Par un arrêt en manquement, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à clarifier le cadre temporel de son contrôle dans le cadre d’un recours intenté par la Commission pour non-transposition d’une directive. En l’espèce, une directive relative au financement des inspections et contrôles vétérinaires imposait aux États membres plusieurs échéances pour l’adoption de mesures nationales. Un État membre n’ayant pas communiqué les dispositions prises, la Commission a engagé une procédure en manquement conformément à l’article 169 du traité CE. Après un premier échange, la Commission a émis un avis motivé, accordant à l’État un délai de deux mois pour se conformer à ses obligations. Ce délai étant expiré sans que l’État ait adopté les mesures requises, la Commission a saisi la Cour de justice. Postérieurement à l’introduction du recours, et même après la clôture de la procédure écrite, l’État défendeur a finalement transposé la directive par un décret-loi. Se posait alors la question de savoir à quel moment précis l’existence d’un manquement doit être appréciée par la Cour. La haute juridiction a affirmé que « l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour ». Par conséquent, elle a constaté le manquement pour les obligations dont le terme était échu à cette date, tout en rejetant le recours pour une partie des dispositions dont le délai de transposition, prévu par la directive elle-même, n’était pas encore arrivé à expiration.
Cette décision rappelle avec force le principe de la cristallisation du manquement à l’expiration du délai de l’avis motivé (I), principe dont l’application rigoureuse conduit à une appréciation différenciée des obligations de l’État membre (II).
I. La cristallisation du manquement à l’expiration du délai de l’avis motivé
La solution de la Cour repose sur une conception stricte du contentieux en manquement, qui fige l’objet du litige à un moment précis (A), rendant ainsi inopérante toute régularisation ultérieure par l’État défaillant (B).
A. Le rôle structurant de la phase précontentieuse
La procédure en manquement prévue par le traité est organisée en deux phases distinctes. La phase précontentieuse, initiée par la Commission, vise à permettre à l’État membre de régulariser sa situation et d’éviter le recours juridictionnel. L’avis motivé constitue le point d’orgue de cette étape, en définissant de manière formelle les griefs de la Commission et en fixant un ultime délai à l’État pour se conformer au droit de l’Union. En affirmant que le manquement doit s’apprécier à l’expiration de ce délai, la Cour confère à cet acte une portée fondamentale. Il ne s’agit pas d’une simple formalité procédurale, mais du moment qui arrête définitivement la situation de fait et de droit sur laquelle le juge de l’Union se prononcera. Cette approche garantit la sécurité juridique et préserve les droits de la défense de l’État, qui connaît alors avec précision le périmètre du litige.
B. Le rejet judiciaire de la prise en compte du repentir tardif
En refusant de tenir compte des « changements intervenus par la suite », la Cour réaffirme que son office n’est pas de constater si un État est en conformité avec le droit de l’Union au jour où elle statue, mais bien de juger si un manquement a existé à la date butoir fixée par l’avis motivé. Une solution contraire viderait la procédure précontentieuse de sa substance et encouragerait les États membres à retarder la transposition des directives, sachant qu’ils pourraient échapper à une condamnation en régularisant leur situation in extremis. La position de la Cour est donc essentielle pour garantir l’effectivité du droit de l’Union et le caractère contraignant des obligations qui pèsent sur les États. La régularisation tardive pourra tout au plus éviter à l’État une éventuelle procédure en manquement sur manquement ou le prononcé d’astreintes, mais elle ne saurait effacer la violation initiale du droit de l’Union.
La rigueur de ce principe temporel n’exclut cependant pas une analyse détaillée des obligations en cause, conduisant la Cour à une solution nuancée dans son dispositif.
II. L’application différenciée du principe temporel aux obligations de transposition
L’application de la règle de la cristallisation aboutit logiquement à une condamnation pour les manquements avérés au terme du délai (A), mais également à un rejet partiel du recours lorsque l’obligation n’était pas encore exigible à cette date (B).
A. La condamnation inéluctable pour les délais de transposition expirés
Dans la présente affaire, la directive prévoyait plusieurs échéances de transposition. Pour la majorité des dispositions, ces délais, fixés au 1er juillet 1996 et au 1er janvier et 1er juillet 1997, étaient largement dépassés à la date d’expiration de l’avis motivé, en octobre 1998. La Cour ne pouvait donc que constater le manquement. Le fait que l’État ait, dans sa défense, fait état de l’approbation imminente d’un projet de loi ou qu’il ait finalement communiqué le texte de transposition après l’introduction du recours est sans pertinence. Ces éléments confirment au contraire que, à la date critique, l’État n’avait pas rempli ses obligations. La condamnation prononcée pour cette partie des griefs illustre le caractère objectif du recours en manquement, qui est déclenché par la seule constatation d’une violation du droit de l’Union, indépendamment des intentions ou des difficultés internes de l’État membre.
B. Le rejet nécessaire du recours pour les délais non encore échus
La Cour fait cependant preuve d’une grande précision dans son analyse. Elle relève qu’une partie des dispositions de la directive bénéficiait d’un délai de transposition supplémentaire, courant jusqu’au 1er juillet 1999. Or, le délai fixé par l’avis motivé a expiré en octobre 1998, soit bien avant cette échéance. À cette date, l’État membre ne pouvait donc pas être considéré comme étant en manquement pour ce qui est de ces dispositions spécifiques. La Commission a ainsi agi prématurément sur ce point. En rejetant le recours pour le surplus, la Cour montre que le principe de la cristallisation du litige n’est pas une arme unilatérale au service de la Commission, mais un critère objectif qui s’applique avec la même rigueur à l’appréciation de l’ensemble des obligations en cause, protégeant l’État membre contre des accusations anticipées.