Arrêt de la Cour (première chambre) du 7 février 1980. – Tito Mencarelli contre Commission des Communautés européennes. – Frais de scolarité. – Affaire 43-79.

Par un arrêt rendu dans l’affaire 43/79, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à interpréter la notion de « frais effectifs de scolarité » au sens de l’article 3 de l’annexe VII du statut des fonctionnaires. En l’espèce, un fonctionnaire affecté à l’établissement de Geel du Centre commun de recherche avait dû scolariser sa fille dans un institut à Bruxelles, suite à une recommandation pédagogique de l’école qu’elle fréquentait précédemment. Cette nouvelle scolarisation entraînait des frais d’internat et de nourriture que le fonctionnaire a cherché à se faire rembourser au titre de l’allocation scolaire.

La procédure a débuté par une demande de l’agent visant à bénéficier du double plafond de l’allocation scolaire, en raison de l’éloignement de son lieu d’affectation d’un établissement scolaire adapté. Après un avis initialement favorable de la direction générale du personnel, l’administration locale a opposé un refus partiel, n’acceptant de rembourser que les frais de transport et non ceux d’internat et de nourriture. Le fonctionnaire a alors introduit une réclamation qui, restée sans réponse, a fait l’objet d’une décision implicite de rejet. C’est dans ce contexte que la Cour a été saisie. Il s’agissait donc de déterminer si les frais d’hébergement et de nourriture, rendus nécessaires par la scolarisation d’un enfant dans un établissement éloigné pour des raisons pédagogiques impérieuses, peuvent être qualifiés de « frais effectifs de scolarité » et, à ce titre, ouvrir droit au remboursement dans le cadre de l’allocation scolaire.

La Cour de justice a répondu positivement en ce qui concerne les frais d’hébergement, tout en excluant les frais de nourriture. Elle a considéré que les frais de logement s’ajoutaient aux charges normales d’une famille, contrairement aux dépenses alimentaires qui restent dues quel que soit le lieu de restauration de l’enfant. Cette solution pragmatique repose sur une interprétation extensive de la notion de frais de scolarité, justifiée par la finalité même de l’allocation (I), et consacre une approche équitable et téléologique des droits sociaux des fonctionnaires, dont la portée dépasse le cas d’espèce (II).

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I. L’interprétation extensive de la notion de frais de scolarité

La Cour opère une distinction claire entre les différents types de frais engagés, admettant une conception large des dépenses liées à la scolarité pour l’hébergement (A), mais la tempérant par une exclusion logique des frais de nourriture (B).

A. L’inclusion des frais d’hébergement dans les charges scolaires

La Commission soutenait que la liste des frais remboursables, définie par les dispositions générales d’exécution, était limitative et n’incluait ni l’hébergement ni la nourriture. Elle avançait que de telles dépenses n’étaient pas directement « relatifs à l’accomplissement du programme scolaire ». La Cour écarte cette lecture restrictive en se fondant sur la nature même des frais d’hébergement. Elle juge que « les frais d’hébergement dans un tel établissement s’ajoutent aux dépenses normalement supportées par le chef de famille ».

Ce faisant, les juges reconnaissent que lorsque l’éloignement du lieu d’affectation contraint un fonctionnaire à loger son enfant en internat, le surcoût qui en résulte est une conséquence directe et inévitable de l’obligation scolaire. Il ne s’agit plus d’une simple commodité, mais d’une condition nécessaire à la poursuite d’une scolarité adaptée. L’hébergement devient ainsi un accessoire indispensable à la scolarisation, justifiant son assimilation à des « frais effectifs de scolarité ». Cette solution met en lumière le lien de causalité entre la contrainte de service du parent et les charges financières exceptionnelles qui en découlent pour l’éducation de l’enfant.

B. L’exclusion maintenue des frais de nourriture

Parallèlement à cette extension, la Cour prend soin de borner sa solution en maintenant les frais de nourriture en dehors du champ des dépenses remboursables. Le raisonnement est fondé sur une analyse des charges familiales courantes. La Cour énonce qu’« autant il est vrai que les dépenses de nourriture doivent être supportées par le chef de famille, que l’enfant prenne ses repas dans l’établissement où il est scolarisé ou à la maison ».

Cette distinction est pertinente car les frais alimentaires ne constituent pas une charge additionnelle spécifiquement liée à la scolarisation en internat. Qu’il soit au domicile familial ou au sein de l’établissement, l’enfant doit être nourri et cette dépense incombe naturellement à ses parents. La prise en charge de ces frais par l’allocation scolaire reviendrait à soulager la famille d’une charge qui lui est inhérente, ce qui dépasserait l’objet de l’allocation. En dissociant hébergement et nourriture, la Cour évite une extension excessive de la notion de frais de scolarité et préserve l’équilibre du système, qui vise à compenser un surcoût et non à couvrir les dépenses ordinaires de la vie familiale.

II. La consécration d’une approche finaliste et équitable du statut

Au-delà de la clarification technique, cette décision révèle une méthode d’interprétation qui privilégie la finalité du texte sur sa lettre (A), conférant à la solution une portée de principe pour l’application des droits sociaux (B).

A. Le rejet d’une application littérale au profit de l’objectif du texte

La position de la Commission reposait sur une lecture stricte des dispositions générales d’exécution, qui ne mentionnaient pas expressément les frais d’internat. La Cour de justice, en jugeant différemment, affirme la primauté de l’objectif poursuivi par l’article 3 de l’annexe VII du statut. Le doublement du plafond de l’allocation scolaire a pour but de garantir que les enfants de fonctionnaires affectés dans des lieux isolés ne soient pas pénalisés dans leur parcours éducatif. Il vise à assurer une égalité de traitement en neutralisant les obstacles financiers liés à l’éloignement géographique.

En refusant de s’en tenir à une liste jugée implicitement non exhaustive, la Cour adopte une interprétation téléologique. Elle considère que tout frais rendant possible la scolarisation dans des conditions imposées par des nécessités pédagogiques doit être pris en compte, dès lors qu’il représente une charge anormale pour la famille. Cette approche pragmatique garantit l’effet utile de la disposition statutaire. Elle empêche que le droit au double plafond, reconnu en l’espèce par la Commission elle-même, ne soit vidé de sa substance par une définition trop étroite des frais éligibles.

B. La portée de la solution : un principe applicable aux situations similaires

Bien que rendue au sujet d’une situation individuelle, la décision dégage un principe généralisable. La Cour établit un critère fonctionnel pour définir les « frais effectifs de scolarité » : toute dépense additionnelle, qui n’aurait pas été engagée si la scolarisation avait pu se faire à proximité du domicile familial, et qui est indispensable à cette scolarisation, doit être considérée comme telle.

La portée de cet arrêt est donc significative. Il offre une grille de lecture pour l’ensemble des fonctionnaires se trouvant dans une situation analogue. La solution n’est pas limitée aux seuls frais d’hébergement, mais pourrait s’étendre à d’autres types de dépenses atypiques, pourvu qu’elles répondent au même critère de nécessité et de surcoût directement imputable à la contrainte de scolarisation à distance. Cet arrêt renforce ainsi la protection sociale des fonctionnaires et de leur famille, en assurant que les contraintes liées à leur mobilité professionnelle ne se traduisent pas par une inégalité des chances en matière d’éducation pour leurs enfants. Il s’agit donc moins d’un arrêt d’espèce que d’un arrêt de principe clarifiant durablement le régime de l’allocation scolaire.

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Hassan KOHEN
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