Arrêt de la Cour (première chambre) du 5 avril 1984. – Gustav Schickedanz KG contre Oberfinanzdirektion Frankfurt am Main. – Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof – Allemagne. – Tarif douanier commun – « Chaussures de sport ». – Affaire 298/82.

La Cour de justice des Communautés européennes, saisie sur renvoi préjudiciel par le Bundesfinanzhof par une ordonnance du 19 octobre 1982, a été amenée à se prononcer sur l’interprétation du tarif douanier commun. En l’espèce, une société importatrice avait introduit en Allemagne des chaussures de sport provenant de Chine. L’administration douanière nationale a classé ces marchandises dans la sous-position tarifaire 64.02 B, correspondant aux « chaussures à semelles extérieures en caoutchouc et dessus en matière textile », ce qui entraînait l’application de droits à l’importation de 20 %. La société importatrice a contesté cette classification, soutenant que les chaussures relevaient de la sous-position 64.02 A, visant les « chaussures à dessus en cuir naturel » et soumises à un taux de 8 %. L’opposition de la société importatrice fut rejetée, la conduisant à former un recours devant le Bundesfinanzhof. Cette juridiction, confrontée à la difficulté de déterminer la nature du dessus des chaussures, composé d’une base textile sur laquelle étaient apposées d’importantes pièces de cuir recouvrant environ 70 % de la surface, a sursis à statuer. Elle a alors posé à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles. Il s’agissait de déterminer si des chaussures de sport, dont la partie supérieure est constituée d’une matière textile recouverte en grande partie par des pièces de cuir plus onéreuses et essentielles à l’usage du produit, doivent être classées en fonction de la matière textile de base ou des pièces de cuir ajoutées. En d’autres termes, quel critère fallait-il retenir pour déterminer la matière qui confère à un produit composite son caractère essentiel au sens de la réglementation douanière ? La Cour de justice a jugé que de telles chaussures devaient être classées dans la sous-position 64.02 B du tarif douanier commun, retenant ainsi la matière textile comme constitutive du caractère essentiel du dessus. La solution, fondée sur une interprétation stricte de la notion de « caractère essentiel » (I), établit un principe de classification objectif dont la portée dépasse le cas d’espèce (II).

I. LA DÉTERMINATION DU CARACTÈRE ESSENTIEL PAR LE MATÉRIAU DE BASE

La Cour de justice, pour résoudre le conflit de classement, a appliqué la règle générale d’interprétation de la nomenclature tarifaire en se concentrant sur la matière constitutive du dessus (A), tout en écartant explicitement les critères alternatifs liés à la fonction ou à la valeur économique des composants (B).

A. L’application du critère de la matière constitutive du dessus

Le litige portait sur des ouvrages composés de matières différentes, pour lesquels la règle générale d’interprétation 3 b) du tarif douanier commun prévoit un classement « d’après la matière ou l’article qui leur confère leur caractère essentiel ». L’enjeu était de savoir si le dessus de la chaussure tirait son caractère essentiel du textile formant sa structure de base, ou des pièces de cuir qui y étaient rattachées. La Cour a tranché en faveur de la première approche, considérant que la nature fondamentale du dessus était définie par son matériau premier.

La Cour estime que « c’est la matière textile qui confère au dessus son caractère essentiel ». Ce faisant, elle opère une distinction claire entre la structure même du dessus et les éléments qui y sont ajoutés. Bien que les pièces de cuir recouvrent une part majoritaire de la surface visible et soient solidement fixées, elles ne constituent pas la couche première et intégrale de la tige. Elles sont décrites comme des pièces « rattachées par des jointures », ce qui les positionne comme des ajouts à une structure préexistante. C’est donc la nature de cette structure de base, entièrement faite de textile, qui doit déterminer le classement de la marchandise.

B. Le rejet des critères fonctionnel et économique

L’argumentation de la société importatrice et de la juridiction de renvoi mettait en avant deux autres éléments pour caractériser le dessus : la valeur supérieure des pièces de cuir et leur importance pour l’utilisation des chaussures. La Cour a méthodiquement écarté ces deux critères. D’une part, elle énonce que « la valeur intrinsèque des pièces de cuir par rapport a la matière textile ne suffit pas pour constater que c’est le cuir qui confere son caractere essentiel au dessus ». Le critère économique est ainsi jugé non pertinent pour apprécier la nature essentielle d’un composant dans un produit mixte.

D’autre part, la Cour répond à l’argument selon lequel les pièces de cuir sont capitales pour l’usage sportif des chaussures en leur apportant protection et appui. Elle affirme que « la marchandise en cause doit etre classee en fonction de la matiere qui confere au dessus son caractere essentiel, et non pas en fonction de L ‘usage auquel elle est destinee ». Cette dissociation entre la classification matérielle du produit et sa finalité fonctionnelle est déterminante. L’analyse douanière doit rester focalisée sur les caractéristiques physiques et constitutives de la marchandise, et non sur son utilité ou sa performance.

II. LA PORTÉE D’UNE INTERPRÉTATION OBJECTIVE DE LA NOMENCLATURE TARIFAIRE

En privilégiant une approche matérielle stricte, la Cour de justice consacre une méthode de classement qui se veut prévisible et uniforme (A). Cette décision de principe va au-delà du cas des chaussures et affirme une ligne directrice pour la classification de nombreux produits composites (B).

A. La consécration d’une méthode de classement prévisible

La solution retenue par la Cour présente l’avantage de la clarté et de la sécurité juridique. En refusant de prendre en compte des critères subjectifs comme l’importance fonctionnelle ou fluctuants comme la valeur économique, elle établit une méthode de classement plus objective. Un classement fondé sur la fonction d’un composant ouvrirait la porte à des débats complexes et potentiellement interminables lors des contrôles douaniers. De même, un critère fondé sur la valeur relative des matériaux nécessiterait des calculs économiques qui alourdiraient et rendraient incertain le processus de dédouanement.

Le choix de se référer à la matière qui constitue la base structurelle du produit offre aux opérateurs économiques et aux administrations douanières un critère tangible et facilement vérifiable. Cette approche garantit une application plus uniforme du tarif douanier commun sur l’ensemble du territoire de l’Union, évitant que des marchandises identiques soient classées différemment selon l’appréciation d’un agent ou d’une administration nationale. La prévisibilité du classement tarifaire est ainsi renforcée, ce qui constitue un objectif majeur du droit douanier.

B. L’affirmation d’un principe de classification pour les produits composites

Bien que rendue à propos de chaussures de sport, la portée de cette décision est bien plus large. Elle établit une jurisprudence pour l’interprétation de la notion de « caractère essentiel » pour tous les produits composites où un matériau de base est recouvert, renforcé ou décoré par un autre. Le raisonnement de la Cour est transposable à des articles de maroquinerie, des vêtements ou d’autres biens de consommation mêlant plusieurs matières.

L’arrêt affirme un principe directeur : lorsqu’un produit est constitué d’une structure fondamentale et d’éléments additionnels, c’est la matière de la structure fondamentale qui lui confère son caractère essentiel. Les ajouts, même s’ils sont importants en surface, en valeur ou en fonction, ne modifient pas la nature première de l’objet aux fins de la classification douanière. Cette décision consolide une vision matérialiste et structurelle de la nomenclature tarifaire, la protégeant contre des interprétations finalistes ou économiques qui pourraient en compromettre la cohérence.

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