Un arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes en 1998, sur le fondement de l’article 181 du traité instituant la Communauté européenne, offre une illustration précise des limites de la compétence arbitrale de la Cour. Le litige opposait la Commission des Communautés européennes à une société de droit privé. Les parties avaient conclu un contrat en vue de la réalisation d’un projet de démonstration bénéficiant d’un soutien financier communautaire. La société cocontractante n’ayant pu mener le projet à son terme, faute d’avoir trouvé un site d’implantation adéquat dans les délais impartis, la Commission avait résilié le contrat et demandé le remboursement des avances versées.
La société, attraite devant la Cour en vertu de la clause compromissoire stipulée au contrat, a non seulement contesté le bien-fondé de la demande en remboursement, mais a également formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts. Elle soutenait que la Commission avait elle-même commis plusieurs fautes. D’une part, elle lui reprochait des manquements de nature contractuelle, notamment en ne l’ayant pas informée de l’élaboration d’une nouvelle directive qui aurait rendu le projet techniquement irréalisable. D’autre part, elle invoquait un comportement prétendument diffamatoire d’un fonctionnaire de la Commission lors d’échanges avec des tiers au sujet d’un autre projet.
La question de droit soumise à la Cour était donc double. Il s’agissait d’abord de déterminer si la résiliation du contrat par la Commission était justifiée au regard des obligations des parties. Il s’agissait ensuite, et surtout, de définir si la compétence de la Cour, issue d’une clause compromissoire, pouvait s’étendre à l’examen d’un grief de nature quasi délictuelle sans lien direct avec les obligations découlant du contrat litigieux.
La Cour de justice a répondu de manière distincte à ces deux aspects. Sur le plan contractuel, elle a jugé la résiliation du contrat par la Commission parfaitement fondée, l’entreprise n’ayant pas respecté ses engagements essentiels. Sur le plan de la compétence, elle a affirmé avec force que son pouvoir juridictionnel, étant dérogatoire du droit commun, devait faire l’objet d’une interprétation restrictive. En conséquence, elle a déclaré irrecevable la demande en réparation fondée sur un comportement sans rapport direct avec le contrat contenant la clause compromissoire.
Cette décision permet ainsi de distinguer clairement la résolution du différend contractuel, qui consacre une application rigoureuse des stipulations convenues entre les parties (I), de la délimitation de la compétence arbitrale de la Cour, qui confirme la portée strictement contractuelle de la clause compromissoire (II).
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I. La sanction de l’inexécution des obligations contractuelles
La Cour procède à une analyse classique du rapport contractuel pour constater l’inexécution fautive de la société cocontractante, justifiant la résiliation du contrat (A), tout en écartant les manquements imputés à la Commission qui se révélaient sans pertinence (B).
A. La résiliation justifiée du contrat pour manquement du cocontractant
Le contrat prévoyait que la société devait réaliser le projet dans un délai déterminé, ce qui impliquait la mise à disposition d’un site approprié. Or, il est apparu que, plusieurs mois après la date initialement prévue pour l’achèvement des travaux, cette condition essentielle faisait toujours défaut. La Commission avait pourtant accepté de reporter l’échéance, à la condition expresse que le site soit trouvé dans un délai de six mois, ce qui ne fut pas le cas.
Face à cette carence persistante, la Commission a mis en œuvre la clause de résiliation prévue à l’article 9 du contrat, qui autorisait une telle mesure « au cas où la poursuite du programme de travail fixé deviendrait sans intérêt ». La Cour a donc logiquement considéré que l’impossibilité de débuter les travaux, faute de lieu pour les réaliser, rendait de fait le projet sans objet et justifiait pleinement la décision de la Commission. La résiliation entraîne, conformément au contrat, l’obligation pour le cocontractant de restituer les sommes perçues qui n’ont pas été utilisées conformément à l’objet du financement.
B. Le rejet des griefs contractuels opposés par le cocontractant
Pour tenter de s’opposer à la demande de remboursement, la société a avancé que la Commission aurait elle-même violé ses obligations contractuelles. Elle soutenait en premier lieu que l’adoption future d’une directive concernant la prévention de la pollution atmosphérique rendait son projet techniquement et légalement obsolète. La Cour a cependant balayé cet argument en relevant que la directive en question n’était pas applicable au projet, son calendrier d’exécution le plaçant en dehors du champ d’application temporel du nouveau texte. De plus, un acte de portée générale émanant du Conseil ne saurait constituer une modification du contrat entre les parties.
En second lieu, la société invoquait une violation de l’obligation de confidentialité, la Commission ayant informé un tiers de la résiliation du contrat. La Cour a estimé que cette information, communiquée à une entreprise qui souhaitait s’associer au projet, ne constituait pas la divulgation d’une information confidentielle au sens du contrat. Ce faisant, la Cour confirme que l’appréciation des manquements contractuels doit se faire de manière concrète et rigoureuse, en se tenant aux stipulations claires du contrat et aux faits de l’espèce.
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II. La portée strictement contractuelle de la clause compromissoire
Au-delà de la résolution du litige contractuel, l’arrêt présente un intérêt majeur quant à la définition de la compétence de la Cour lorsqu’elle est saisie sur la base d’une clause compromissoire. Elle rappelle que cette compétence est d’interprétation stricte (A), ce qui la conduit à exclure de son examen toute demande de nature extra-contractuelle (B).
A. Le principe d’interprétation restrictive de la compétence arbitrale de la Cour
Le moyen le plus original de la société cocontractante reposait sur le comportement prétendument diffamatoire d’un agent de la Commission. Pour écarter ce grief, la Cour ne s’est pas prononcée sur le fond, mais a soulevé d’office son incompétence. Elle a rappelé avec une grande clarté sa jurisprudence constante en la matière, en affirmant que « la compétence de la Cour, fondée sur une clause compromissoire, est dérogatoire du droit commun et doit, partant, être interprétée restrictivement ».
Ce principe signifie que les parties, en insérant une telle clause dans leur contrat, ne donnent compétence à la Cour de justice que pour les litiges qui concernent ce contrat spécifique. Cette compétence arbitrale constitue une exception au principe selon lequel les juridictions nationales sont les juges de droit commun des litiges impliquant les institutions européennes dans leurs relations contractuelles de droit privé. Cette nature dérogatoire impose donc une lecture stricte de la volonté des parties et empêche toute extension de la compétence de la Cour au-delà du cadre contractuel expressément visé.
B. L’exclusion des demandes fondées sur un rapport de droit extra-contractuel
Appliquant ce principe aux faits de l’espèce, la Cour constate que la demande en réparation du préjudice moral lié à une prétendue diffamation est irrecevable. Elle relève que les faits allégués, à les supposer établis, « n’avaient aucun rapport avec le contrat, mais portaient sur une demande de subvention pour un projet distinct ». La Cour en déduit que cette demande ne dérive pas du contrat et n’a pas un « rapport direct avec les obligations qui découlent de ce contrat ».
La solution est ici dénuée de toute ambiguïté et pose une frontière nette entre le contentieux contractuel, relevant de la clause compromissoire, et le contentieux de la responsabilité extra-contractuelle, qui doit suivre d’autres voies procédurales. En refusant de connaître d’un litige qui, bien qu’existant entre les mêmes parties, trouve sa source dans des faits étrangers au contrat, la Cour de justice assure la prévisibilité et la sécurité juridique. Elle évite que la clause compromissoire ne devienne une porte d’entrée pour tous les différends, de quelque nature qu’ils soient, pouvant naître entre les cocontractants.