Par une décision du 22 mars 2001, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie par la Commission, a examiné un recours en manquement à l’encontre d’un État membre. La Commission reprochait à cet État de ne pas avoir entièrement transposé dans son ordre juridique interne une directive de 1996 relative au financement des inspections et contrôles vétérinaires. Cette directive fixait plusieurs échéances de transposition, s’étalant du 1er juillet 1996 au 1er juillet 1999 pour certaines dispositions spécifiques.
Les faits à l’origine du litige sont relatifs à l’absence de communication par l’État membre de l’ensemble des mesures nationales nécessaires à la mise en œuvre de la directive dans les délais impartis. Après une mise en demeure restée partiellement sans effet, la Commission a émis un avis motivé le 7 août 1998, invitant l’État à se conformer à ses obligations. Constatant que la transposition demeurait incomplète, la Commission a introduit un recours devant la Cour le 24 août 1999. Devant la Cour, l’État membre mis en cause ne contestait pas le défaut partiel de transposition. Il soutenait cependant que ce retard était justifié par le caractère « peu claire, voire contradictoire » de nombreuses dispositions de la directive.
La question de droit posée à la Cour était donc double. D’une part, il s’agissait de déterminer si un État membre peut se prévaloir de la complexité ou des ambiguïtés d’une directive pour justifier un manquement à son obligation de transposition dans les délais prescrits. D’autre part, la Cour devait examiner si le manquement pouvait être constaté pour des obligations dont le délai de transposition n’était pas encore échu au moment de l’émission de l’avis motivé.
La Cour de justice répond à la première question par la négative, en affirmant qu’un État ne peut invoquer des difficultés d’interprétation pour s’affranchir de ses obligations. Elle constate en conséquence le manquement de l’État pour les dispositions dont le délai de transposition était expiré. Cependant, elle rejette le recours de la Commission pour la partie de la directive dont le délai n’était pas encore échu lors de l’avis motivé, délimitant ainsi strictement le champ du manquement.
Cette décision réaffirme avec force l’orthodoxie communautaire en matière d’obligation de transposition (I), tout en rappelant les limites procédurales qui encadrent l’action en manquement (II).
I. La consécration d’un manquement d’État à l’obligation de transposition
La Cour adopte une position classique et rigoureuse en rappelant le caractère fondamental de l’obligation de transposition (A) et en écartant les justifications avancées par l’État membre pour son inaction (B).
A. Le rappel d’une obligation inconditionnelle et générale
La transposition des directives constitue une obligation essentielle pour les États membres, découlant directement du traité instituant la Communauté européenne. Elle vise à garantir l’application effective et uniforme du droit communautaire sur l’ensemble du territoire de l’Union, assurant ainsi la sécurité juridique pour les justiciables. En l’espèce, la Cour ne fait que réitérer une jurisprudence constante selon laquelle la mise en œuvre des directives doit être complète, correcte et réalisée dans les délais impartis par le législateur communautaire.
Le manquement est ici matériellement simple à établir, puisque l’État membre ne contestait pas lui-même le caractère incomplet de la transposition. La charge de la preuve pesant sur la Commission s’en trouvait allégée, le débat se déplaçant non sur l’existence du manquement mais sur sa justification éventuelle. Le rappel par la Cour de la nature de cette obligation fondamentale prépare logiquement le rejet des arguments présentés en défense par l’État.
B. Le rejet de l’argument tiré de la complexité de la norme
Face à son manquement avéré, l’État membre invoquait les difficultés d’interprétation de la directive. La Cour balaye cet argument de manière péremptoire, se référant aux conclusions de son avocat général. Elle juge en effet qu’« un État membre ne saurait invoquer des difficultés liées à l’interprétation d’une directive pour en différer la transposition au-delà des délais prévus ». Cette solution est parfaitement établie et nécessaire à la préservation de l’ordre juridique communautaire.
Admettre une telle justification reviendrait à permettre aux États de se faire juges de la clarté et de la pertinence des actes communautaires, ouvrant la voie à une application à la carte du droit de l’Union. Des mécanismes existent pour surmonter de telles difficultés, notamment par le biais de consultations avec la Commission ou, en cas de litige, par le mécanisme du renvoi préjudiciel en interprétation. En l’absence de recours à ces procédures, l’État ne peut se prévaloir de sa propre incertitude pour justifier son inertie. La Cour réaffirme ainsi que les difficultés internes, qu’elles soient d’ordre juridique ou administratif, ne sauraient excuser un manquement.
Si le principe du manquement est ainsi fermement établi, la Cour en circonscrit toutefois la portée avec une rigueur procédurale notable, conduisant à un accueil seulement partiel du recours de la Commission.
II. La portée délimitée de la constatation du manquement
La décision illustre l’importance du cadre temporel de l’obligation (A) et le rôle structurant de la phase précontentieuse dans la définition de l’objet du litige (B).
A. L’appréciation stricte du manquement au regard des délais de transposition
La Cour ne se contente pas de constater le manquement de manière globale ; elle l’examine au regard de chaque délai de transposition prévu par la directive. Le recours de la Commission est ainsi rejeté « en tant qu’il porte également sur l’absence d’adoption par lesdites autorités des mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions visées à l’article 4, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 96/43 ». Cette disposition accordait un délai supplémentaire expirant le 1er juillet 1999.
Or, l’avis motivé, acte fixant l’objet du litige, avait été adressé à l’État membre le 7 août 1998. À cette date, le délai relatif à cette partie spécifique de la directive n’était pas encore échu. Par conséquent, l’État ne pouvait être considéré en situation de manquement à cet égard au moment de la phase précontentieuse. La Cour fait preuve ici d’une application stricte du principe selon lequel le manquement doit exister à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé pour que le recours soit recevable sur ce point.
B. La confirmation du rôle procédural de l’avis motivé
Cette application rigoureuse des temporalités met en lumière le rôle fondamental de l’avis motivé dans la procédure en manquement. Cet acte de la phase précontentieuse ne constitue pas une simple formalité ; il garantit les droits de la défense de l’État membre et délimite de manière impérative l’objet du litige qui sera, le cas échéant, porté devant la Cour. La Commission ne peut donc pas reprocher à un État, dans son recours, un manquement qui n’était pas encore constitué au moment de l’émission de cet avis.
En rejetant le recours pour le surplus, la Cour rappelle que son office se limite à l’examen des griefs tels que cristallisés par la procédure précontentieuse. Elle ne peut statuer ultra petita, c’est-à-dire au-delà de la demande formulée par la Commission et fondée sur des faits et manquements existant à ce stade. Cette décision, bien que rendue dans une affaire d’espèce, offre ainsi un rappel pédagogique sur l’articulation entre les obligations de fond des États membres et les règles de procédure qui gouvernent le contrôle de leur respect par la Cour de justice.