L’arrêt commenté, rendu par la Cour de justice des Communautés européennes, traite de la légalité d’une réforme du statut des fonctionnaires modifiant les modalités de calcul des transferts de rémunération. Des fonctionnaires d’une institution communautaire, affectés en Belgique, ont engagé une action en annulation contre les fiches de paie établies en application de nouvelles réglementations. Celles-ci substituaient les taux de change actualisés aux anciennes parités monétaires, fixes et devenues artificielles, pour la conversion des parts de salaire transférées vers un autre État membre. Cette modification a eu pour effet de renchérir le coût de ces transferts pour les requérants, diminuant ainsi la part restante de leur rémunération.
Après avoir vu leur réclamation administrative rejetée par l’institution employeur, les fonctionnaires ont saisi la Cour. Ils ont soulevé plusieurs moyens, contestant la régularité de la procédure d’adoption des règlements litigieux ainsi que leur bien-fondé sur le plan matériel. Sur le plan formel, ils alléguaient une violation de l’obligation de consultation du Parlement européen, au motif que le texte finalement adopté par le Conseil différait de la proposition initialement soumise à l’avis parlementaire. Sur le fond, ils invoquaient la violation de leurs droits acquis et de leur confiance légitime, un détournement de pouvoir, ainsi qu’une discrimination par rapport aux fonctionnaires retraités, qui bénéficiaient de mesures transitoires spécifiques.
Le problème de droit soumis à la Cour était donc double. Il s’agissait d’une part de déterminer si la modification d’une proposition de règlement après la consultation du Parlement vicie cette formalité substantielle lorsque les changements ne portent pas sur l’essence du texte. D’autre part, la Cour était invitée à préciser si des fonctionnaires peuvent se prévaloir d’un droit acquis au maintien d’un système de calcul avantageux mais économiquement injustifié, et si une différence de traitement entre agents actifs et retraités est constitutive d’une discrimination.
La Cour a rejeté l’ensemble des moyens et, par conséquent, le recours. Elle a considéré que la consultation du Parlement avait été régulière, les amendements apportés au texte initial constituant des changements de méthode plutôt que de fond. Elle a également jugé que les fonctionnaires ne pouvaient invoquer ni droits acquis ni confiance légitime pour exiger le maintien d’un système de taux de change artificiel. Enfin, elle a écarté le grief de discrimination en retenant que la situation des fonctionnaires en activité et celle des retraités n’étaient pas comparables, justifiant ainsi une différence de traitement.
La décision confirme ainsi la portée de l’obligation de consultation parlementaire (I), tout en réaffirmant la marge d’appréciation du législateur communautaire face aux droits des agents (II).
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I. La portée de l’obligation de consultation parlementaire précisée
La Cour, tout en rappelant le caractère substantiel de la formalité de consultation du Parlement européen (A), en adopte une conception pragmatique qui préserve l’efficacité du processus législatif (B).
A. Le rappel du caractère substantiel de la consultation du Parlement
L’arrêt réaffirme avec force le principe selon lequel l’intervention du Parlement dans la procédure législative constitue un élément fondamental de l’équilibre institutionnel. En vertu de l’article 24 du traité de fusion, la modification du statut des fonctionnaires est subordonnée à la consultation de cette institution. La Cour qualifie cette exigence de « formalité substantielle dont le non-respect entrainerait la nullité du règlement en cause ». Cette position de principe vise à garantir que le Parlement puisse exercer une influence effective sur le contenu de la législation communautaire, même dans les domaines où il ne dispose pas d’un pouvoir de codécision.
L’analyse de la Cour souligne que cette consultation ne saurait être une simple formalité vidée de sa substance. Elle doit permettre au Parlement de prendre connaissance de la proposition et d’exprimer son avis en temps utile pour que celui-ci puisse être pris en considération par le Conseil. Le respect de cette exigence est une condition de la légalité de l’acte adopté. La Cour se montre ainsi gardienne des prérogatives parlementaires et de l’équilibre des pouvoirs au sein de l’architecture institutionnelle de la Communauté, conférant à cette formalité une protection juridictionnelle rigoureuse.
B. L’admission d’une modification non substantielle du texte après consultation
Si le principe de la consultation est réaffirmé, la Cour fait preuve de souplesse quant à ses modalités d’application. Elle examine si les divergences entre le texte soumis au Parlement et celui finalement arrêté par le Conseil étaient de nature à altérer la substance de la proposition initiale. En l’espèce, les requérants soutenaient que le remplacement de l’unité de compte européenne (UCE) par des taux de change actualisés constituait une modification fondamentale qui aurait dû imposer une nouvelle consultation.
La Cour écarte cet argument en estimant que ce changement relevait davantage de la technique que du fond. Elle observe que la substitution opérée « a constitué en réalité un changement de méthode plutôt que de fond », dans la mesure où les nouveaux taux reflétaient fidèlement la valeur de l’UCE à la date de référence. De même, l’ajout de dispositions transitoires pour les pensionnés correspondait au souhait exprimé par le Parlement. Par conséquent, une nouvelle consultation n’était pas requise. Cette solution pragmatique évite de paralyser le processus décisionnel en n’imposant une seconde consultation que si les modifications altèrent l’économie générale du texte initialement examiné par les parlementaires.
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II. Le rejet des contestations fondées sur les droits matériels des agents
La Cour écarte les moyens tirés de la violation des droits des fonctionnaires, en niant l’existence d’un droit acquis au maintien d’un avantage indu (A) et en justifiant la différence de traitement établie entre les agents actifs et les retraités (B).
A. Le refus de reconnaître un droit acquis à un système de change artificiel
Les requérants invoquaient la violation de leurs droits acquis et du principe de confiance légitime, arguant qu’ils avaient pris des engagements financiers sur la base du système de change antérieur, plus favorable. La Cour rejette cette argumentation de manière catégorique. Elle rappelle que le système précédent, fondé sur des parités obsolètes, était « susceptible d’entrainer des benefices pour les fonctionnaires affectés dans certains pays, et des pertes injustifiées pour la communauté ». Il ne créait donc pas de droit au maintien d’une situation avantageuse mais économiquement infondée.
La Cour estime que les fonctionnaires ne pouvaient légitimement s’attendre à la pérennisation indéfinie d’un tel système. L’adoption de taux de change réels visait précisément à mettre fin à une anomalie et à garantir une gestion saine des finances communautaires. De même, le moyen tiré du détournement de pouvoir est rapidement écarté. La Cour rappelle que cette notion « se refere au fait pour une autorite administrative d’avoir use de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont ete conferes ». Or, en l’espèce, le Conseil a poursuivi le but légitime d’actualiser les taux de change applicables aux rémunérations.
B. La justification de la différence de traitement entre fonctionnaires actifs et retraités
Enfin, les requérants soulevaient une rupture du principe d’égalité, du fait que des mesures transitoires avaient été prévues pour les pensionnés, mais non pour les fonctionnaires en activité. La Cour répond à ce moyen en s’appuyant sur sa définition classique de la discrimination, laquelle « consiste a traiter de maniere identique des situations qui sont differentes ou de maniere differente des situations qui sont identiques ». Elle en déduit qu’une différence de traitement se justifie si elle répond à une différence de situation objective.
Appliquant ce critère, la Cour juge que « la situation d’un fonctionnaire en service differe sensiblement de celle d’un retraite ». Cette différence de situation objective, non explicitée mais aisément concevable au regard de la nature et du niveau des revenus, suffit à justifier que le législateur communautaire ait réservé aux seuls retraités le bénéfice d’un régime transitoire destiné à atténuer les effets de la réforme. Cette approche permet au législateur de moduler ses interventions en fonction des spécificités de chaque catégorie de personnes concernées, sans pour autant porter atteinte au principe de non-discrimination.