Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel de la High Court of Justice de Londres en date du 22 juillet 1981, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’interprétation du tarif douanier commun et plus particulièrement sur le classement tarifaire d’un produit composite.
En l’espèce, des sociétés importatrices commercialisaient un produit dénommé « corian », fabriqué à l’imitation du marbre et constitué en poids d’environ 66 % d’hydroxyde d’aluminium et 33 % de méthacrylate de polyméthyle. Les autorités douanières du Royaume-Uni ont classé ce produit dans les sous-positions tarifaires relatives aux matières plastiques et ouvrages en ces matières. Les sociétés importatrices contestaient cette classification, soutenant que le produit devait être qualifié de « pierre artificielle » et relever de la position correspondante. Saisie du litige, la juridiction nationale a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation des positions tarifaires pertinentes du tarif douanier commun afin de déterminer le classement adéquat du produit litigieux.
La question posée à la Cour était donc de savoir si un produit composite, constitué d’une charge minérale et d’une matière plastique artificielle, devait être classé selon sa composition chimique en tant que matière plastique ou selon son apparence et sa destination en tant que pierre artificielle d’imitation.
La Cour de justice répond que le produit en cause doit être classé dans les sous-positions relatives aux polymères et ouvrages en ces matières. Elle juge que les dispositions du tarif douanier commun doivent être interprétées en ce sens que ce produit « relève de la sous-position 39.02 C xii du TDC lorsqu’il est importé sous forme de plaques, et de la sous-position 39.07 B V D) lorsqu’il est importé sous la forme d’ouvrages fabriqués à partir de ce produit, et ne doit être classé sous aucune autre position du TDC ».
La solution retenue par la Cour repose sur une application rigoureuse des règles d’interprétation du tarif douanier commun (I), consacrant ainsi la prévalence du critère de la composition matérielle sur l’apparence du produit (II).
***
**I. L’application rigoureuse des règles de classement du tarif douanier commun**
Pour déterminer la position tarifaire du produit composite, la Cour de justice procède à une analyse méthodique en écartant les positions jugées inadéquates (A) avant de retenir, par déduction, celle qui correspond à l’un des composants essentiels du produit (B).
**A. L’exclusion méthodique des positions tarifaires alternatives**
Le raisonnement de la Cour s’attache d’abord à examiner et réfuter les classifications alternatives, notamment celle de « pierre artificielle » proposée par les sociétés importatrices. Pour ce faire, elle se réfère aux notes explicatives du Conseil de coopération douanière, lesquelles, bien que dépourvues de force obligatoire, constituent un instrument pertinent pour l’interprétation du tarif. Ces notes précisent que la pierre artificielle implique l’utilisation de pierre naturelle. La Cour souligne que selon ces notes, « sous le nom de pierre artificielle on désigne des imitations de pierre naturelle obtenues en particulier en agglomérant à l’aide de ciment, de chaux ou d’autres liants, tels que les matières plastiques artificielles, des fragments, des granules ou de la poudre de pierre naturelle ».
Face à l’argument des requérantes selon lequel l’adverbe « en particulier » autoriserait des exceptions, la Cour adopte une lecture stricte. Elle juge que cet adverbe ne modifie que le procédé de fabrication et non la nature des composants, rendant ainsi la présence de pierre naturelle indispensable à la qualification de pierre artificielle. L’absence de pierre naturelle dans la composition du produit litigieux suffit donc à écarter définitivement la position 68.11. De même, la Cour écarte les positions relatives aux minerais ou aux composés chimiques en raison des transformations subies par l’hydroxyde d’aluminium, qui ne permettent plus de le considérer comme un produit relevant de ces chapitres.
**B. L’application subséquente du chapitre relatif aux matières plastiques**
Une fois les autres classifications possibles invalidées, la Cour applique la règle générale 2 b) pour l’interprétation de la nomenclature, qui dispose que « toute mention d’une matière dans une position déterminée du tarif se rapporte à cette matière soit à l’état pur, soit mélangée ou bien associée à d’autres matières ». Le produit étant composé pour un tiers de méthacrylate de polyméthyle, une matière plastique relevant explicitement du chapitre 39, il peut être classé sous les sous-positions de ce chapitre.
Cette démarche démontre une application logique et séquentielle des règles de classement : l’analyse des composants du produit mixte conduit à identifier une matière spécifiquement visée par une position du tarif. En l’absence d’autre position plus pertinente ou spécifique, c’est cette position qui doit prévaloir. La nature de polymère du liant devient ainsi le critère déterminant pour le classement de l’ensemble du produit, indépendamment de la proportion majoritaire de la charge minérale.
***
**II. La consécration du critère de la composition sur l’apparence du produit fini**
Au-delà de l’application technique des règles, la décision de la Cour établit la supériorité de la position la plus spécifique (A) et affirme, en conséquence, la portée limitée de la notion d’imitation en droit douanier (B).
**A. L’affirmation de la prévalence de la position la plus spécifique**
À titre subsidiaire, la Cour envisage l’hypothèse où le produit pourrait, prima facie, relever à la fois de la position de la pierre artificielle et de celle des matières plastiques. Dans ce cas de concours de classifications, elle se tourne vers la règle générale 3 a), qui énonce que « la position la plus spécifique doit avoir la priorité sur les positions d’une portée plus générale ».
La Cour estime que la position 68.11, si elle devait inclure toute imitation de pierre, aurait « une portée beaucoup plus générale que celle des sous-positions 39.02 C xii et 39.07 B V D) ». En effet, ces dernières désignent spécifiquement des polymères de constitution chimique précise, alors que la notion de pierre artificielle, interprétée largement, couvrirait une gamme indéfinie de produits composites. Ce raisonnement confirme que le tarif douanier privilégie une classification fondée sur des critères objectifs et scientifiques, tels que la nature chimique d’un composant, plutôt que sur des appréciations subjectives liées à l’aspect ou à l’usage. La spécificité l’emporte sur la généralité.
**B. La portée limitée de la notion d’imitation en droit douanier**
En conséquence, la décision de la Cour de justice réduit considérablement l’importance de l’apparence ou de la destination d’un produit dans le processus de classement tarifaire. Le fait que le produit soit conçu pour imiter le marbre et soit utilisé comme tel est jugé inopérant face à sa composition matérielle. Le droit douanier se révèle être une technique qui s’attache à la nature intrinsèque des marchandises plutôt qu’à leur perception commerciale ou à leur finalité.
La portée de cet arrêt est significative pour le classement de nombreux produits composites. Il établit une méthode claire : lorsque qu’un produit est un mélange, il convient d’abord d’identifier si l’un de ses composants correspond à une position spécifique du tarif. Si tel est le cas, et en l’absence d’une autre position plus spécifique encore, c’est cette position qui doit être retenue, même si le composant en question n’est pas majoritaire en poids ou si l’aspect final du produit le rapproche d’une autre catégorie de biens. La sécurité juridique et l’uniformité du classement tarifaire au sein de la Communauté sont ainsi assurées par la prévalence de critères objectifs et vérifiables.