Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 12 juillet 1984. – Hydrotherm Gerätebau GmbH contre Firma Compact del Dott. Ing. Mario Andreoli & C. Sas. – Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof – Allemagne. – Règlement nº 67/67 – Exonération par catégories d’accords d’exclusivité. – Affaire 170/83.

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel du Bundesgerichtshof en date du 28 juin 1983, la Cour de justice a apporté des clarifications essentielles sur l’interprétation du règlement n° 67/67 de la Commission du 22 mars 1967, qui concerne l’application de l’article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d’accords d’exclusivité. En l’espèce, une entreprise de fabrication de radiateurs, composée d’une personne physique et de deux sociétés qu’elle contrôlait, avait conclu un contrat de distribution exclusive avec une société allemande pour la vente de ses produits sur un territoire défini. Ce contrat prévoyait également le droit pour le distributeur de faire enregistrer la marque des produits en son nom propre, ce qu’il fit. Suite à des différends commerciaux, le distributeur a cessé d’accepter les livraisons, conduisant le fabricant à résilier le contrat et à réclamer des dommages-intérêts.

La procédure judiciaire a débuté devant le Landgericht Frankfurt-am-Main, qui a jugé l’accord nul car contraire à l’article 85 du traité, estimant que l’exemption par catégorie était inapplicable en raison de l’exercice potentiel de droits de propriété industrielle pour restreindre le commerce. Saisi en appel, l’Oberlandesgericht Frankfurt-am-Main a infirmé cette décision, reconnaissant la validité de l’accord au regard du règlement n° 67/67. Il a jugé que l’accord ne créait pas de protection territoriale absolue et que l’enregistrement de la marque ne suffisait pas à exclure le bénéfice de l’exemption, en l’absence de preuve d’une utilisation abusive visant à empêcher les importations parallèles. Le distributeur a alors formé un pourvoi en révision devant le Bundesgerichtshof, qui a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur plusieurs points d’interprétation du règlement.

Les questions posées à la Cour portaient essentiellement sur la définition des conditions d’application du règlement d’exemption par catégorie. Il s’agissait de savoir si le règlement pouvait s’appliquer lorsqu’une des parties contractantes est en réalité une pluralité d’entreprises juridiquement distinctes mais formant une unité économique, si l’accord pouvait couvrir des territoires situés hors du marché commun, et enfin, dans quelles conditions l’exercice d’un droit de marque pouvait conduire à l’exclusion du bénéfice de l’exemption. La Cour devait ainsi déterminer si la simple possibilité d’un usage abusif d’un droit de propriété industrielle suffisait à priver un accord de l’exemption, ou si une intention avérée ou un comportement effectif des parties était nécessaire.

Face à ces interrogations, la Cour de justice a adopté une approche fonctionnelle et pragmatique. Elle a jugé que des entreprises juridiquement autonomes peuvent être considérées comme une seule partie si elles constituent une unité économique. Elle a également admis que l’exclusivité puisse s’étendre à des pays tiers. Enfin, et surtout, elle a établi que l’exclusion du bénéfice de l’exemption pour exercice d’un droit de propriété industrielle n’est justifiée que si une intention ou un comportement visant à entraver les importations parallèles est démontré. La solution retenue par la Cour permet ainsi de clarifier le champ d’application du règlement d’exemption (I), tout en précisant les limites comportementales imposées aux contractants pour en bénéficier (II).

I. La clarification du champ d’application du règlement d’exemption par catégorie

La Cour de justice précise d’abord les conditions d’éligibilité des accords d’exclusivité au regard des parties et du territoire contractuels. Elle consacre une interprétation matérielle de la notion d’entreprise, fondée sur le concept d’unité économique (A), avant de confirmer l’applicabilité du règlement aux accords dont le territoire dépasse les frontières du marché commun (B).

A. L’appréciation de la notion d’entreprise à l’aune du concept d’unité économique

Le règlement n° 67/67 prévoit que son application est réservée aux accords « auxquels ne participent que deux entreprises ». La Cour était interrogée sur la conformité d’un accord conclu, d’un côté, par un distributeur unique, et de l’autre, par un ensemble de trois entités juridiquement distinctes mais économiquement liées. La Cour tranche en faveur d’une approche substantielle, en affirmant que « la notion d’entreprise, placee dans un contexte de droit de la concurrence, doit etre comprise comme designant une unite economique du point de vue de l’objet de l’accord en cause meme si, du point de vue juridique, cette unite economique est constituee de plusieurs personnes, physiques ou morales ».

Cette solution est fondamentale car elle aligne l’interprétation du règlement d’exemption sur la conception générale de l’entreprise en droit de la concurrence. En se concentrant sur l’unité de comportement sur le marché, la Cour évite qu’une règle formelle ne puisse être contournée par des montages juridiques. Si les entités agissant comme une seule partie sont contrôlées par la même personne et poursuivent un intérêt identique dans le cadre du contrat, il n’existe entre elles aucune concurrence potentielle à préserver. Leur regroupement en une seule « entreprise » au sens du règlement est donc logique et nécessaire pour assurer l’effet utile de la réglementation. La portée de cette décision est considérable, car elle offre une sécurité juridique aux groupes de sociétés et aux entreprises familiales structurées en plusieurs entités juridiques.

B. L’extension de l’applicabilité aux accords couvrant des territoires extracommunautaires

La deuxième question portait sur la compatibilité d’un accord avec le règlement d’exemption lorsque le territoire d’exclusivité concédé inclut des pays tiers au marché commun. Le texte du règlement vise la revente « à l’intérieur d’une partie définie du territoire du marché commun ». La Cour estime que cette condition est remplie dès lors que l’accord délimite bien une zone d’exclusivité au sein de la Communauté, et ce, même si cette zone est complétée par des territoires extérieurs. L’objectif du droit de la concurrence de l’Union étant de réguler les échanges « à l’intérieur du marché commun », l’extension géographique de l’accord à des pays tiers n’affecte pas l’analyse de ses effets intracommunautaires.

Cette interprétation pragmatique reconnaît la réalité des stratégies commerciales des entreprises, qui ne s’arrêtent pas aux frontières de la Communauté. Exclure de tels accords du bénéfice de l’exemption aurait eu pour effet de pénaliser des contrats dont la portée extracommunautaire est sans pertinence pour le droit de la concurrence de l’Union, pourvu que les conditions relatives au marché intérieur soient respectées. La Cour s’assure ainsi que le règlement se concentre sur son objectif principal : garantir que la concurrence subsiste effectivement au sein du marché commun, notamment par la possibilité d’importations parallèles entre le territoire exclusif et les autres États membres.

Après avoir ainsi délimité le périmètre d’application du règlement, la Cour s’est attachée à en préciser les limites, notamment en ce qui concerne l’exercice des droits de propriété industrielle.

II. La précision des conditions d’exclusion du bénéfice de l’exemption

Le cœur de l’arrêt réside dans l’interprétation de l’article 3 du règlement, qui exclut du bénéfice de l’exemption les accords où les parties utilisent un droit de propriété industrielle pour entraver le commerce. La Cour rejette une approche formaliste qui sanctionnerait la simple possibilité d’un abus (A) pour consacrer une analyse factuelle, subordonnée à la preuve d’une intention ou d’un comportement anticoncurrentiel (B).

A. Le rejet d’une exclusion de principe fondée sur la simple possibilité d’un usage abusif du droit de marque

La juridiction de renvoi se demandait si le simple fait qu’un accord ne contienne aucune disposition interdisant l’usage d’une marque pour bloquer des importations parallèles suffisait à déclencher l’exclusion prévue à l’article 3 du règlement. Une telle approche aurait fait peser sur les parties une obligation de prévoir contractuellement des garde-fous, sous peine de voir leur accord privé de l’exemption par catégorie. La Cour écarte cette thèse en jugeant que la simple possibilité d’un usage abusif n’est pas une raison suffisante pour exclure un accord du bénéfice de l’exemption.

Cette position est protectrice de la liberté contractuelle et de la sécurité juridique. Sanctionner une potentialité d’abus reviendrait à instaurer une présomption de comportement illicite. La Cour distingue clairement la concession d’un droit de propriété industrielle, qui peut être nécessaire au fonctionnement normal d’un accord de distribution exclusive, de son exercice abusif en vue de créer une protection territoriale absolue. L’objectif du règlement n’est pas d’interdire le transfert de tels droits, mais de prévenir leur détournement à des fins contraires aux règles du marché commun. En refusant de sanctionner l’absence de clauses préventives, la Cour adopte une position réaliste, qui ne pénalise pas les contractants pour un risque purement théorique.

B. La consécration d’une approche factuelle fondée sur l’intention ou le comportement des parties

En contrepoint, la Cour définit précisément les circonstances dans lesquelles l’exclusion doit s’appliquer. Elle énonce de manière claire que « un accord n’est exclu du benefice de l’exemption par categories que s’il resulte soit des termes memes de l’accord, soit du comportement des parties que celles-ci visent a utiliser ou utilisent effectivement un droit de propriete industrielle de maniere a empecher ou entraver, a l’aide de ce droit, des importations paralleles sur le territoire couvert par l’exclusivite ». La charge de la preuve repose donc sur la démonstration d’éléments concrets, qu’ils soient contractuels ou factuels.

Cette solution subordonne la sanction à la constatation d’un abus avéré ou d’une intention manifeste. L’analyse doit se porter sur les clauses de l’accord pour y déceler une volonté de cloisonner le marché, ou sur le comportement réel des entreprises, par exemple des actions en justice ou des menaces visant à décourager les importateurs parallèles. Cette approche est cohérente avec la jurisprudence de la Cour relative à l’épuisement des droits de propriété industrielle. Elle rappelle que si la titularité d’un droit de marque est légitime, son exercice ne doit pas servir d’instrument pour reconstituer des frontières nationales abolies par le traité. La portée de cette clarification est majeure : elle offre un critère d’analyse clair pour les autorités de concurrence et les juridictions nationales, tout en rappelant aux entreprises que leurs agissements, plus que la simple structure de leurs contrats, détermineront la légalité de leurs pratiques de distribution.

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