Arrêt de la Cour (première chambre) du 8 octobre 1981. – Peter John Krier Tither contre Commission des Communautés européennes. – Fonctionnaire stagiaire – Licenciement. – Affaire 175/80.

Un arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes est venu préciser les conditions dans lesquelles l’administration peut mettre fin à la période de stage d’un agent. En l’espèce, un fonctionnaire stagiaire, après avoir fait l’objet d’un premier rapport de fin de stage recommandant sa titularisation, s’est absenté. L’agent a justifié cette absence par la production de certificats médicaux. Néanmoins, ses supérieurs hiérarchiques ont établi un second rapport de stage, cette fois défavorable, se fondant sur le caractère prétendument non justifié de son absence et sur une prise de congé spéciale antérieure. Ce second rapport a conduit l’autorité investie du pouvoir de nomination à prendre une décision de licenciement à l’encontre de l’intéressé. L’agent a alors formé un recours visant à l’annulation de ce second rapport ainsi que de la décision de licenciement. Il soutenait que l’établissement d’un second rapport de stage était irrégulier, notamment car il avait été dressé hors du délai prescrit par le statut. Il contestait également le bien-fondé des reproches formulés à son encontre. L’institution défenderesse affirmait quant à elle qu’un nouveau rapport pouvait être établi à tout moment durant la période de stage afin de tenir compte du comportement de l’agent. La question de droit qui se posait à la Cour était donc double. Il s’agissait de déterminer si l’établissement d’un second rapport de fin de stage, postérieurement au délai statutaire, était conforme au droit, et si une décision de licenciement pouvait être légalement fondée sur une absence considérée comme injustifiée alors que l’agent avait produit des certificats médicaux. La Cour annule le second rapport de stage et la décision de licenciement subséquente, considérant que si un second rapport est en principe possible, celui-ci ne saurait se fonder sur une appréciation des faits qui ignore délibérément les justifications produites par l’agent.

Il convient d’analyser la position de la Cour, qui admet une certaine flexibilité dans la procédure d’évaluation du stagiaire (I), tout en exerçant un contrôle rigoureux sur le bien-fondé matériel de l’appréciation portée par l’administration (II).

I. La reconnaissance d’une souplesse procédurale encadrée dans l’évaluation du stagiaire

La Cour admet que la procédure d’évaluation d’un agent stagiaire peut déroger à une interprétation littérale des textes, tant en ce qui concerne la possibilité d’établir un rapport additionnel (A) que s’agissant du respect des délais imposés par le statut (B).

A. L’admissibilité de principe d’un second rapport de stage

Le statut des fonctionnaires prévoit qu’un rapport est établi à la fin de la période de stage. Or, en l’espèce, l’administration avait rédigé un second rapport pour tenir compte d’éléments nouveaux survenus après le premier. La Cour valide cette approche en considérant qu’une lecture trop stricte des dispositions applicables serait contraire à l’objectif même de la période de stage, qui est d’évaluer l’aptitude de l’agent. Elle juge en effet que serait « trop restrictive une interprétation du statut qui exclurait toute possibilité d’établir un second rapport de fin de stage si le comportement ou l’aptitude du stagiaire se révélait insatisfaisant ». Par cette formule, la Cour privilégie une interprétation téléologique du statut, axée sur la finalité de la norme. L’administration doit pouvoir réagir à des faits nouveaux justifiant une réévaluation du stagiaire, et ce, jusqu’à la fin de la période de stage. Le premier rapport ne fige donc pas définitivement la situation de l’agent et ne prive pas l’autorité compétente de son pouvoir d’appréciation au vu de faits postérieurs.

B. La portée limitée des irrégularités formelles de délai

Le requérant soutenait également que le second rapport était irrégulier pour avoir été établi hors du délai d’un mois avant la fin du stage, comme le prescrit le statut. La Cour écarte cet argument en s’appuyant sur une jurisprudence antérieure. Elle rappelle que, « s’il est vrai qu’un retard dans l’établissement du rapport constitue une irrégularité au regard des exigences expresses du statut, cette irrégularité n’est cependant pas de nature à mettre en cause la validité du rapport ». Cette solution confirme que toutes les irrégularités procédurales ne sont pas nécessairement substantielles. Un vice de procédure n’entraîne la nullité de l’acte que s’il a été de nature à priver l’intéressé d’une garantie ou à influencer le sens de la décision prise. En l’occurrence, le retard dans l’établissement du rapport n’a pas été jugé comme ayant porté une telle atteinte aux droits de la défense. Cette souplesse procédurale ne signifie cependant pas que l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire absolu.

Si la Cour admet une certaine flexibilité sur le plan formel, elle se montre en revanche intransigeante quant à l’exactitude matérielle des faits qui fondent la décision de l’administration.

II. La sanction d’une appréciation viciée par une instruction insuffisante du dossier

La Cour annule la décision de licenciement en raison des vices qui entachent l’appréciation portée sur le comportement de l’agent. Elle censure un rapport fondé sur une motivation matériellement inexacte (A) et rappelle à l’administration son obligation de prendre en considération l’ensemble des éléments du dossier (B).

A. La censure d’un rapport fondé sur une motivation matériellement inexacte

Le second rapport de stage reposait principalement sur deux griefs : une absence jugée non justifiée et la prise d’un congé spécial pour participer à des élections. La Cour examine le bien-fondé de ces reproches et constate leur caractère erroné. S’agissant du congé spécial, elle relève que « la demande écrite du requérant a été visée par l’instance habilitée, de sorte que le reproche n’est pas mérité ». Quant au reproche principal tiré de l’absence, la Cour constate que celle-ci était couverte par des certificats médicaux. L’affirmation selon laquelle l’absence n’était pas justifiée était donc matériellement inexacte. En procédant à une telle vérification, la Cour exerce un contrôle de l’exactitude matérielle des faits, qui constitue une limite fondamentale au pouvoir d’appréciation de l’administration. Une décision administrative, même discrétionnaire, ne peut se fonder sur des faits inexistants, dénaturés ou inexacts.

B. L’affirmation de l’obligation de prise en compte des justifications médicales

Le cœur du raisonnement de la Cour réside dans le manquement de l’administration à son obligation d’examiner les pièces justificatives fournies par l’agent. La Cour souligne qu’il « apparaît également que la commission, avant de prendre une décision sur le second rapport de stage recommandant le licenciement, n’a pas, pour s’éclairer, pris connaissance des rapports médicaux successifs attestant l’inaptitude au travail de » l’agent. Cette carence constitue une violation du principe de bonne administration et du droit à une procédure équitable. En ignorant les certificats médicaux, l’autorité investie du pouvoir de nomination a vicié sa décision, car elle ne s’est pas prononcée au vu de l’ensemble des éléments pertinents du dossier. La décision est par conséquent annulée, car elle repose sur une instruction incomplète et partiale des faits. Cet arrêt réaffirme avec force que l’administration est tenue d’instruire chaque dossier avec soin et diligence avant de prendre une décision défavorable, en particulier une mesure aussi grave qu’un licenciement.

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Hassan KOHEN
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