Arrêt de la Cour (première chambre) du 6 février 1986. – Androniki Vlachou contre Cour des comptes des Communautés européennes. – Fonctionnaires – Annulation d’une décision d’un jury de concours. – Affaire 143/84.

Par un arrêt rendu dans l’affaire 143/84, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en sa première chambre, s’est prononcée sur la légalité d’une procédure de concours interne et de la nomination subséquente d’un fonctionnaire. En l’espèce, une candidate à un concours interne sur titres et épreuves, organisé pour pourvoir un poste de réviseur-traducteur principal, a contesté la nomination d’un autre candidat, lauréat de ce concours. La requérante estimait que la procédure était entachée de plusieurs irrégularités, notamment dans l’évaluation de son expérience professionnelle par le jury.

La procédure contentieuse a débuté après que l’autorité investie du pouvoir de nomination a rejeté la réclamation de la candidate évincée. Saisie d’un recours en annulation, la Cour de justice a dû faire face à une exception d’irrecevabilité soulevée par l’institution défenderesse. Celle-ci soutenait que la requérante aurait dû contester directement les actes du jury, et en particulier la liste d’aptitude, dans les délais impartis, et qu’elle était donc forclose à attaquer la décision finale de nomination.

Le problème de droit soulevé devant la Cour était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si la décision d’un jury de concours établissant une liste d’aptitude constitue un acte préparatoire dont l’illégalité ne peut être soulevée qu’à l’occasion d’un recours contre la décision de nomination qu’elle prépare. Ensuite, la Cour devait examiner si un jury de concours viole le principe d’égalité de traitement en fixant les critères de cotation de l’expérience professionnelle des candidats après avoir pris connaissance de leurs dossiers respectifs, et si une telle méthode peut aboutir à une évaluation inéquitable.

La Cour de justice a déclaré le recours recevable, affirmant que la liste d’aptitude constitue bien un acte préparatoire. Sur le fond, elle a annulé la décision de nomination contestée. Elle a jugé que le jury, en établissant des critères de notation après avoir examiné les titres des candidats d’une manière qui a objectivement sous-évalué l’expérience de l’un d’eux, avait violé le principe général d’égalité de traitement entre les participants à un concours.

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**I. La clarification de la nature juridique de la liste d’aptitude**

La Cour, avant de se prononcer sur le fond, a dû trancher la question procédurale de la nature de la liste d’aptitude, la qualifiant d’acte préparatoire (A), ce qui a déterminé la recevabilité du recours contre la seule décision finale de nomination (B).

**A. La qualification d’acte préparatoire**

La Cour rappelle que la décision par laquelle un jury établit une liste d’aptitude à l’issue d’un concours ne constitue pas l’acte final de la procédure de recrutement. Elle est une étape intermédiaire, destinée à éclairer le choix de l’autorité investie du pouvoir de nomination. Cet acte ne cause pas, par lui-même, un grief direct et certain au candidat qui n’y figure pas ou qui y est classé dans un ordre qu’il estime défavorable.

L’argument principal pour cette qualification réside dans la marge d’appréciation que conserve l’autorité de nomination. La Cour précise que cette autorité n’est pas absolument liée par le classement opéré par le jury. En effet, « si L ‘ aipn est , en regle generale , tenue de respecter L ‘ ordre de priorite decoulant de la liste D ‘ aptitude , elle peut neanmoins S ‘ en ecarter , a condition de justifier D ‘ une maniere claire et complete cette decision ». Cette possibilité de dérogation, bien qu’exceptionnelle et soumise à une obligation de motivation rigoureuse, démontre que la liste du jury ne scelle pas de manière irrévocable le sort des candidats et conserve son caractère préparatoire.

**B. La recevabilité conséquente du recours dirigé contre la décision de nomination**

La qualification d’acte préparatoire emporte une conséquence directe sur les voies de recours. L’illégalité d’un tel acte ne peut être invoquée que dans le cadre d’un recours dirigé contre la décision finale qu’il a préparée. En l’occurrence, la décision finale causant grief est la nomination du candidat retenu. C’est seulement à ce stade que le droit du candidat évincé est définitivement lésé, rendant son intérêt à agir certain.

En déclarant le recours recevable, la Cour confirme une solution classique du contentieux de la fonction publique, garantissant un équilibre entre la bonne administration et le droit à un recours effectif. Exiger des candidats qu’ils attaquent chaque étape intermédiaire d’une procédure complexe paralyserait le fonctionnement des institutions et multiplierait les litiges prématurés. La solution retenue permet de purger l’ensemble des vices de la procédure en une seule fois, lors de la contestation de l’acte qui en constitue l’aboutissement.

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**II. La sanction de la rupture du principe d’égalité de traitement des candidats**

Sur le fond, la Cour examine le comportement du jury et sanctionne une violation manifeste du principe d’égalité. Tout en reconnaissant le pouvoir discrétionnaire du jury dans la fixation des critères (A), elle en censure l’usage lorsque celui-ci intervient après la prise de connaissance des dossiers des candidats (B).

**A. Le pouvoir d’appréciation du jury dans la définition des critères d’évaluation**

La Cour commence par reconnaître un principe fondamental dans le déroulement des concours : le jury dispose d’une large autonomie pour déterminer comment il entend évaluer les mérites des candidats. Cette prérogative est indispensable pour lui permettre d’apprécier la pertinence des titres et de l’expérience au regard des exigences spécifiques de l’emploi à pourvoir.

L’arrêt souligne qu’« il appartient en effet au jury de definir les criteres de cotation des titres , a raison de L ‘ importance qu ‘ il reconnait a ces titres par rapport aux exigences de L ‘ emploi a pourvoir , sur la base D ‘ une appreciation qui est necessairement discretionnaire ». En principe, le choix de valoriser davantage l’expérience acquise au sein des institutions communautaires par rapport à une expérience externe ne serait donc pas, en soi, critiquable, car il relève de cette appréciation souveraine.

**B. La censure de la fixation des critères postérieurement à la prise de connaissance des dossiers**

Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas sans limites. La Cour identifie une limite temporelle et procédurale cruciale : les règles du jeu doivent être fixées avant que le jury n’ait connaissance des forces et faiblesses des joueurs. En l’espèce, le jury a d’abord examiné les dossiers pour vérifier la recevabilité des candidatures, puis a défini le barème de points pour l’expérience professionnelle.

Cette chronologie est jugée fatale à la légalité de la procédure. La Cour constate que les critères ont été établis d’une manière qui a eu pour conséquence objective de neutraliser une partie importante de la longue expérience externe de la requérante, tout en valorisant pleinement l’expérience plus courte de l’autre candidat. La Cour conclut qu’« en fixant , apres avoir pris connaissance des titres des candidats , un systeme de repartition des points attribuables a L ‘ experience professionnelle de nature a entrainer objectivement une sous-evaluation de certains titres produits par L ‘ un des candidats , le jury a viole le principe general de L ‘ egalite de traitement entre les participants a un concours ». Cette illégalité entachant les opérations du jury se répercute nécessairement sur la liste d’aptitude et, par conséquent, sur la décision de nomination qui en est issue, justifiant ainsi son annulation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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