Arrêt de la Cour (première chambre) du 9 février 1999. – Procédure pénale contre Arnoldus van der Laan. – Demande de décision préjudicielle: Amtsgericht Nordhorn – Allemagne. – Etiquetage et présentation de denrées alimentaires – Article 30 du traité CE et directive 79/112/CEE – Jambon moulé hollandais, composé de morceaux d’épaules. – Affaire C-383/97.

Par un arrêt du 22 octobre 1998, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’articulation entre le principe de libre circulation des marchandises et les réglementations nationales visant à la protection des consommateurs en matière de denrées alimentaires. Saisie d’une question préjudicielle par une juridiction allemande, la Cour a examiné la compatibilité d’une législation nationale interdisant la commercialisation de produits à base de viande avec les exigences du droit communautaire.

En l’espèce, une société néerlandaise fabriquait et commercialisait légalement aux Pays-Bas des produits à base de jambon. Ces produits étaient distribués en Allemagne, où les autorités administratives ont engagé une procédure pénale à l’encontre du gérant de la société productrice. Il était reproché aux produits de ne pas être conformes aux usages et aux lignes directrices du code alimentaire allemand, notamment en ce qui concerne leur dénomination, leur teneur en eau ajoutée et leur taux de protéines. La réglementation allemande interdisait en conséquence leur mise sur le marché au motif qu’ils étaient susceptibles d’induire le consommateur en erreur et que leur valeur était diminuée.

La juridiction allemande, confrontée à un conflit potentiel entre sa législation interne et l’article 30 du traité CE (devenu article 34 du TFUE), a décidé de surseoir à statuer. Elle a interrogé la Cour de justice sur la question de savoir si l’application de sa réglementation nationale, qui aboutissait à interdire la commercialisation des produits en cause, constituait une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, prohibée par le traité.

À cette question, la Cour de justice répond que l’article 30 du traité s’oppose à une telle réglementation nationale dès lors que la protection du consommateur peut être assurée par un étiquetage conforme aux dispositions de la directive 79/112/CEE. Elle précise toutefois les conditions de cette conformité, en indiquant que l’emploi d’une dénomination de vente qui ne permet pas à l’acheteur de déterminer la nature réelle de la denrée est contraire à la directive. De même, l’absence de la mention « eau » dans la liste des ingrédients, lorsque celle-ci représente plus de 5 % du produit fini, constitue une violation de la directive.

La solution apportée par la Cour réaffirme la primauté de la libre circulation des marchandises en encadrant strictement les exceptions justifiées par la protection des consommateurs. Elle rappelle que cette protection doit être assurée par des moyens proportionnés, l’information par l’étiquetage étant la voie privilégiée (I). L’arrêt procède ensuite à une interprétation précise des exigences de la directive sur l’étiquetage, définissant concrètement ce qui peut constituer une information trompeuse pour le consommateur (II).

I. La consécration de l’information du consommateur comme alternative à la restriction des échanges

La Cour de justice rappelle avec fermeté que la protection des consommateurs, bien que constituant une exigence impérative d’intérêt général, doit se concilier avec le principe fondamental de la libre circulation des marchandises. Elle établit ainsi une hiérarchie claire où les réglementations nationales restrictives sont écartées au profit d’un étiquetage adéquat (A), ce dernier trouvant son cadre et ses limites dans les dispositions harmonisées de la directive sur l’étiquetage (B).

A. La primauté du principe de libre circulation sur les réglementations techniques nationales

L’arrêt s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence classique de la Cour. Il rappelle d’abord que « constitue une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative toute mesure susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire ». En appliquant cette formule à l’espèce, la Cour constate que l’interdiction de commercialiser en Allemagne les produits à base de viande légalement fabriqués aux Pays-Bas constitue un obstacle évident à la libre circulation.

Conformément à la jurisprudence initiée par l’arrêt *Cassis de Dijon*, de tels obstacles ne peuvent être admis que s’ils sont justifiés par une exigence impérative d’intérêt général, telle que la protection des consommateurs. Cependant, même lorsqu’elle est légitime, la mesure nationale doit être nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi. C’est sur ce point que la Cour censure la position des autorités allemandes. Elle considère que l’interdiction de commercialisation est une mesure disproportionnée lorsque des moyens moins restrictifs pour les échanges existent.

La Cour souligne ainsi que « la protection des consommateurs peut être garantie par des moyens qui n’entravent pas l’importation de produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres, notamment par l’apposition d’un étiquetage adéquat concernant la nature du produit vendu ». L’information claire et précise du consommateur est donc érigée en instrument privilégié, permettant de concilier les intérêts en présence sans pour autant cloisonner les marchés nationaux.

B. Le cadre harmonisé de la directive sur l’étiquetage comme garantie suffisante

Si la composition des produits à base de jambon ne faisait pas l’objet de règles communautaires harmonisées, leur étiquetage était en revanche encadré par la directive 79/112/CEE. La Cour se fonde sur ce texte pour déterminer les contours de l’information jugée adéquate. La directive a précisément pour objet de rapprocher les législations des États membres afin d’éliminer les entraves aux échanges tout en assurant une information et une protection effectives de l’acheteur.

L’article 15 de cette directive interdit aux États membres de prohiber le commerce de denrées alimentaires conformes à ses règles par l’application de dispositions nationales non harmonisées. Une exception est prévue pour les mesures justifiées par la répression des tromperies, mais à la condition expresse que ces dispositions « ne soient pas de nature à entraver l’application des définitions et règles prévues par la présente directive ». C’est cette condition qui se révèle décisive en l’espèce.

La Cour estime qu’un État membre ne peut invoquer la tromperie du consommateur pour justifier une interdiction de vente lorsque l’étiquetage est pleinement conforme aux exigences de la directive. En d’autres termes, si la liste des ingrédients et la dénomination de vente respectent le cadre harmonisé, le consommateur est présumé suffisamment informé. Appliquer des règles nationales plus strictes, fondées sur des usages ou des standards de qualité nationaux, reviendrait à priver la directive de son effet utile et à réintroduire des barrières que le droit communautaire a vocation à supprimer.

II. La définition précise de l’information trompeuse en matière alimentaire

Après avoir posé le principe de la primauté de l’information par l’étiquetage, la Cour se livre à une analyse concrète des griefs articulés par les autorités allemandes. Elle examine si, au regard de la directive, la dénomination des produits ou leur composition non déclarée pouvait effectivement induire l’acheteur en erreur. La Cour opère alors une distinction entre ce qui relève d’une dénomination potentiellement trompeuse (A) et ce qui ressort de standards de qualité nationaux non opposables (B).

A. Le contrôle de la conformité de la dénomination de vente

La Cour examine avec attention l’argument selon lequel la dénomination de certains produits serait trompeuse. S’agissant d’un produit désigné comme « jambon d’épaule hollandais », elle admet que cette appellation pourrait ne pas être conforme à la directive. Elle relève qu’une telle dénomination « peut créer l’impression qu’il s’agit d’un produit naturel constitué par un seul morceau de jambon d’épaule, alors qu’il s’agit en réalité d’un jambon moulé formé de différents morceaux d’épaule ».

En se référant à l’article 5 de la directive, qui exige une dénomination permettant à l’acheteur de connaître la nature réelle du produit, la Cour donne à la juridiction nationale la clé d’interprétation. Si la dénomination utilisée ne permet pas au consommateur moyen de distinguer un produit reconstitué d’un produit issu d’une pièce unique, alors elle est de nature à l’induire en erreur et ne respecte pas la directive. La Cour confirme ainsi qu’un étiquetage peut être jugé insuffisant non pas au regard de règles nationales sur la composition, mais au regard de l’objectif même de la directive : la transparence pour le consommateur.

Par ailleurs, l’analyse se porte également sur la liste des ingrédients. Pour un des produits, la mention de l’eau n’apparaissait pas sur l’étiquette. La Cour rappelle que, selon l’article 6 de la directive, l’eau ajoutée doit figurer dans la liste des ingrédients si sa quantité excède 5 % du produit fini. L’absence de cette mention constitue une violation directe de la directive, car elle prive le consommateur d’une information essentielle sur la composition réelle du produit qu’il achète.

B. La neutralisation des standards qualitatifs nationaux

En revanche, la Cour adopte une position différente concernant les autres griefs, relatifs à la teneur en protéines des produits. Les autorités allemandes faisaient valoir que les taux de protéines de viande musculaire ou de protéines dans la partie maigre étaient inférieurs aux minimums prévus par le code alimentaire allemand. La Cour écarte cet argument de manière décisive.

Elle qualifie ces caractéristiques de critères de qualité, dont la mention sur l’étiquette n’est pas exigée par la directive. Dès lors, la question n’est plus celle de la conformité à une liste d’ingrédients, mais celle de savoir si l’absence d’une certaine qualité, attendue par le consommateur national, rend l’étiquetage trompeur. La Cour répond par la négative, en considérant que « même s’il existait une attente des consommateurs allemands relative au taux de protéines […], une telle attente ne saurait en aucun cas être si précise que […] le consommateur pourrait être induit en erreur ».

Cette solution est fondamentale car elle trace une ligne de partage entre l’information objective sur la composition, qui est obligatoire, et les attentes subjectives liées à des standards de qualité nationaux, qui ne peuvent justifier une entrave aux échanges. En l’absence de promesse spécifique sur l’emballage, un produit ne peut être interdit au seul motif qu’il ne correspond pas à la qualité habituellement attendue sur un marché donné. La protection du consommateur s’arrête là où commence le protectionnisme déguisé.

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