des informations circulant au sein du marché commun.

B. Une décision à la portée jurisprudentielle limitée

Si la décision est parfaitement fondée en droit et a une valeur pédagogique certaine en matière de méthode d’interprétation, sa portée en tant que précédent jurisprudentiel doit être relativisée. L’arrêt statue sur une version d’un règlement qui, comme le relève la Cour elle-même, a été modifiée postérieurement aux faits du litige. La question tranchée portait sur une ambiguïté rédactionnelle spécifique, laquelle a d’ailleurs été corrigée par la suite.

Il s’agit donc davantage d’une décision d’espèce, réglant un litige particulier, que d’un grand arrêt de principe destiné à orienter durablement la jurisprudence. Son apport réside moins dans la solution elle-même que dans la démonstration exemplaire de la méthode d’interprétation de la Cour, qui articule avec clarté l’analyse textuelle et la recherche de l’effet utile de la norme. L’arrêt illustre la manière dont la Cour assure l’application uniforme et cohérente du droit communautaire, même dans ses aspects les plus techniques, en rappelant aux législateurs la nécessité de la clarté et aux justiciables l’importance d’une lecture attentive des textes.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture