Par un arrêt préjudiciel rendu le 29 juin 1983, la Cour de justice des Communautés européennes est venue clarifier l’interprétation de l’accord de libre-échange conclu avec la Confédération helvétique, plus spécifiquement quant à la détermination de l’origine des marchandises.
En l’espèce, une société française a importé de Suisse un lot de stylos. Ces marchandises étaient couvertes par un certificat de circulation EUR.1, établi par les autorités douanières suisses, attestant leur origine helvétique. L’assemblage de ces stylos avait été réalisé en Suisse, mais certains de leurs composants, tels que les cartouches et les agrafes, provenaient de pays tiers. L’administration douanière française a procédé à une nouvelle évaluation des éléments composant le produit fini. En appliquant le taux de change en vigueur au jour de l’importation en France, elle a considéré que la valeur des éléments non originaires excédait le seuil de tolérance de cinq pour cent fixé par le protocole n° 3 de l’accord. Par conséquent, elle a refusé le bénéfice du régime tarifaire préférentiel et a appliqué le taux de droit de douane du tarif douanier commun.
Les sociétés importatrices ont contesté cette décision devant les juridictions françaises. La commission de conciliation et d’expertise douanière, puis le tribunal d’instance de Saint-Julien-en-Genevois et enfin la cour d’appel de Chambéry par un arrêt du 11 mai 1981, ont tous validé la position de l’administration douanière. Un pourvoi a été formé devant la Cour de cassation, laquelle a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si l’administration douanière d’un État membre importateur est en droit de remettre en cause l’attestation d’origine délivrée par les autorités de l’État d’exportation en effectuant sa propre appréciation des éléments de valeur et des règles de change.
La Cour de justice a répondu que l’appréciation des éléments permettant de définir l’origine d’un produit relève de la compétence de l’administration douanière de l’État exportateur. La solution consacre ainsi une répartition claire des compétences pour la détermination de l’origine des marchandises (I), fondée sur un principe de confiance mutuelle et de coopération administrative entre les parties à l’accord (II).
I. La consécration d’une répartition claire des compétences pour la détermination de l’origine
La Cour de justice établit une distinction nette entre les prérogatives des autorités de l’État d’exportation et les pouvoirs de contrôle de l’État d’importation. Elle affirme ainsi la compétence de principe des premières pour établir l’origine des produits (A), tout en délimitant strictement le champ d’action des secondes (B).
A. L’établissement de l’origine, une prérogative des autorités de l’État d’exportation
L’arrêt affirme sans ambiguïté que l’analyse des composants d’un produit en vue de statuer sur son origine appartient aux autorités du pays d’où il est expédié. La Cour juge que « l’appréciation des éléments retenus pour déterminer l’origine d’un produit et, partant, son admission au régime préférentiel prévu par l’accord relèvent de l’administration douanière de l’État exportateur du produit fini ». Cette solution repose sur une logique pragmatique : les autorités de l’État d’exportation sont les mieux placées pour vérifier directement les faits qui conditionnent l’établissement de l’origine.
En l’espèce, il revenait donc aux autorités douanières suisses d’apprécier si la valeur des composants importés de pays tiers excédait la limite autorisée. C’est en application de leurs propres règles, notamment en matière de valeur en douane et de change, qu’elles devaient effectuer ce calcul au moment de l’importation de ces éléments sur leur territoire. La délivrance du certificat de circulation EUR.1 matérialise cette appréciation et constitue le titre justificatif pour l’application du régime préférentiel.
B. La portée limitée du contrôle par les autorités de l’État d’importation
En contrepartie de cette compétence exclusive, les pouvoirs de l’administration de l’État d’importation sont précisément circonscrits. La Cour ne nie pas toute compétence à ces autorités, mais elle la limite à l’appréciation de la valeur en douane du produit fini au moment de son importation. Cette évaluation a pour unique but de déterminer l’assiette du droit de douane applicable, qu’il soit préférentiel ou non.
L’administration de l’État membre d’importation ne peut donc pas substituer sa propre analyse à celle effectuée par l’État d’exportation. Elle n’est pas autorisée à recalculer l’origine du produit en appliquant ses propres règles nationales de change aux différents composants. Une telle pratique créerait une insécurité juridique pour les opérateurs économiques et risquerait de conduire à des appréciations divergentes pour un même produit, entraînant des détournements de trafic et des distorsions de concurrence contraires aux objectifs de l’accord de libre-échange.
II. Un système fondé sur la confiance mutuelle et la coopération administrative
La solution dégagée par la Cour ne repose pas sur une simple répartition technique des tâches, mais sur la philosophie même de l’accord. Elle repose sur la confiance mutuelle dans les actes établis par les administrations respectives (A), tout en prévoyant des mécanismes spécifiques pour encadrer les éventuelles contestations (B).
A. La reconnaissance des décisions comme clé de voûte du système
L’efficacité de l’accord de libre-échange dépend fondamentalement de la reconnaissance mutuelle des décisions prises par les autorités de chaque partie. La Cour souligne que le système « ne peut fonctionner que si l’administration douanière de l’État d’importation reconnaît les appréciations portées légalement par les autorités de l’État d’exportation ». Cette confiance est la condition nécessaire pour que la Communauté puisse, à son tour, exiger de ses partenaires le respect des certificats d’origine délivrés par les administrations douanières des États membres.
Il s’agit donc d’une obligation réciproque, plaçant les partenaires sur un pied d’égalité. Refuser de reconnaître un certificat d’origine pour des motifs tirés de l’application de règles internes de l’État d’importation reviendrait à rompre cette réciprocité et à vider de sa substance le mécanisme de certification prévu par le protocole.
B. L’encadrement des contestations par le contrôle a posteriori
Cette primauté accordée à l’appréciation de l’État exportateur ne signifie pas une absence de contrôle. La Cour prend soin de préciser que le protocole n° 3 organise lui-même les modalités de règlement des différends. Les articles 16 et 17 du protocole établissent des procédures de coopération administrative et de contrôle a posteriori. Si l’administration de l’État d’importation a des doutes sur l’authenticité d’un certificat ou sur l’exactitude des renseignements qui y figurent, la voie à suivre n’est pas une réévaluation unilatérale, mais une demande de vérification adressée à l’administration de l’État d’exportation.
Ce mécanisme permet de prévenir les abus et les fraudes tout en respectant la répartition des compétences et l’esprit de l’accord. Il garantit que les contestations sont traitées dans un cadre concerté et non par des actions unilatérales susceptibles de nuire à la fluidité et à la prévisibilité des échanges commerciaux.