Par un arrêt du 26 mars 1987, la Cour de justice des Communautés européennes est venue préciser l’interprétation de la directive 75/442 du 15 juillet 1975 relative aux déchets, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel.
En l’espèce, plusieurs exploitants et un chauffeur d’entreprises spécialisées dans l’enlèvement de déchets faisaient l’objet de poursuites pénales devant une juridiction belge. Il leur était reproché d’avoir enfreint un décret régional, transposant la directive précitée, en déversant des déchets sur des terrains sans disposer de l’autorisation administrative requise à cet effet. Les prévenus soutenaient que leurs activités, parfois occasionnelles, ne relevaient pas nécessairement du champ d’application de la réglementation ou que le consentement du propriétaire des terrains pouvait valoir autorisation.
Saisi du litige, le tribunal de première instance de Bruges a sursis à statuer afin de poser à la Cour de justice cinq questions préjudicielles. Celles-ci portaient sur les critères d’assujettissement aux obligations de la directive, la nature de l’autorisation requise pour l’élimination des déchets pour le compte d’autrui, la liberté des États membres dans la désignation des autorités de contrôle et, enfin, l’applicabilité directe des obligations prévues par la directive à l’encontre des entreprises.
La juridiction de renvoi cherchait ainsi à déterminer si la réglementation nationale était compatible avec les objectifs et les exigences de la directive européenne. La question centrale était de délimiter, d’une part, l’étendue des contraintes pesant sur les opérateurs économiques et, d’autre part, la marge de manœuvre laissée aux États membres pour organiser le contrôle des activités d’élimination des déchets.
La Cour a répondu que les dispositions de la directive visent toute activité d’élimination de déchets, indépendamment de sa fréquence ou de sa finalité. Elle a jugé que l’autorisation administrative est une exigence impérative qui ne peut être remplacée par un accord de droit privé. Enfin, tout en reconnaissant une large liberté aux États dans l’organisation de la surveillance, elle a rappelé avec force qu’une directive ne peut, par elle-même, créer d’obligations dans le chef d’un particulier.
La solution retenue par la Cour de justice consacre une interprétation extensive du champ d’application matériel de la directive (I), tout en réaffirmant les limites de son effet juridique à l’égard des particuliers (II).
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I. L’interprétation extensive des obligations liées à l’élimination des déchets
La Cour adopte une lecture finaliste de la directive, conduisant à une conception large des activités visées (A) et à une affirmation du caractère indispensable de l’autorisation administrative (B).
A. Une définition large des activités soumises à la directive
Interrogée sur les critères d’assujettissement aux articles 8 à 12 de la directive, la Cour de justice écarte toute approche restrictive. Elle affirme que « les dispositions des articles 8 à 12 de la directive 75/442 visent toute activité d’élimination de déchets, sans établir aucune limitation en fonction de la condition juridique de l’opérateur ou de la fréquence ou finalité des activités en cause ». Cette solution ancre l’application du texte non dans la nature de l’opérateur, mais dans la nature de l’opération.
En effet, la Cour précise que des critères tels que le but social de l’entreprise, le caractère principal ou accessoire de l’activité, ou même l’impact prévisible sur l’environnement sont inopérants pour exclure une entreprise du champ de la directive. Le seul fait de réaliser l’une des opérations énumérées, comme le dépôt ou le traitement de déchets, suffit à déclencher l’application du régime de contrôle. Ce raisonnement s’appuie directement sur l’objectif de protection de la santé humaine et de l’environnement, lequel serait compromis si des distinctions subtiles permettaient à certains opérateurs d’échapper à toute surveillance. La portée de la législation est ainsi maximisée afin de garantir son efficacité pratique, prévenant la création de failles juridiques qui affaibliraient le dispositif.
B. Le caractère impératif de l’autorisation administrative
La Cour de justice précise ensuite la nature de l’autorisation requise pour le traitement, le stockage ou le dépôt de déchets pour le compte d’autrui. Elle juge que « l’autorisation prévue par l’article 8 de la directive 75/442 est délivrée par l’autorité competente établie ou designee par les États membres en vertu de l’article 5 de la directive et ne peut etre remplacee par le consentement du proprietaire ou possesseur du terrain ou les dechets sont deverses ». Cette clarification est essentielle, car elle ancre la gestion des déchets dans une logique de police administrative et d’ordre public écologique.
La protection de l’environnement n’est pas une affaire privée susceptible d’être réglée par des conventions particulières. L’intervention d’une autorité publique désignée par l’État est une garantie fondamentale du respect de l’intérêt général. La Cour distingue toutefois la situation de l’opérateur agissant pour autrui, soumis à autorisation, de celle de celui qui élimine ses propres déchets, soumis en principe à une simple surveillance. Elle réserve cependant aux États membres la faculté, dans le cadre des « mesures nécessaires » de l’article 4, d’imposer également une autorisation à cette seconde catégorie d’opérateurs, confirmant la subsidiarité laissée dans la mise en œuvre.
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II. La confirmation de la marge d’appréciation des États encadrée par le droit de l’Union
Si les obligations sont d’interprétation stricte, les États membres conservent une liberté substantielle dans l’organisation des contrôles (A). Cette liberté trouve sa contrepartie dans le rappel de l’absence d’effet direct horizontal des directives, qui pèse sur les États et non sur les justiciables (B).
A. La liberté étatique dans l’organisation de la surveillance
La Cour de justice examine la latitude dont disposent les États membres pour désigner les autorités compétentes et organiser la surveillance des activités d’élimination des déchets. Sur le premier point, elle relève que « l’article 5 de la directive ne mentionne aucun critère restrictif concernant ‘les autorités competentes’ », laissant par conséquent les États libres de leur choix. Cette approche pragmatique respecte les diverses traditions administratives nationales et le principe d’autonomie institutionnelle.
Sur le second point, concernant la surveillance prévue à l’article 10, la Cour affirme que le pouvoir des États « n’est restreint que par l’exigence du respect des objectifs de cette directive, a savoir la protection de la santé de l’homme et de l’environnement ». Cette formule classique illustre parfaitement la nature d’une directive : elle fixe un résultat à atteindre, mais laisse aux autorités nationales le choix des moyens. Ce pouvoir discrétionnaire n’est toutefois pas absolu. Il est encadré par une obligation de résultat, garantissant ainsi que la liberté organisationnelle ne conduise pas à vider la directive de sa substance et à compromettre le niveau de protection qu’elle vise à établir.
B. L’absence réaffirmée d’effet direct horizontal des directives
La question la plus fondamentale sur le plan des principes du droit de l’Union portait sur l’applicabilité directe des articles 8 et 12 de la directive. La Cour y répond par la négative en des termes dénués d’ambiguïté, se référant à sa jurisprudence antérieure. Elle énonce « qu’une directive ne peut pas par elle-même créer d’obligations dans le chef d’un particulier et qu’une disposition d’une directive ne peut donc pas être invoquée en tant que telle à l’encontre d’une telle personne ».
Cette solution, qui confirme la jurisprudence `Marshall` rendue un an plus tôt, constitue une pierre angulaire du système juridique de l’Union. Elle protège la sécurité juridique des particuliers, qui ne doivent être soumis qu’à des obligations clairement définies par le droit national issu de la transposition. En conséquence, un État membre défaillant dans la mise en œuvre d’une directive ne peut se prévaloir de sa propre carence pour poursuivre pénalement un individu sur le fondement direct de la directive. La charge de la correcte application du droit de l’Union repose sur l’État, dont la responsabilité peut être engagée, mais elle ne peut être transférée aux justiciables par le biais d’une application directe des obligations d’une directive non ou mal transposée dans un litige horizontal.